
"Je suis né collectionneur". C'est sur cette citation du photographe britannique Martin Parr, membre de la célèbre agence Magnum Photos, qu'on entre dans la magistrale exposition qui ouvre ses portes aujourd'hui au Jeu de Paume, à Paris.
Les photos de Martin Parr sont reconnaissables entre toutes: couleurs criardes, univers kitsch, détails soutenus, postures dérisoires, banalité du quotidien, objets loufoques, regard satirique. Il a beaucoup photographié son pays, la Grande Bretagne, en mettant l'accent sur ses caractéristiques nationales et en jouant sur le cliché de l'Anglais extravagant qu'il est lui aussi. Il s'est rendu célèbre pour ses images de la classe moyenne dans ce qu'elle a de plus banal et de plus caricatural à la fois. Ses thèmes de prédilection l'ont aussi porté à travailler sur les effets de la mondialisation, les loisirs, le tourisme de masse (formidable série "Small World" installée pour la circonstance dans le jardin des Tuileries), le consumérisme.
Il se trouve que le photographe est aussi un immense collectionneur, et que sa collection est probablement unique au monde. Car la collection de Parr est en parfaite adéquation avec ses photos, elle révèle, comme en miroir de notre "petite planète", le petit monde du photographe, plein d'humour, d'ironie, d'un sens de l'absurde poussé à son paroxysme. On y trouve pêle-mêle des objets insolites, des cartes postales, des photos et des livres de photos. Le tout forme une mémoire de la société contemporaine. Chaque objet rappelle un événement (le 11 septembre sur des tapis au mur), une époque (les théières Margaret Thatcher), un temps (montres et réveils). Et puis il y a les babioles: boîtes de consevre, canettes, mugs, statuettes, assiettes, plateaux... Et les objets hétéroclites et inclassables.
L'exposition "Planète Parr" a le mérite de montrer ces deux facettes du personnage, le photographe et le collectionneur. Visite guidée.
Le mur d'entrée de l'exposition est tapissée de haut en bas des cartes postales de Martin Parr. Cartes postales thématiques, encadrées, regroupées, des immeubles préfabriqués aux portraits de studio en passant par les cartes de vacanciers et les "cartes postales ennuyeuses" chères au collectionneur et dont il est le seul à avoir le secret.
La première salle est dédiée à la photographie britannique documentaire, qui a beaucoup influencé le photographe. On y retrouve les thèmes sociaux et les attitudes "parriennes", les couleurs, les pauses, les angles. De toute façon, dans l'ensemble de la collection de photographies exposées, les deux sujets qui ressortent sont les paysages et les gens, qui sont aussi les deux thèmes centraux de l'oeuvre de Parr. Tony Ray-Jones, à l'origine du renouveau de la photo documentaire en Grande Bretagne dans les années 1970, a compté pour lui, de même que les paysages signés Jem Southam ou les images sociales de John Davies des jardins ouvriers dans la banlieue de Durham en 1983, des chantiers et des zones industrielles grises. Tom Wood et ses images de fins de soirées arrosées, Karen Knorr et ses portraits d'intérieur accompagnés de légendes cocasses, les banlieues ouvrières de Graham Smith, l'ambiance d'un bar ringard avec fanfare selon Mark Neville, les portraits de Londoniens vus par Stephen Gill montrent tous ce que Martin Parr doit à cette photographie. Mais c'est peut-être dans les photographies de John Hinde que l'on reconnaît le plus Martin Parr.
La deuxième salle est la section internationale de la collection du photographe. S'y côtoient des images de maîtres comme Henri Cartier-Bresson (le Dimanche sur les bords de la Marne), Robert Franck, Lee Frielander, Garry Winogrand, William Eggleston, et des images rapportées de voyages, notamment du Japon (étonnant Osamu Kanemura) et des Pays-Bas (grand format de Hans Van der Meer).
La suite de l'expo se fait au 1er étage. Il faut donc monter l'escalier, dont la cage a pris des couleurs puisque les murs sont décorés de plateaux tous plus kitsch les uns que les autres, du sol au plafond.
Au 1er se trouvent d'abord les objets (cf. infra), dont Parr dit qu'ils sont "les spectres des manies humaines". Puis, dans les deux salles suivantes, on peut voir pour la première fois sa nouvelle série intitulée "Luxury", qui porte, comme son nom l'indique, sur la richesse. Pour réaliser cette série, il s'est rendu à Dubaï, Moscou, Durban, Munich, Paris, pour y capter le monde de la mode et du luxe sur les champs de courses, dans les foires d'art. Le résultat est une vaste exhibition de détails luxueux, signes extérieurs de richesse qui se banalisent à mesure qu'ils se répètent, chapeaux, montres, portables, cigares, coupes de champagne, lunettes de soleil, sacs, bijoux... Ces images sont "comme des épitaphes de l'ère marquée par la cupidité et les excès qui est la nôtre", dit le texte introductif. Comme dans ses précédents projets sur les classes moyennes et ouvrières, Parr recourt au grotesque pour dresser le portrait de cette nouvelle jet set. Deux images symboles: le chat en gros plan sur l'épaule d'un homme pendant la semaine de la mode à Moscou en 2004. Signe particulier: son collier de grosses perles. Et cette somptueuse image de femme au cigare prise à la Millionnaire Fair en 2007. A côté, du point de vue de la richesse exhibée, les champs de courses de Longchamp, les courses hippiques de Durban et l'Oktoberfest de Munich font pâle figure.
La dernière salle correspond à une commande du Guardian, pour laquelle Martin Parr a réalisé un reportage sur dix villes du Royaume-Uni. Les photos ont été publiées dans des suppléments du journal le samedi. Elles sont présentées au mur sous la forme de doubles pages et de tirages punaisés. C'est, là encore, un aperçu unique du pays aujourd'hui.
Planète Parr. La collection de Martin Parr.
Du 30 juin au 27 septembre
Jeu de Paume Concorde
Tel : 01 47 03 12 50