
Le Forum Mondial de la Démocratie avait déjà commencé vendredi dernier par un «Forum des Jeunes», une sorte de rencontre entre élus et la jeunesse du monde. Mais au lieu de pouvoir lancer un vrai dialogue (c'est ce machin où on s’écoute mutuellement), la séance plénaire donnait lieu à des échanges surprenants. Un élu conservateur du Conseil de l’Europe avait la bonne idée de lancer aux 170 jeunes dans l'hémicycle du Palais de l'Europe à Strasbourg, en parlant du mouvement «Occupy» : «Au lieu de fumer de l’herbe sans rien faire, ils feraient mieux de mettre un costard et d’aller chercher un boulot !» Réaction spontanée des jeunes à ce discours digne du milieu des années 50 du siècle dernier : «Vous voulez vous f.... de notre geule ?»... La faible nombre d’élus présents ne donnait pas non plus l’impression aux jeunes d’être pris au sérieux. Un jeune Néerlandais le disait clairement : «Si nous sommes 170, je veux aussi 170 élus qui viennent discuter avec nous !» A retenir pour une édition prochaine...
Les vieux s’accrochent à ce qu’ils connaissent. Lundi, après l’inauguration officielle, avec les discours de Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, du Sénateur-Maire de Strasbourg Roland Ries, du Ministre Délégué aux Affaires Européennes Bernard Cazeneuve et du Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-moon, une autre jeune avait pris le microphone. Tawakkol Karman, 33 ans, journaliste et Prix Nobel de la Paix 2011, exprimait clairement le but de ce Forum, en demandant des résulats concrets, des idées et approches nouvelles, des fonds pour les projets urgents. «Pendant que nous parlons ici, une centaine de personnes se font massacrer dans nos pays.» A la Prix Nobel d'expliquer aux politiques, scientifiques et experts de quoi il s’agit réellement lors de ce forum : «La démocratie peut prendre des formes très différentes, ce qu’il convient de tolérer. De là découle le besoin de définir des standards communs et de créer des institutions internationales capables de veiller à leur mise en oeuvre.» Ce discours d’une authenticité désarmante donnait une lueur d’espoir à ce Forum et valait une standing ovation à Tawakkol Karman.
L’enthousiasme déclenché par ce magnifique discours n’allait pas durer bien longtemps. Toute de suite après cette inauguration, un atelier intitulé «Est-ce que les marchés ont besoin de la démocratie et réciproquement» dans l’hémicycle allait se transformer dans une sorte de défilé de vieils hommes politiques qui prêchaient chacun pour sa paroisse, sans chercher de dialogue et surtout, sans même penser à remettre en question le statut quo d’aujourd’hui pour améliorer quoi que ce soit. Ainsi, le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble (70 ans, 40 ans de carrière politique), expliquait que «la démocratie a des limites. Celles imposées par les marchés.» Quel message plein d’espoir, quelle nouvelle approche pour combattre les inégalités dans le monde ! Dans le même registre, le discours du chef de la Banque de Développement d’Asie Masahiro Kawai (qui souffle ses 65 bougies cette année) – il demandait tout simplement à ce que l’on donne plus d’argent aux banques, car ce seraient les banques qui créent de la richesse pour les classes moyennes, ce qui engendre automatiquement plus de démocratie. Les classes moyennes ayant investi chez Lehmann Brothers, la Hypo Real Estate et d’autres etablissements bancaires apprécieront...
Il faut oser la remise en question. Lorsque les intervenants d’un tel Forum sont surtout des personnalités qui se sont installées à merveille dans un système qui devrait être remis en question lors d’un tel congrès, on ne peut pas s’attendre à des choses renversantes. Si en plus, les intervenants font partie de ceux qui portent une part de responsabilité dans la situation actuelle et qui utilisent ce forum pour justifier leur action, le résultat risque d’être faible. On aurait aimé assister à une joute entre Wolfgang Schäuble et des responsables d’ATTAC ou de «Occupy». Ah non, on a failli oublier – ces derniers étaient priés de mettre un costard et de se chercher un boulot.
Toutefois, ce Forum Mondial de la Démocratie a encore toutes ses chances pour réussir. Grâce à Tawakkol Karman et la mission claire qu’elle a donné à ce Forum. Jusqu’à jeudi, les participants auront la possibilité de développer ces idées et approches nouvelles dont le monde a tellement besoin. Ce n’est pas chose impossible, à condition que les vieux crocodiles laissent un peu de temps de parole à ceux qui aimeraient bien améliorer nos démocraties. Et pour les éditions du Forum Mondial de la Démocratie à venir (si, si, l’idée de ce Forum est vraiment excellente, il faut déjà songer à une édition 2013 améliorée !), il serait peut être judicieux d’inviter plus de jeunes et de représentants d’associations critiques et un peu moins des «anciens ministres», «anciens chefs d’état», «anciens ceci et cela» - ceux-là avaient le temps et le pouvoir de gérer ce monde comme il faut et il faut constater aujourd’hui qu’ils ont échoué. Ce qui les disqualifie d’office comme porteurs d’espoir pour un monde meilleur.