A la Maison des photographes rue Vieille du Temple à Paris, Hughes Léglise-Bataille lauréat du Tremplin photo de l'EMI 2008, expose ces jours-ci quelques unes de ses photos sur les manifestations lycéennes en avril 2008 et sur la visite du Pape en France en septembre dernier.

Rewind.
De Mars à Mai 2008, dans toute la France, des dizaines de milliers de lycéens sont descendus dans la rue pour protester contre la réforme Darcos, en particulier la réduction du nombre d’enseignants et la réforme du bac professionnel. A Paris, ces manifestations ont été presque systématiquement émaillées d’incidents, résultant de bagarres entre jeunes de banlieues rivales, ponctuées d’accrochages avec les forces de police. Arborant des t-shirts de leur département, dont le numéro (7-8, 9-2, 9-3…) est scandé comme un cri de ralliement, des dizaines voire des centaines de jeunes ont évolué ainsi en marge des cortèges. Un dispositif de maintien de l’ordre extrêmement lourd a été déployé en conséquence, les manifestants étaient encadrés par des gendarmes et CRS en tenue anti-émeute tout le long du parcours, tandis que des policiers en civil de la BAC procédaient à des dizaines d’interventions musclées pour interpeller les fauteurs de trouble préalablement identifiés.
Ces violences ont été largement minimisées voire passées sous silence par les médias. C'est cette "fureur" que Hughes Léglise-Bataille a captée, au coeur des manifestations
En face, en vis-à-vis même, s'expose la "ferveur". Il faut se rappeler que du 12 au 15 septembre 2008, pour sa première visite en France, le pape Benoit XVI a été accueilli par des centaines de milliers de fidèles, tant à Paris qu’à Lourdes, où l’on célébrait le 150ème anniversaire de l’apparition de la Vierge. Malgré le déclin du catholicisme en France, Benoit XVI a réussi à déplacer des foules considérables: 260.000 personnes se sont rassemblées aux Invalides pour la messe du 13 septembre! A Paris, des dizaines de milliers de personnes, jeunes et vieux, ont passé la nuit à même le sol pour être aux meilleures places. A Lourdes, à 5h du matin, on pouvait voir des personnes handicapées se rendant au sanctuaire en fauteuil roulant, et les retrouver à minuit pour une veillée aux flambeaux.
"Fureur et Ferveur", c'est donc le titre que donne le photographe à cette exposition, qui rassemble une trentaine d'images en noir et blanc. D'un côté la fureur des bandes de jeunes casseurs venus semer la pagaille dans les rangs lycéens; de l'autre la ferveur du rassemblement catholique. A l'agitation des premières répond le calme des secondes. Le mouvement des jeunes déchaînés contraste avec l'immobilité des croyants; mais les deux séries jouent sur la force des émotions et le rapport entre l'individu et le collectif. Excitation, énervement, peur, enthousiasme, délire, ou sérénité, dans les deux cas, la palette offerte est large. Quant au rapport entre l'ndividu et le collectif, il s'exprime tantôt dans le mouvement d'une foule où chaque individu ne pense qu'à se sauver et se met à courir subitement, accélération qui correspond à ce moment de bascule dans une manifestation que tout manifestant a déjà ressenti, mais qu'on ne voit jamais photographié ni filmé; tantôt par l'image d'une fervente en pleine phase mystique, les yeux fermés, la tête rejetée vers l'arrière et les mains en prière, seule avec sa foi au milieu du groupe.
Et puis il y a l'humour de la série sur la visite du Pape, un humour jamais méprisant, plutôt tendre dans le regard du photographe sincèrement surpris ou touché par certaines images, un humour qui là encore contraste avec la gravité et la violence qui se dégagent de la série sur les manifestations. Dans les deux cas, le photographe est au plus près de ses modèles, au coeur de la radicalité dans les manifs et empreint d'une distance bienveillante mais parfois empathique avec les croyants, même s'il a conscience des dérives de ce genre de rassemblement où se retrouvent également des intégristes.

L'ensemble est efficace, juste, et esthétiquement plutôt réussi. Certaines photos, surtout dans la série sur la visite du Pape, sont de facture très classique, comme ces dormeurs appuyés les uns contre les autres qu'on dirait tout droit sortis de la série de Dorothea Lange sur la Grande Dépression. Faut-il y voir la trace intemporelle de la religion? A l'inverse, les images de la série sur les jeunes sont plus modernes, plus fragmentées, moins posées: reflet de la société actuelle?
Chacun pourra se faire son avis en allant voir cette exposition avant la fin du mois de mars. En plus, l'entrée est libre.