Billet de blog 2 mai 2008

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Christophe Tufféry

Géomatique, cartographie numérique

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La géolocalisation est-elle une vraie révolution ?

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Recourir aux technologies, nouvelles et anciennes, pour connaître la position et donc les déplacements d'un individu ou de groupes d'individus, est-elle une vraie révolution dont le monde numérique pourrait s'enorgueillir ? N'en déplaise aux concepteurs et « marketeurs » des produits et services de géolocalisation sur l'internet et sur téléphones mobiles, mais depuis homo sapiens, et même probablement avant pour ses aïeuls simiesques, se situer dans l'espace et identifier des points de repère pour trouver son chemin, le retrouver et le faire connaître à d'autres faisait partie des savoir et savoir-faire de base de tout bon apprentissage.

L'histoire humaine est pleine d'inventions qui avaient pour but de permettre aux populations mais surtout à leur gouvernants, de décrire les territoires pour pouvoir mieux les contrôler et éventuellement en chasser les ennemis (« La géographie ça sert d'abord à faire la guerre »). Les hommes ont commencé par dessiner des traces sur les sols argileux ou sablonneux, ou sur les parois rocheuses de leurs cavernes. Puis il les ont gravées sur des cailloux, des écorces de bois, des tablettes d'argile, puis ils ont usé d'encre pour les dessiner sur des rouleaux de papyrus, puis sur du papier, et enfin dans des livres et sur des cartes qu'il ont précieusement rangés dans des bibliothèques et des cartothèques. Les gouvernants et les commerçants ont compris qu'ils ne pourraient pas se passer de ces descriptions de leurs territoires s'ils voulaient les contrôler et les marquer de leur empreinte. C'est ainsi que les Egyptiens ont inventé avant l'heure le géomarketing en calculant où il fallait implanter silos à grains pour satisfaire le peuple et où devaient être construites les pyramides pour qu'elles puissent être visibles depuis un horizon lointain et pour longtemps et où devaient être implantés les obélisques qui complétaient le système de signalisation verticale. Plusieurs siècles plus tard ces équipements ont aidé le petit Napoléon à devenir grand et à se repérer lors de sa campagne d'Egypte. Quant aux Phéniciens, ils ont mis au point les premiers systèmes embarqués de navigation, ancêtres des GPS, pour les besoins de leurs tournées en bons VRP qu'ils étaient sur leurs navires marchands en Méditerranée.

Enfin, plus près de nous, voilà 40 ans, dans quelques rues parisiennes, des étudiants faisaient l'expérience que savoir se déplacer dans les rues et savoir où se trouvaient les forces de l'ordre pour pouvoir les affronter ou les éviter était indispensable. De leur côté, les forces de l'ordre avaient besoin de pouvoir canaliser les jeunes trublions vers les rues où il serait plus facile de les attraper dans des filets lacrymogénéisés. Et avant les événements de mai68, la confrontation entre des forces de l'ordre et des contestataires a toujours été une histoire de géographie et de cartographie, comme l'avait bien compris le Baron Haussmann. La géolocalisation de la révolution, réelle elle, est donc bien née avant une prétendue révolution de la géolocalisation.

La géolocalisation « moderne » consiste à utiliser les technologies d'information et de communication pour localiser un individu ou un groupe d'individus. En fonction de l'endroit où un individu se trouve, celui-ci peut demander à ce que les systèmes mis au point l'aident à se repérer et à savoir par où passer pour aller d'un point A à un point B. C'est le domaine de la cartographie et de la navigation, embarquée dans des appareils spécifiques comme les terminaux GPS ou multi-fonctions comme les téléphones portables. Trouver son chemin en voiture, à pied, à dos de cheval ou de dromadaire est ainsi sensé devenir plus simple. Finies les disputes conjugales dans les voitures à cause des capacités respectives prétendument quasi-génétiques de monsieur et madame à savoir lire ou ne pas lire une carte routière... Il suffit de quelques clics et nous voilà partis en nous laissant guider par une voix synthétique mais qui ne nous permet pas encore, pour l'instant, d'aller jusqu'à fermer les yeux.

Les militaires américains, grands amateurs de nouvelles technologies, ont donc conçu et lancé dans les années 80 et 90 des satellites capables d'émettre des signaux qui, les uns combinés avec les autres, permettent aux appareils capable de recevoir ces signaux de calculer en temps réel sa position sur la terre. Le système de Global Positioning System (GPS) était né.

Conçu d'abord pour des applications dans le domaine militaire, les « gentils militaires américains », dans leur grande bonté, ont accepté de « civiliser » le dispositif. Il est devenu ainsi possible d'utiliser les signaux des satellites du GPS pour des applications dans le domaine civil et de faire en sorte que toute personne équipé d'un appareil de réception GPS puisse s'en servir pour ses usages propres sans avoir à déposer une demande en trois exemplaires ni à attendre le bon vouloir de l'administration américaine ou d'un marchand aux dents longues en situation de monopole.

Du coup les applications se sont multipliées, depuis la construction d'ouvrages de génie civil jusqu'au guidage des camions et voitures, en passant par le suivi des navires ou encore la course d'orientation.

D'autres applications sont en cours de développement et le marché mondial, estimé à 300 milliards d'euros, devrait permettre la création de 150 000 emplois.

Les Européens, après bien des disputes entre groupes industriels et entre états dont ils ont le secret, ont finalement réussi à se mettre d'accord. Le Parlement européen a ainsi donné son feu vert, mercredi 23 avril, au prolongement du projet Galileo, qui doit permettre la mise en orbite d'une constellation de 30 satellites qui viendra compléter le dispositif du GPS américain. Les règles de passation des marchés publics pour ce projet de 3,4 milliards d'euros ont été précisées. Dans la même semaine, le 27 avril dernier, GIOVE-B, le frère jumeau de GIOVE-A, lancé le 30 décembre 2005, a été lancé avec succès et mis en orbite. Même si à cette vitesse, on peut se demander si la date du début d'exploitation de GALILEO sera bien celle annoncée de 2013...après avoir été initialement 2008, restons optimistes en l'avenir....

Dans ce contexte, on nous présente la géolocalisation comme une révolution du monde numérique.

D'autant plus que, au système de géolocalisation par satellite, il faut ajouter depuis plusieurs années la géolocalisation des téléphones portables. Cette géolocalisation s'appuie sur le principe de la triangulation entre les émetteurs des réseaux de téléphonie mobile, qui eux, existent bel et bien et agrémentent les toits des immeubles en ville et nos rases campagnes. Dès que votre téléphone portable est connecté, les opérateurs peuvent connaître votre position en identifiant les émetteurs les plus proches qui détectent votre téléphone, que vous soyiez en communication ou pas. Mais il faut l'accord explicite et volontaire de la part du porteur du téléphone portable, nous assure-t-on, pour exploiter sa géolocalisation. En dehors de cet accord, seul un juge, sur requête judiciaire, peut demander la géolocalisation d'un porteur de téléphone portable pour retrouver où il se trouve.

La combinaison de la géolocalisation par satellite et de celle par le réseau de téléphonie mobile est en train d'être mise au point et les premières applications sont disponibles. Quelques annonces récentes sur le web permettent de se faire une idée de la diversité des applications prochainement proposées et on voit que des acteurs majeurs se positionnent sur ce créneau :

http://blog.navx.com/navx/2008/04/is-the-iphone-r.html
http://blog.navx.com/navx/2008/03/boom-predicted.html
http://www.renalid.com/2008/04/27/revue-du-geoweb-de-la-semaine-6/
http://www.mobinaute.com/137116-apple-souhaite-ajouter-discretement-gps-iphone.html
http://www.iphon.fr/post/2008/04/26/LiPhone-2-sort-de-sa-grotte

Devant cette excitation marchande qui nous abreuve de fausses innovations et de vraies dépenses, n'est-il pas utile de se poser la question : la géolocalisation est-elle une vraie révolution ? Lançons le débat, moins en se posant la question "La géolocalisation est-elle une bonne ou une mauvaise chose ?" qu'en s'interrogeant sur l'intérêt, les enjeux mais aussi les risques et les dérives de la géolocalisation. Sur ce point, il est symptomatique que la CNIL soit de plus en plus souvent sollicitée pour émettre des avis d'autorisation sur des nouveaux services de géolocalisation. Nous ne souhaitons pas agiter ici un peu trop vite le spectre de "Big brother is watching you", mais il nous semble utile qu'un tel débat puisse avoir lieu, dans des lieux comme Mediapart ou d'autres.

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