La sale guerre américaine à Falloujah
- 15 janv. 2021
- Par Sofiene Boumaza
- Édition : Le monde de la BD
Editions Steinkis, 126p. noir et blanc.
La documentation sur les crimes de guerre américains en Irak s'accumule année après année et on reste surpris chaque fois de voir, vingt ans après, comme on s'est habitué à l'indicible. La grande force de la BD est de poser des images sur les évènements, à la croisée exacte entre le documentaire vidéo et l'enquête journalistique. La vision du dessinateur est par définition personnelle et graphique. Le propos du scénariste est lui tout à fait documentaire, presque autobiographique puisque Feurat Alani reprend dans cet impressionnant ouvrage la technique du vétéran du journalisme BD rugueux, l'américain Joe Sacco.
Bien plus graphiques et didactiques que ce dernier, les auteurs de Falloujah nous racontent le retour du jeune étudiant Feurat Alani dans sa ville de Falloujah, là où réside la famille de son père, là où il a passé une partie de son enfance. C'était avant la première guerre d'Irak, avant Daesh, avant les crimes de guerre, les empoisonnements, les bébés sans bras, avant que ceux qu'il connaissait changent de visage, condamnés à la violence, à la guerre et à la haine.
"Les Etats-unis ont lâché des centaines de tonnes de missiles dur Falloujah. Il y avait des explosions étranges, des couleurs improbables. Les gens disent que c'était du phosphore blanc, une arme chimique."

La particularité de cet album, outre les très belles planches permettant des visions graphiques dantesques ou poétiques, est l'implication du journaliste Feurat Alani. Moins exigeant que son confrère Sacco il tente de croiser les témoignages irakiens et ceux de vétérans de l'armée américaine ayant participé à cette bataille. On pourra lui reprocher de peu questionner ces témoignages, faisant de son ouvrage un reportage à charge. Etant donnée la gravité des évènements et la quantité de preuves de crimes de guerre de la part de l'armée américaine on lui pardonnera de ne pas être tatillon sur la nature exacte des produits déversés sur Falloujah. Notamment sur le récit du très controversé professeur Christopher Busby concernant l'utilisation d'uranium appauvri dans les bombardements américains. Les guerres de l'Empire ont été suffisamment documentées sur le peu de scrupule du Pentagone à expérimenter sur des populations civiles ou des combattants des armes expérimentales ou interdites pour qu'on imagine très probable ce type d'usage à Falloujah. La guerre médiatique des armées mets toujours face à face des témoignages journalistiques difficiles en zones de guerres avec des rapports scientifiques censément exhaustifs. Les faits sur place n'en restent pas moins terribles...
"Le bébé souffre de malformations qui rappellent celles de Falloujah"

La quantité de sujets abordés dans cet album est très importante et en seulement cent pages les auteurs ont l'intelligence de ne pas approfondir chaque élément mais plutôt de les mettre en relation, laissant au lecteur la tache de poursuivre ou d'approfondir sa connaissance du sujet. Il ressort de cette lecture un tableau glaçant d'une réalité bien lointaine et d'images que l'on a du mal à admettre. Devant ces témoignages l'on ne comprend pas comment de tels scandales ne sont pas plus visibles, arrivent à être étouffés, gardés sous contrôle, sans doute par excès de modération d'une classe médiatique trop effrayée de rejoindre les voix des oppositions altermondialistes en ne disant que la simple réalité. Celle d'un empire américain qui fait bien peu de cas des vies humaines, qu'il soit Démocrate ou Républicain.
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