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Peter Wohlleben est un ingénieur forestier allemand. D’aussi loin qu’il se souvienne il a toujours aimé la nature et l’atmosphère des forêts. Il a ainsi naturellement embrassé une carrière de fonctionnaire local, en charge tant de l’entretien que de la coupe et de l’exploitation des forêts. Progressivement ses observations, sa sensibilité et ses convictions concernant le vivant vont se confronter à une vision productiviste administrative. Ce livre est son histoire personnelle, intime, mais aussi un brillant exposé du fonctionnement des arbres qui interroge nos certitudes, notre modernité et bien sur, l’impact de notre activité sur l’apocalypse climatique qui arrive…
En refermant ce volumineux mais absolument passionnant volume on ne sait si c’est la justesse des dessins de Benjamin Flao, l’art de la pédagogie et du récit de l’auteur original ou l’adaptation par le scénariste Fred Bernard qui nous emmènent dans un univers positif fait de simplicité, de vérité et d’une humanité englobante. Issu d’une commande de l’éditeur Les Arènes (éditeur français du livre original) le récit se fait à la première personne, assumant le statut d’autobiographie de Wohlleben et créant une proximité avec le lecteur qui se voit parcourir pendant des dizaines de pages les sous-bois en compagnie du forestier et de son chien. Si bien que l’on craint un instant la répétition… qui ne pointe jamais, du fait du dynamique des dessins de Flao. En redécoupant l’ensemble des textes originaux Fred Bernard construit l’album comme un bavardage, comme les sorties Nature que vous faisiez avec votre prof de SVT et qui faisaient briller vos yeux d’enfant avide de connaissance, l’ouvrage est un véritable voyage dans un monde que l’on a perdu à force de ne plus y penser et que seuls ceux qui randonnent perçoivent encore.

En partant d’éléments triviaux (la forme d’un arbre rencontré, les feuilles pourries au sol ou un vol d’oiseaux) l’auteur explique, développe, détaille, jusqu’à des précisions scientifiquement pointues mais qui jamais ne nous perdent, du fait des facéties du personnage dessiné et des planches naturalistes du dessinateur. On se souvient d’Hubert Reeves nous racontant avec sa bonhommie communicative les merveilles de la physique, avec un amour puissant pour sa science et pour la transmission. Il en est de même avec Peter Wohlleben. Il chapitre l’ouvrage par saison, ce qui permet une respiration qui évite de partir dans tous les sens. Surtout, au travers de son itinéraire personnel il crée une véritable narration qui évite de faire de La vie secrète des arbres un simple dictionnaire de vulgarisation. Afin de rendre lisible un ouvrage pointu les auteurs de la BD ont allégé le ton et créé ce personnage de géant déambulant parmi les arbres, avec le style si drôle de Flao.
Car le propos presque philosophique qui sous-tend le projet et transpire des explications de l’auteur est bien notre lien avec les arbres et avec la nature en général. Cette nature expliquée comme parfaitement symbiotique et illustrant la maxime de Lavoisier « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme« . Wohlleben ne cache rien, expliquant son cartésianisme scientifique et sa distance (sans jugement) avec un certain mysticisme que certains créent autour des arbres. Par une méthode scientifique totalement neutre il a passé sa vie à observer avec bienveillance et sans préconçu une nature vivante et qui n’a pas besoin des hommes pour fonctionner, s’adaptant en permanence à son environnement climatique comme animal. Et en conclut l’évidence d’une forme de communication des arbres avec leurs semblables mais également avec les êtres vivants à proximité. Le Pandora de James Cameron n’est plus très loin!

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Loin d’être un doux rêveur dans sa bulle, l’auteur finit par être être touché psychologiquement par la pression de sa passion mais également par la menace existentielle des activités humaines pour cette nature dont nous avons impérieusement besoin. On a beau connaitre les mécanismes, les voir ainsi mis en démonstration vaut tous les rapports du GIEC.
Je ne peux pas conclure cette chronique sans quelques mots sur l’impressionnant travail de Benjamin Flao. Celui que j’avais découvert sur le superbe et déglingos Essence est de ceux dont le niveau technique pousse à l’épure, de ces Gomont, Peeters et j’irai jusqu’à dire Giraud, dont trois traits posent avec une justesse folle un mouvement, une posture, un regard. Appliqué sur ses décors où il multiplie les techniques et matériaux graphiques sans jamais nous lasser, Flao enivre le regard dans une alchimie entre pure dessin et impressions que la photo ne saurait rendre.
Brillant sur tous les plans, La vie secrète des arbres est un must-have!
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La vie secrète des arbres
de Fred Bernard et Benjamin Flao
Nombre de pages : 236p., nb.
Date de sortie : 28 septembre 2023.
Éditeur : Les Arènes