
Agrandissement : Illustration 1

De l’affaire Ben Barka tout le monde en a entendu parler. Mais bien peu connaissent le détail de ce qui est dépeint comme une affaire d’Etat. Le journaliste David Servenay (co-fondateur de la Revue Dessinée) et l’habitué des documentaires Jacques Raynal proposent sur des planches au noir et blanc profond qui rappellent par certains côté un style italien épuré pas très loin d’Hugo Pratt, un récapitulatif « technique » de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka à Paris en 1965.
Ben Barka est le leader de l’opposition politique au roi du Maroc, le violent Hassan II, mais surtout un des leaders des Non-alignés, très actif dans l’activité pour monter une réalité politique des pays du Tiers-monde avec Castro, Nasser ou Ho-chi-minh. C’est là le cœur de cette affaire qui permet de comprendre l’enjeu de cet assassinat qui touche aux ressorts de la Françafrique et aux interactions troubles entre le contre-espionnage (souvent similaire à barbouzeries) gaulliste et la pègre, après que les deux pouvoirs aient appris à se connaître pendant l’Occupation. Les auteurs se sont rapprochés du fils du dirigeant socialiste pour faire un point d’étape d’une des plus vieilles instructions judiciaires en cours, soixante ans après les faits, afin de rappeler ce qui est aujourd’hui admis et comprendre pourquoi la procédure n’a à ce jour été ni abandonnée ni aboutie.

Agrandissement : Illustration 2

Reprenant le déroulement de l’enlèvement dont le minutage et les protagonistes sont connus assez rapidement, l’album insiste sur un probable mélange des genres qui explique l’aspect exceptionnellement dérangeant de l’assassinat. Car si son statut judiciaire reste celui d »absent », Mehdi Ben Barka a bien été assassiné, sans doute par excès de zèle de la part des kidnappeurs, un agglomérat de petites frappes, de policiers et d’indicateurs des Renseignements. Le roi avait clairement demandé l’élimination de Ben Barka, ancien allié protégé du pouvoir soviétique mais le montage de l’opération a été vraisemblablement l’affaire de circuits officieux. Probablement doublé par les relations étroites entre ses barbouzes, les chiens du régime chérifien et ses agents de contre-espionnage, dans un contexte de guerre froide, le gouvernement de Georges Pompidou semble constater après coup que ses agents ont agi directement pour le compte du royaume marocain. La raison d’Etat agit ensuite pour justifier qu’aucun président jusqu’à nos jours n’ait agi pour débloquer cette instruction. Pas plus qu’elle n’est enterrée, des journalistes et un juge d’instruction pugnaces découvrant éléments après éléments jusqu’à citer le ministre de l’Intérieur du royaume, le général Oufkir, efficace et terrible soldat sans plus de morale que son souverain.
Il ressort de ce documentaire que le corps de l’opposant a probablement été dissous au moins en partie et ses reste enterrés sous l’ancienne prison politique de Hassan II. Une partie des exécutants ont été condamnée par la justice française ou sont morts, après deux procès en 1967. L’enjeu reste celui de valider judiciairement le déroulé de l’affaire et les donneurs d’ordre. Charles de Gaulle a fait le ménage dans la police et les services spéciaux et souhaite que justice soit rendue… sans mettre à mal les bonnes relations de la France avec le Maroc. On peut donc supposer qu’une conclusion définitive sera rendue un jour, sans grand enjeu hormis pour la famille. Cet album permet alors de faire un tour très complet de la question, notamment via un grand nombre de pièces d’archives qui nous éclairent sur une époque bien étrange où le droit policier et judiciaire étaient bien peu de choses face à un certain artisanat sécuritaire où tout le monde s’en est un peu mêlé, finalement bien heureux qu’une figure de poids du tiers monde disparaisse ainsi. Il ne sera pas le seul, loin de là.
-----------------------------------
Ben Barka - La dirparition
de David Servenay et Jacques Raynal
Nombre de pages : 160p. nb.
Date de sortie : 5 février 2025
Éditeur : Futuropolis.