Long serpent gris éclairé dans la nuit, le tram s'éloigne silencieusement devant moi, emportant avec lui mon rêve de café chaud au buffet de la gare. Le banc de la station nous accueille durement, mes sacs et moi. Il fait frais et humide. L'affichage me l'indique en lettres rouges : j'ai quinze minutes à attendre l'arrivée de la prochaine rame.
Sous un crachin imperceptible, les lumières qui m'entourent scintillent. Celles régulières et design, de la station elle-même, petits halos blancs transformant cet endroit en un asile de clarté au sein de la nuit. Les feux tricolores du carrefour voisin, les publicités lumineuses, les phares des quelques voitures roulant sur l'avenue.
Partout autour, l'obscurité.
En me hâtant tout à l'heure, j'ai dépassé sur le trottoir trois jeunes gens en capuches, deux garçons et une fille, marchant en tenant leurs vélos. Ils riaient dans la nuit, et c'était un plaisir des les entendre. Je les vois arriver maintenant, toujours aussi joyeux, passant à ma hauteur mais ne s'arrêtant pas. Plus tard, j'aurai la surprise de les voir monter dans le même tram que moi, deux stations plus loin, avec leurs vélos. Pourquoi ont-ils préféré faire une partie de leur chemin à pied sous la pluie, en riant et chahutant, je ne le saurai pas.
Eux partis, la scène reprend son immobilité. On entend, derrière le vrombissement sourd de la ville, le chant des oiseaux, qui croient au printemps. Chantent-ils l'amour ? On peut l'imaginer tant ce pépiement est enthousiaste.
Elle est apparue comme une ombre dans l'ombre, silhouette féminine et gracile, mobile et jeune, à peine visible. A pas menus mais fermes, elle s'est approchée du quai me faisant face, sans y monter, restant dans le noir. Furtivement elle se penche vers l'élégante poubelle grise, étend le bras au-dessus de celle-ci, un flash jaillit de sa main. La jeune fille fait quelques pas rapides, flash au-dessus de l'autre poubelle. Elle s'approche alors d'un tas de gravas que je n'avais pas repéré, l'éclaire vivement aussi de sa lampe électrique. Puis s'éloigne et disparaît rapidement derrière l'immeuble voisin.
J'ai l'impression d'avoir rêvé.
Cognement de deux mondes : je suis en chemin pour la capitale, attentive aux sensations inhabituelles du petit matin et anticipant avec plaisir la journée riche qui m'attend. Elle, elle cherche quelque élément de subsistance dans ce que l'on jette sans y penser.
Pendant que je dormirai, cette nuit, d'autres seront debout à glaner ce qu'ils peuvent d'une société qui ne les accueille pas.