Billet de blog 10 octobre 2012

Ernest Winstein

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Démocratie et mondialisation : Cartes sur table

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A quoi sert un forum de la démocratie, sinon à poser les questions qui s’imposent ? Le forum qui se tient à Strasbourg ne les soumet pas au grand public. Mais il oblige les représentants de diverses instances étatiques et internationales à jouer carte sur table. Certes les réponses s’énoncent plus sous forme de grands principes qu’en solutions concrètes.

Avec l’Autriche représentée par le Vice-président du Parlement européen, M. Karas, on aura établi ce qui nous apparait comme une évidence : nous avons besoin à la fois de démocratie et du marché mondial. Cependant, si déjà l’on pose la question ainsi, c’est qu’il pourrait y avoir  une certaine tension entre la démocratie et le fonctionnement du marché mondial...

On se demandera donc, comme l’a proposé le premier thème de la session plénière : Les marchés ont-il besoin de la démocratie et réciproquement ?

M. Karas rassure ses auditeurs : sur le plan européen, les choses sont clairement établies par l’article 3 du traité européen. Il y est question, entre autre, d’une économie durable, du plein emploi, de la protection sociale. Le droit garantit le fonctionnement du marché international.

Le Premier ministre d’Albanie, M. Sali Berisha, rappelle que jadis, « la démocratie s’était arrêtée » dans son pays. Mais c’est au nom de la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qu’il parle. Et de s’autoriser à placer quelque banderille – les élites financières ont contourné les grands principes de la démocratie pour s’adonner à leurs égoïstes désirs - et d’inviter l’opinion à se rendre compte de la gravité de la situation et d’appuyer, c’est ainsi que nous l’avons compris, les réformateurs sincères.

L’exemple de l’Allemagne encourage-t-il à aller dans ce sens, lorsque le Ministre des Finances de la République Fédérale d’Allemagne, Wolfgang Schäuble, constate que le fonctionnement de l’économie est éminemment complexe, mais qu’elle doit continuer d’être innovante ? Et d’enfoncer le clou :  l’Union européenne n’a pas les moyens d’une politique financière, les décisions ne pouvant être prises suffisamment vite puisque le système en place exige, lorsqu’il s’agit des décisions importantes, le consentement de dix-sept parlements. Nous avons donc besoin de « nouvelles formes de gouvernance » - mais pourquoi ne pas le dire clairement : pour que l’Europe ait la capacité politique de gouverner, seule une structure fédérale peut satisfaire à cette exigence. En tout cas, les retours en arrière sont des voies sans issue, ajoute W. Schäuble. Il faut « corriger les erreurs », garantir une gouvernance qui permette de mettre en pratique les décisions prises. Un véritable effort est demandé pour allier démocratie, liberté et économie de marché.

On ne s’étonne pas que le Japon, représenté par Masahiro Kawai, Doyen et Directeur général de l’institut de la Banque asiatique du développement, voit les marchés aller main dans la main, avec les classes moyennes comme garantes et promotrices de la « future » démocratie.  Ni de voir la Russie, représentée par l’ancien Ministre des Finances, Alexei Kudrin,  regretter que cette classe moyenne ne soit pas plus ferme, ou plus « active » dans le sens d’une libéralisation qui établirait une véritable économie de marché.

Interpellations :

La véritable interpellation vient du monde latino-américain, par la voix de Aristides Meijia, Ancien Vice-président de la République du Honduras, et Gérard Latortue, ancien Premier ministre de Haïti. »Le néo-libéralisme appauvrit nos populations affirme M. Meija, qui poursuit : « la croissance économique ne se fait pas dans l’équité » et « il n’y a pas de démocratie sans équité ». G. Latortue dit oui à la démocratie, mais demande : quelle démocratie ? Le marché ne doit pas fonctionner dans l’impunité, « il a besoin de lois qui garantissent la justice ».

Abdella Benkirane, Chef du Gouvernement du Maroc, à sa façon, met les pendules à l’heure. « Chez vous, religion et pouvoir étaient une même réalité, rappelle-t-il. Vous les avez séparés. Ce n’est pas le cas chez nous ». La démocratisation n’est donc pas un modèle unique et ne signifie pas, comme nous l’avons compris, nivellement. Comment ne pas lui donner raison lorsqu’il exprime la nécessité de prendre en compte le contexte culturel : « il faudra qu’on évolue dans notre culture ».

Il n’y aurait donc pas une seule forme de démocratie, même si les anciennes démocraties s’échinent à prouver que leur modèle est universel. Il sera peut-être plus facile d’aboutir à un consensus auquel tous peuvent adhérer si l’on s’emploie à dégager les valeurs qui nous sont communes.

Quant à savoir si l’on peut – et veut - empêcher les marchés à prendre le contrôle de la démocratie – ce risque, voire cette réalité, d’une domination de l’une par les autres a été relevé par plusieurs intervenants au moment des débats, la question reste posée !

Voilà de quoi alimenter d’autres débats… dans le respect des opinions et… des cultures.

Ernest Winstein

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