
Quand on est friand de BD documentaires on réalise assez vite que Delcourt est un pôle majeur pour ce type de projet, qui vont de la vraie BD narrative sur fond documentaire à des créations plus sérieuses et austères, mais toujours sur des sujets variés. Je ne m’étend pas plus mais vous invite vivement à aller jeter un œil sur le site de l’éditeur qui propose véritablement un catalogue passionnant en docu, souvent en partenariats.

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Je découvre l’autrice Lou Lubie et tombe aussitôt sous le charme d’une fraicheur graphique et d’une maîtrise du récit imagé qui fait de cet album un très grand plaisir de lecture au-delà même de son sujet. Sujet a priori universel en ce qu’il touche aux mystères du cerveau et de l’intelligence, de la complexité de l’individu entre sa biologie et son vécu. Nous suivons deux jeunes gens identifiés comme Haut Potentiel Intellectuel (HPI), qui bataillent avec leur quotidien en acceptant plus ou moins leur différence, qui est autant une souffrance qu’une chance.
Très didactique, l’album nous raconte ainsi simplement et visuellement le problème de terminologie qui catalogue la personne selon que l’on parlera, selon les époques, de surdoué, Haut potentiel, Zèbre, précoce. Or on parle ici d’un spectre qui comme celui de l’autisme, va varier énormément sur des bases communes. Ajoutez à cela la relation à l’apprentissage (suivi par les parents, traumatisme, harcèlement), le vécu émotionnel et il devient hautement aventureux de déterminer qui est classable dans le registre des surdoués (qui ne seront pas diagnostiqués sur les mêmes critères de test selon qu’ils sont enfant ou adulte). En lisant l’album et en miroir des personnages, on réalise qu’à peu près tout le monde peut se demander à un moment s’il ne sera pas cela: je pense tout le temps, je suis réservé, le capte les autres, je suis émotif,… c’est finalement un peu comme l’horoscope, on s’y retrouve un peu à tous les coups!
Pourtant le schéma psychologique, expliqué en des termes anatomiques sur la structure du cerveau un peu particulière, est identifiable et pas facile à vivre pour les personnes concernées. L’autrice ne tombe d’ailleurs pas dans la facilité du schéma du surdoué en échec social et scolaire ou à l’inverse l’image d’Epinal du génie brillant. Ses deux personnages sont avant tout deux jeunes adultes, avec les problématiques de leur âge et une différence qui crée un besoin de retrouver quelqu’un au fonctionnement similaire, un frère ou une sœur de différence qui permet de parler plus facilement de l’altérité. Ce qui est touchant dans cet album c’est son optimisme, Lou Lubie ne tombant jamais dans le pathos et nous narrant des individus crédibles qui vivent avec une différence consciente sans plus se poser de question qu’un mal-voyant ou un pied-bot. Je suis fait ainsi, ce n’est pas facile tous les jours mais c’est ma vie en somme.

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Pour expliquer cela la dessinatrice, issue du monde du jeu vidéo, utilise des idées-images, à commencer par ses héros, un oiseau anthropomorphe et son alter-ego, poisson dans un exosquelette. Débordant d’informations et explications, elle préfère dessiner une situation plutôt que des textes laborieux et va à l’essentiel. Et c’est limpide en même temps que très drôle! Si le dessin est très simple, les planches sont fort élégantes dans leur lisibilité parfaite qui va droit au but. On sent une formation de communication et la réflexion d’un game-designer qui doit rendre un jeu vidéo immédiatement compréhensible.
L’intrigue est assez simple, celle d’une rencontre entre deux être à part qui se trouvent et se découvrent, s’aident à se comprendre et à avancer. La narration alterne les explications au lecteur, les commentaires à la première personne de l’oiseau et les interactions BD, le tout dans une grande fluidité qui fait tourner les pages avec envie.
Je dis toujours que l’alchimie du Docu-BD est une des plus difficile à trouver en ce que l’on doit souvent faire l’économie d’un texte ou d’un dessin, quelle que soit la puissance du thème. Et l’immense qualité de Lou Lubie c’est qu’avec toute sa modestie graphique elle parvient à créer une très belle BD visuellement avantageuse en ce que le dessin est totalement au service du propos, sans s’exonérer des codes de la BD pour autant. C’est assez rare pour être souligné. Blain avait réussi ce pari sur son Monde sans fin. Comme un oiseau dans un bocal jouit des mêmes qualités, l’aspect humain en plus. Et c’est une sacrée performance.
Le billet a été publié sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com
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Comme un oiseau dans un bocal - portraits de surdoués
de Lou Lubie
Nombre de pages : 184p. couleur
Date de sortie (France) : 6 septembre 2023
Éditeur : Delcourt