Le guêpier1
Pas de noisettes pour les pigeons
(L’antimirage des chaumières)
Épopée2 à suspense
née de l’imagination de
Jean-Pierre Lamargot
1 « Endroit dangereux, situation complexe et délicate dont on arrive difficilement à sortir sans dommage. Synonymes : pétrin (familier), piège, souricière, traquenard. Donner, tomber dans un guêpier. »
« Ce n'est pas la peine de nous donner tant de mal pour tirer Albert du guêpier où il s'est fourré » (François de Curel, La nouvelle idole, 1899, I, 1, p. 163), selon Le Trésor de la Langue Française informatisé (cf. http://atilf.atilf.fr/)
2 Long poème ou récit « de style élevé » où la légende se mêle à l'histoire pour « célébrer un héros ou un grand fait ». On pourrait sans doute à bon droit aussi bien parler de prétérition (« figure par laquelle on attire l'attention sur une chose en déclarant n'en pas parler »)
- 11 -
L‘envol des Palombe
Parmi les quelques dizaines de souscripteurs qui avaient répondu à la sollicitation de leur conseiller se trouvaient les Palombe ; Monique et Jean-Philippe, un couple de salariés cinquantenaires à qui la retraite commençait de montrer le bout de son nez ; mais pleins d’allant, d’avenir et d’ambitions.
Des gens sans histoire, qui, comme tout un chacun, étaient titulaires chez Squirrel (outre le Livret A qu’avaient ouvert leurs grands parents à chacun, dès leur naissance) d’un compte de dépôt commun et d’un Plan Epargne Logement pour chacun d’eux.
Aucun placement immobilier ne figurait pourtant parmi leurs projets, mais la rentabilité de ce produit était honorable et il ouvrait en outre droit à des prêts à taux préférentiel, transmissibles aux enfants ; une épargne de précaution, se disaient-ils …
Pourtant, leur conseiller (que nous appellerons Guillaume pour la fluidité du récit) n’avait eu de cesse de les dissuader de leur obstination à les prolonger consciencieusement chaque année après l’autre1. Ses efforts n’avaient jusqu’alors pas été couronnés de succès, tant leur entêtement se dressait avec un acharnement démesuré face aux alléchantes propositions qu’il lui avait été donné, à maintes reprises déjà, de leur faire.
Mais cette fois, pronostiquait-il, serait la bonne ; celle qui mettrait enfin un terme à l’humiliation de la mission inaccomplie (assortie de celle due à la stagnation de ses primes de résultats …) que lui valait l’acharnement démoniaque de ces récalcitrants obstinés !
C’est pourquoi il prépara avec un soin tout particulier le rendez-vous qu’il n’avait pas manqué de leur fixer après avoir pris connaissance des « Points clés ». Sa culture en matière de fonds à formule, ou à promesse, était des plus superficielles et la mécanique de la machine lui avait quelque peu échappé.
Mais là n’était pas l’essentiel puisque Squirrel Gestion avait eu l’opportune idée de le doter d’un outil à toute épreuve.
- « Je suppose, avait déclaré Jean-Philippe Palombe, à peine le couple avait-il franchi le seuil de son bureau, que vous allez encore nous conseiller de clôturer nos PEL. J’imagine que vous n’avez toujours pas compris que nous n’avons pas la moindre intention de vous suivre sur ce terrain.
- Vous n’y êtes pas, répondit Guillaume, sans broncher. Avez-vous lu les documents joints à votre dernier relevé ?
- Mais oui, bien sûr, protesta Monique, fine mouche, en les extirpant de son sac à main ! D’ailleurs, si vous n’aviez pas pris l’initiative de nous contacter, c’est nous qui aurions sollicité un rendez-vous. »
« L’affaire ne se présente pas si mal », se félicita Guillaume en son for intérieur, arborant un sourire engageant et conquérant.
- « Qu’est-ce donc que ce Duplex miracle dont vos prospectus ont plein la bouche ?
- Un FCP répondit Guillaume ; un Fonds Commun de Placement…
- Je vous remercie de la précision », se renfrogna Jean-Philippe, à la limite de la vexation. « Mais j’ai lu qu’il s’agissait d’un FCP à formule … D’où ma question : une formule magique ? »
Guillaume se sentit en devoir de dégainer ses « Points Clés », un peu à la manière dont un abbé brandit son bréviaire lorsque quelque malin lui paraît menacer ses environs immédiats.
- C’est un FCP innovant basé sur des techniques financières sophistiquées, en utilisant à son plein l’effet cliquet, et tout en étant éligible au PEA. Vous en avez chacun un, n’est-ce pas ?
- Tout à fait ; vous nous l’aviez fortement conseillé, « pour prendre date », disiez-vous. Mais que veut dire « à formule » ?
- Eh bien, le produit repose sur un panier de douze valeurs internationales, pour tirer parti de la dynamique des marchés européens et mondiaux.
- Quelles valeurs ? Dans quels secteurs ?
- Les assurances (Allianz AG), l’électronique (Canon, Philips et Sony), les services (Cap Gemini et Endesa), la pharmacie (Johnson & Johnson), les télécommunications (France Telecom), la banque (JP Morgan & Co), les biens de consommation (LVMH), le pétrole (Total Fina Elf) et enfin le conglomérat2 General Electric…
- C’est en effet une large diversification sectorielle et géographique ! Et je suis ravi d’apprendre que LVMH exerce dans le secteur des biens de consommation ; j’aurais plutôt pensé au luxe, ou à la mode…
Mais qu’est-ce donc qu’Endesa ?
- Une entreprise espagnole spécialisée dans les secteurs de l’électricité et du gaz naturel ; leader sur le marché électrique en Espagne et deuxième opérateur sur le marché portugais. Elle est présente sur toute la chaîne de valeur de l’énergie : approvisionnement, production, transport, distribution, fourniture et services énergétiques répondit Guillaume du tac au tac, sans reprendre son souffle et tout en se disant : « Il connait donc les onze autres !... »
- Pourquoi avoir choisi celles-là ?
- Nos experts ont conclu de l’analyse de leurs profils qu’elles présentent un haut potentiel de croissance, car chacun des secteurs concernés est particulièrement porteur sur l’ensemble des places européennes, américaines et japonaises.
La performance du Fonds est « indexée »3 sur la performance de ce panier, observée à partir de la quatrième année du Fonds.
- La quatrième année !
- La durée du fonds est de six ans, c’est-à-dire la durée idéale pour bénéficier de la progression des valeurs boursières sur le moyen terme ; à cette échéance, la Bourse est en effet un instrument sans pareil pour générer des gains sérieux, à condition de s’en donner le temps.
En outre, c’est la durée de vie minimale des PEA.
- Et pourquoi investirais-je en Bourse maintenant ? Qu’irais-je faire dans cette galère, qui menace de sombrer au moindre pet d’Eole ?
- C’est une excellente remarque car justement, la Bourse connait une période de creux depuis le début de l’année ; elle en a donc les meilleures chances de connaître une belle progression sur les six prochaines années.
Ce FCP garanti (car je ne vous l’ai pas encore dit : il est garanti ; aucun risque donc que vous connaissiez les déboires vécus par les clients de la Mostale, ajouta-t-il d’un seul mouvement, pas peu fier d’avoir désamorcé par avance une éventuelle objection …), ce FCP profite pleinement de la contre performance actuelle du marché, ce qui lui offre un énorme potentiel de rebond sur les quatre prochaines années.
C’est ce même potentiel qui réduit de manière considérable le risque de recul des actions du panier de 40 % et a contrario démultiplie la probabilité de la performance servie à l’échéance.
- En effet, compte tenu du niveau ridiculement bas de la situation actuelle, un tel niveau de baisse, près de la moitié, parait tout à fait invraisemblable.
Merci de nous en avoir informé ; cela mérite que nous y réfléchissions sérieusement et posément.
- Si je peux me permettre, gardez vous de trop gaspiller votre temps : la période de souscription se termine dans moins d’une semaine et près des trois quarts des parts mises à disposition ont d’ores et déjà été retenues !
- Quelle serait la mise de fonds nécessaire ?
- Chaque part est proposée au nominal de 150 euros. En d’autres termes, avec le solde de votre PEL, vous pourriez en acquérir 90 ; et 90 aussi pour Madame.
De plus, les commissions de souscription ne sont que de 1 %, un taux à comparer avec ceux pratiqués par la concurrence, qui sont couramment de 2 à 3 %.
- Écoutez, je vous le confirme : cela mérite réflexion ; prenons rendez-vous après-demain, pour conclure.
- Je comprends parfaitement votre besoin d’échanger avant de prendre une décision aussi engageante. Je vous propose de vous abandonner mon bureau pour, disons, quinze minutes.
Ainsi fut fait et durant un quart d’heure, Monique et Jean-Philippe dialoguèrent âprement dans le bureau que Guillaume avait si obligeamment laissé à leur entière disposition.
Débâtirent, plutôt que dialoguèrent, car si tous deux étaient séduits, chacun, dans un recoin de son for intérieur, entendait la petite voix de Jiminy Cricket, leur bonne conscience, perchée sur leur épaule, qui soufflait alternativement le chaud et le froid : « Doubler en six ans ? C’est digne du Père Noël, ne crois-tu pas ? » ; « Oui, mais si c’est vrai, tu ne te pardonneras jamais d’avoir été d’une méfiance hors de proportions ».
« Après tout, que risques-tu puisque c’est un fonds garanti ? Au pire, tu retrouveras dans six ans tout ce que tu auras misé4 et la seule perte aura été la misère que te verse Squirrel en contrepartie de ton PEL … »
Guillaume ne força pas le chronomètre et leur accorda près d’une demi-heure. Un laps de temps au terme duquel il fit son retour, plus conquérant que jamais :
- Alors, s’enquit-il d’un ton presque désinvolte qui contrastait avec les traces encore visibles chez ses interlocuteurs de la lutte de Jiminy contre Cricket, de Palombe v. Palombe ?
- Donnez-nous cette fameuse notice COB que citent vos prospectus.
- Je suis désolé ; nous en avons été dévalisés par les clients qui vous ont précédé.
Rupture de stock ! Dévalisés ! La menace se précisait donc : le produit suscitait un énorme intérêt au sein de la clientèle ; et la clôture de la souscription approchait. Jiminy se rengorgea : « Oui, mais si c’est vrai, tu ne t’en remettras jamais d’avoir été paralysé par ta méfiance ».
Il s’agissait de s’accommoder d’un compromis5 ! Et vite !...
Guillaume se sentait dans la disposition d’esprit d’un joueur d’échecs sur le point de conclure à son honneur une rude partie :
- Voilà ce que je vous propose : nous établissons les bons de réservation ; dans l’intervalle je vous adresse les notices par la poste et vous me rapportez le tout, au plus tard après-demain à douze heures.
Nous aurons mutuellement signé les bons de réservation et nous serons donc couverts de part et d’autre.
Trop heureux, Monique et Jean-Philippe approuvèrent (et signèrent) les yeux sinon fermés, du moins embués de quelques traces où des observateurs attentifs auraient pu lire une sorte de reconnaissance, dont ils n’étaient pourtant pas coutumiers vis-à-vis de leur banque.
La nuit ne passa pas sans que Jiminy se manifeste avec véhémence, mais à la manière de Blanchette ce n'est qu’au petit matin qu'il finit par céder et à prononcer sa conclusion marquée au coin d’une inébranlable sagesse :
« Doubler la mise, c'est sans le moindre doute inaccessible. Mais doubler le taux du PEL est un objectif réaliste et qui mérite assurément qu’on s’emploie à l'atteindre ».
Le lendemain, encore sous le choc de leur émotion, ils firent comme il avait été convenu.
Pourtant, par un réflexe de prudence élémentaire et pour faire une tranquillisante concession à Jiminy, ils n’engagèrent que moins de la moitié (40 %) des sommes portées par leurs PEL respectifs ; l’équivalent, pour chacun, de 35 parts du FCP.
Prochain épisode : Chapitre 12 – La multiplication des pleins
1 A cette époque, le PEL était devenu la hantise des banquiers, car les intérêts qu’ils devaient servir pesaient de plus en plus lourdement dans leur trésorerie, sans pour autant générer de revenus sur des emprunts que leurs bénéficiaires potentiels ne songeaient guère, la plupart du temps, à solliciter
2 Celui-là vous avait été annoncé et promis dès la préface. Cochon qui s’en dédit !
3 Rendons cette justice de préciser que les guillemets étaient bien là, significatifs, dans le texte des « Points clés » qu’il lisait. Mais pour les repérer dans le discours de Guillaume, il aurait fallu une oreille autrement fine et exercée que celle que Jean-Philippe lui prêtait ingénument …
4 Inconsciemment, Monique et Jean-Philippe, de concert avec Jiminy, s’étaient donc déjà convertis au vocabulaire des casinos …
5 Promis … au plus brillant avenir ; la suite le démontrerait amplement