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Billet de blog 15 mars 2024

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Gérard Noiriel décortique la préférence nationale

Dans une brochure de la collection Tract (Gallimard) Gérard Noiriel nous propose un  rappel historique pour étayer son analyse politique de la loi « Asile et immigration ».

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Illustration 1

C’est une leçon d’histoire à l’usage des contemporains que Gérard Noiriel détaille dans les soixante pages qu’il consacre à la « Préférence nationale » dans la collection Tracts éditée par Gallimard. La loi «Asile et immigration» a été votée le 19 décembre 2023. L’ensemble des organisations progressistes se sont mobilisées contre ses dispositions. Elle a été en grande partie censurée (le tiers des articles) par le Conseil constitutionnel. Et elle a été promulguée le 26 janvier.   Cette loi a replacé au centre du débat la polémique sur la notion de préférence nationale nous dit Gérard Noiriel. Il nous rappelle que depuis 1980, vingt-neuf lois sur l’immigration (une tous les dix-sept mois !) ont été votées par le Parlement, sans compter les ordonnances, les arrêtés, les circulaires et les décrets qui se sont multipliés. La notion de préférence nationale a été théorisée par un haut fonctionnaire d’extrême-droite, Jean-Yves Le Gallou dans un livre ainsi intitulé en 1985.  

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Gérard Noiriel nous montre que ces thèmes conjoint du refus de l’immigration et de la préférence nationale sont beaucoup plus anciens. Il a consacré un livre « Le venin dans la plume », que nous avons recensé dans la présente édition,  à la comparaison entre les discours d’Edouard Drumont  et d’Eric Zemmour. Il y revient dans sa brochure. C’est d’autant plus nécessaire que celui qui a joué un rôle majeur dans l’apparition de ces thématiques fut un membre de la gauche radicale : Christophe Pradon, député de l’Ain. Il se plaçait sous l’égide de la République pour mettre en avant ses thèses en 1888 : « C’est une remarque piquante que les peuples les plus attachés à l’idée de progrès, de libéralisme, de démocratie se sont, les premiers, préoccupés de faire des lois sagement protectrices contre l’immigration ». Le « Nous Français » est opposé aux « Eux étrangers » pour la plupart d’origine européenne.

Du milieu des années 1880 jusqu’en 1914, une soixantaine de projets de lois ont été déposés à la Chambre des députés visant à taxer les travailleurs étrangers. Pierre-Étienne Flandin, dirigeant de l'Alliance démocratique dans les années 1930, président du Conseil déclare « la priorité réservée aux Français sur le marché du travail ne peut soulever aucune objection… Par là nous avons voulu témoigner à la classe ouvrière que l’union des partis républicains ne peut jouer qu’à son profit ». Une loi de 1932 contingente la main d’œuvre étrangère et les décrets-lois de 1938 intègrent totalement la logique de préférence nationale toujours justifiée en évoquant les valeurs républicaines ! Cette prétendue justification se retrouve de nos jours.  

Illustration 3
Un ouvrage de référence de Gérard Noiriel

Gérard Noiriel présente la situation actuelle. Au moment des Trente Glorieuses, un nouveau recours massif à l’immigration s’est  fait sans bruit, dans le but de faciliter l’introduction de la main d’œuvre dont les entreprises avaient besoin. Une partie des mesures touchant au droit d’asile, aux droits sociaux et aux naturalisations sont supprimées. La fin de cette période de prospérité provoque le retour sur la scène politique du « problème » de l’immigration. Comme l’avait fait le Parti radical après la crise de 1929, la droite actuelle reprend les thématiques de la droite radicale tout en affirmant respecter les valeurs républicaines. Elle est confortée par la mise en exergue de faits divers et la multiplication de sondages alarmistes. L’un d’eux montrant en décembre 2023 l’approbation de la nouvelle loi sur l’immigration par 70 % de nos concitoyens.

Gérard Noiriel examine enfin la façon de combattre efficacement ces dérives. L’inefficacité des discours des « donneurs de leçons » moralisateurs peut être surmontée en articulant la lutte contre les discriminations, qui a remporté des succès notables, à la lutte contre les inégalités et les formes de dominations qui résultent de l’appartenance socio-économique des individus. Ce point décisif est trop souvent laissé de côté. L’usage de la notion de « racisme systémique », analysée par Daniel Sabbagh, est contestable  Elle se veut radicale mais produit l’effet inverse dans sa réception. Elle illustre les incompréhensions entre un certain milieu universitaire et le grand public. Gérard Noiriel propose plutôt de repérer les similitudes entre « Eux » et « Nous » pour redéfinir un « Nous » collectif en s’appuyant sur des solidarités concrètes. Il reprend le terme d’hégémonie dans le sens qu’Antonio Gramsci lui a donné.  Il s’agit de reconstruire un bloc historique fondé sur des compromis entre les intérêts de la classe ouvrière et ceux des classes moyennes. La discussion est ouverte…  

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