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Le bruit des images

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Billet de blog 20 juin 2010

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Images pieuses

Scandale! Cette semaine, un article du Daily Mail révèle qu'une affiche représentant Winston Churchill au fronton du musée "Britain at War" a été retouchée, ôtant son célèbre cigare de la bouche du vainqueur de la barbarie nazie.

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Scandale! Cette semaine, un article du Daily Mail révèle qu'une affiche représentant Winston Churchill au fronton du musée "Britain at War" a été retouchée, ôtant son célèbre cigare de la bouche du vainqueur de la barbarie nazie.

La retouche est un mensonge. La photographie dit la vérité. Dans un cas comme celui-là, les éditorialistes ou les censeurs n'ont aucun mal à faire la part des choses, et à rapprocher cette image de la série déjà longue des méfaits du politiquement correct, qui a affligé les portraits de Sartre, Tati ou Gainsbourg de corrections anachroniques.

A peine quelques jours plus tard, tous les journaux français mettent à la Une l'anniversaire du 18 juin 1940, décoré d'une photo du général de Gaulle assis devant un micro. Nul scandale, cette fois, dans le fait que cette image, souvent légendée comme datant du jour même du célèbre discours (voir ci-contre), a en réalité été mise en scène plus d'un an plus tard (voir Alexie Geers et Grégory Divoux: "L’appel du 18 juin 1940 et sa mise en images").

Qu'est-ce qui est le plus faux? Une photo dont on n'a ôté qu'un détail? Ou une image refaite à dessein, dont aucun élément ne peut par définition être exact? Mais la retouche attire l'œil et aiguise la critique. La comparaison "avant-après" rend la manipulation apparente et en souligne la fausseté.

Un changement de date est plus discret. La photo de Nicolas Sarkozy attaquant au marteau le mur de Berlin dès le 9 novembre 1989 (à un moment où personne ne songe encore à dégrader le symbole), a été décrétée authentique par les services de l'Elysée et figure toujours sur le compte Facebook présidentiel.

Si l'on est choqué par le cigare effacé, alors il faudrait logiquement dénoncer les petits arrangements avec la réalité que constituent les manipulations de date ou de légende. Et pourtant, qui s'offusquera d'une mise en scène pieuse, qui donne figure à un moment crucial de l'histoire? C'est que la vulgarisation historique n'est rien d'autre qu'un genre particulier de fiction qui, en prenant divers accommodements avec la réalité, recompose un récit édifiant habité par le mythe.

Même si très peu de Français ont entendu le fameux discours, le 18 juin est la première pierre de la légende gaullienne, l'épisode qui permettra de réinterpréter a posteriori toute la chronologie de la guerre, autorisant la France à siéger «parmi les vainqueurs le jour de la capitulation allemande» et à se prétendre «lavée du déshonneur de la collaboration» (discours de Nicolas Sarkozy, 18 juin 2010).

Depuis la peinture d'histoire, l'illustration des hauts faits a toujours privilégié la vision orthodoxe, conforme au récit dominant et aux attentes de la société. Ainsi de Jeanne d'Arc, dont Voltaire se moquait comme d'une manifestation de la superstition et de la crédulité populaire, et qu'il mettait en scène recevant une déclaration d'amour burlesque de son âne. A partir de Michelet, Jeanne devient l'emblème du sursaut national – l'incarnation de la France.

Les figures de cette histoire de carton-pâte s'inscrivent dans le droit fil des images pieuses que l'on donnait en récompense aux catéchumènes méritants, et n'ont ni plus ni moins de réalité qu'un Christ en croix. Ces icônes sont des symboles auxquels on ne demande pas de dire la vérité, mais d'être les supports de l'histoire qu'on a envie de leur faire raconter.

La véritable erreur de la correction de la photo de Churchill n'est pas d'avoir effacé un détail gênant, mais d'avoir oublié que le cigare faisait partie de la représentation standard du grand homme. Le tort de la retouche n'est pas d'avoir truqué le document, mais d'avoir trahi la légende.

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