
Bella ciao, le chant emblématique des partisans antifascistes italiens, a été écrit en 1944 en reprenant la musique du chant des mondinas, les ouvrières saisonnières des rizières. C’est dans une optique bien différente qu’il a été repris dans la série espagnole « La casa de papel » (La maison de papier) qui a assuré le succès mondial de Netflix lors de son achat et de sa diffusion en 2017. Dans son incisif libelle de 50 pages, "Netflix, l'aliénation en série", Romain Blondeau, journaliste devenu producteur, analyse ce moment décisif.
Netflix est une entreprise californienne fondée en 1997 pour louer et vendre des DVD par voie postale. Dix ans plus tard, elle se transforme en plateforme de vidéo à la demande. Elle se développe de façon exponentielle. Et en 2017 les spectateurs de « La casa de papel » sont à 66 % des femmes et à 41 % des 15-24 ans. Dans ce casse invraisemblable mais qui se laisse agréablement regarder, le chant des partisans italiens n’est plus qu’un tube sans ancrage historique. Netflix est passé au modèle délinéarisé en proposant l’accès direct à tous les épisodes. Plus d’attente d’une semaine sur l’autre, mais le « binge watching », un visionnage boulimique par des spectateurs passifs. Le fondateur de Netflix le revendique : « Notre seul concurrent c’est le sommeil » !

L’auteur rappelle les effets de ce matraquage sur les publics les plus fragiles : leur sommeil perturbé effectivement, mais aussi les effets négatifs sur la mémoire, le langage, l’anxiété et même la libido selon des études données en sources. Mais tous les publics sont concernés. Netflix est en train de réussir une OPA sur les images et les imaginaires dont on n’a as encore pris la pleine mesure. Quelles seront à terme les conséquences sur notre regard, notre capacité critique de spectateur, voire de cinéphile ? Et pour tout dire notre conception de la société et de notre avenir ? Il est juste de parler d’aliénation : nous devenons insidieusement, en douceur, étrangers à nous même.
Romain Blondeau souligne des chiffres effarants : Netflix enregistre 200 millions de clients dans le monde et engrange 25 milliards de dollars de profit en 2020. Tout en ne payant que 728.033 € d’impôts en France la même année, en toute légalité bien sûr. Il insiste sur la proximité entre les conceptions de ce capitalisme attentionnel et celles d’Emmanuel Macron. L’action politique reste pourtant possible et même efficace. Un décret oblige désormais Netflix à consacrer 20 % de son chiffre d’affaire français à la production de création de films et de séries françaises. En échange la plateforme est autorisée à rediffuser un film 15 mois après sa sortir en salle et non 36 mois auparavant. L’essentiel reste à affronter : l’idéologie sous-jacente aux contenus. Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant avaient globalement analysé ce « soft power » dès 1998 dans un texte intitulé « Sur les ruses de la raison impérialiste ». On mesure l’ampleur de ce défi qui ne peut-être affronté culturellement et politiquement qu’au niveau européen…

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