Sofiene Boumaza

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Billet de blog 30 juillet 2025

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La fabrique des insurgées. 1869 : la première grève d'ouvrières

L'auteur Bruno Loth raconte la première grève des ouvrières ovalistes de Lyon, dans un contexte d'ordre social patriarcal appuyé sur le libéralisme économique du Second Empire. Un documentaire romancé qui rappelle par bien des aspect les proximités entre la France de Napoléon III et celle d'Emmanuel Macron.

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Fuyant la misère et l'absence de futur de la campagne ardéchoise, Camille et Adelaïde débarquent à Lyon pour se faire embaucher dans la filature Bonnardel. Mais aussitôt arrivées elles déchantent en réalisant que les conditions d'embauche et de vie sont loin de ce qui les avait engagées dans ce long voyage... Alors qu'elles s'efforcent de s'adapter à cette nouvelle communauté ouvrière opprimée par un patriarcat du Second Empire qui va jusqu'au droit de cuissage, Camille voit débarquer ses jeunes frère et sœur dans le sillage de qui la révolte va remettre en question un ordre qui semblait immuable...

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Les ouvrages sur l'histoire ouvrière ne sont pas rares (moins que les albums sur l'histoire militaire, signe d'une époque sans doute...). Or, très modestement, dans un style graphique léger mais techniquement beaucoup plus abouti qu'il n'en a l'air, Bruno Loth dresse avec cet album un très beau documentaire romancé sur cet exode rural qui vit dévorer des wagons d'ouvriers et d'ouvrières pour les besoin d'un capitalisme vorace sous la réglementation fort libérale de Napoléon III. Un contexte qui rappelle là encore le notre par bien des aspects... Mais là n'est pas le propos de l'auteur, concentré sur un récit qui suit l'itinéraire de deux jeunes femmes prises au piège de promesses qui n'étaient que mirage et aux prises avec une soumission collective qui doit autant à l'ordre social qu'à un rapport de force économique défavorable.

Le scénario (qui renvoie par sa structure au magnifique film de Cedric Klapisch La Venue de l'Avenir sorti cet été) a l'intelligence de dresser une véritable histoire qui porte l'illustration historique recherchée. Cela permet d'éviter une didactique syndicale pesante en nous plaçant à hauteur de femme pour constater très concrètement les effets de ces oppressions, des pouvoirs comme des lâchetés. Avec un imposante galerie de personnages et une aération narrative bienvenue grâce aux deux frangins qui abordent le thème des colporteurs, des gamins des rues et du rôle de l'Education et du journalisme, l'album gagne en richesse à mesure que l'on tourne les pages, pour déborder allègrement le seul cadre ouvrier. Dans une démarche proche de Zola, Loth ajoute touche sur touche d'information sur la société de l'époque qui peut se résumer à un monde ultralibéral mais où le contrôle de l'image et de l'information reste aussi importante que la répression, toujours risquée face à des classes laborieuses prêtes à en découdre.

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Le patriarcat est également rappelé lorsque ces femmes enfin sorties de leur torpeur doivent s'en remettre à des alliés masculins, que ce soit pour leurs compétences d'écriture ou leur rôle syndical, et constatent une même propension à oublier l'égalité des droits entre citoyens et citoyennes. Aussi habile dans la documentation solide de cette grève que dans les intermèdes d'action, Bruno Loth nous embarque avec envie dans cette tranche historique qui rappelle beaucoup de choses connues mais avec un pas de côté féministe passionnant.

A noter une interview de l'auteur sur le site de l'éditeur.

La chronique est parus sur le blog L'étagère imaginaire.

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La fabrique des insurgées - 1869: la première grève d'ouvrières.

de Bruno Loth

Nombre de pages : 128p., nb.

Date de sortie : 7 mai, 2025.
Éditeur : Delcourt

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