A la une du Figaro du mercredi 16 avril 2008, on annonce une opération boursière de grande ampleur sur le titre France Telecom avec un accord du gouvernement Français qui est encore actionnaire à hauteur de 27,4%. De quoi s’agit-il exactement ? France Telecom, qui va bientôt perdre son nom au profit de sa marque Orange, va racheter l’opérateur historique Scandinave TeliaSonera propriété des états Suédois et Finlandais. En gros l’opérateur historique Français va profiter d’une privatisation. Si le montage financier (notamment la place des états Suédois et Finlandais qui pourrait être supérieur que celle de l’état Français) n’est pas encore clair car l’offre publique d’achat n’est pas faite. Selon les information du Figaro, le coût du rachat couterait près de 30 milliards d’Euros, pour 115 millions de clients (contre 190 pour Orange) et près de 10 milliards de Chiffre d’Affaire supplémentaire (contre 53 milliards pour Orange). Cette opération permettrait à Orange de devenir le numéro 1 d’Europe, devant Deutsche Telekom. C’est bien la stratégie du groupe qui devient étrange.
Le géant Français n’est qu’un nain au niveau international comparé au Deutsche Telekom ou Vodafone. Le groupe français tire une grande partie de ses revenus de sa situation en France, il s’en sort beaucoup mieux que son homologue Allemand qui a dû chercher d’autre relais de croissance. Orange, la marque commerciale du groupe, sauf en France et en Pologne pour le moment, n’est pas de présence globale. Orange est peu présent en Europe (Royaume Uni, Belgique, Suisse, Espagne, Moldavie, Roumanie), assure une présence en Afrique sur la quasi-totalité du continent (les relations « françafricaines »ont beaucoup aidé au développement de l’entreprise), une présence minimum au Moyen Orient, absence en Asie (sauf au Vietnam où l’opérateur espère rafler la mise au moment de la privatisation de l’opérateur historique Vietnamien). Orange est absente du marché Américain à part en République Dominicaine et dans les Caraïbes. France Télécom depuis sa privatisation se sent à l’étroit sur le territoire national.
Après avoir abandonné toute idée de fusion avec son concurrent Allemand. Le PDG de la privatisation, Michel Bon a voulu internationaliser son groupe avec les déboires que l’on connaît aujourd’hui : achat de marques commerciales européennes achetées au prix fort sur la trésorerie en cash de l’entreprise, effondrement des valeurs internet en 2002, France Telecom devient alors l’entreprise la plus endettée au monde. Le successeur de M. Bon, l’ancien ministre des finances Thierry Breton lance une opération de désendettement, revend des intérêts dits non stratégiques (un opérateur alternatif de téléphonie mobile Allemand, les pages jaunes, les activités du câble et du satellite). Après son départ, l’entreprise connaît un souffle avec l’expansion du marché de l’ADSL en France. Didier Lombard, le successeur de Thierry Breton et actuel PDG du groupe lance un plan de relance avec pour innovation de faire d’Orange, la marque payée une fortune, la marque des produits commerciaux du groupe, et de faire de France Telecom le groupe de la convergence.
Le plan de Didier Lombard connaît un certain succès car il est en avance sur un certain nombre d’engagement, surtout financier.Le succès d’Orange vient des efforts consentis précédemment : la décision de l’Etat de couverture du haut débit internet (Orange s’est dernièrement fait pointer du doigt par ses concurrents car il fait des marges supérieures aux leurs sur les lignes qu’Orangeleur louent), l’achat de la licence 3G qui s’est fait dans des conditions plus qu’avantageuses (le gouvernement Jospin avait répugné a racketter les opérateurs contrairement aux Anglais ou aux Allemands qui n’avaient pas hésité à les faire payer le double voir le triple que le prix de la licence française). Si Orange gagne de l’argent aujourd’hui, c’est parce que des investissements structurels avaient été fait. C’est maintenant que l’avenir va commencer à s’assombrir.
On ne peut pas tondre un mouton plus qu’il ne l’ait. Après avoir mis un portable dans chaque main des Français, connecté près de la moitié des foyers français, les operateurs Français vont devoir multiplier les services pour gagner de l’argent. Maintenant que vous avez un téléphone portable dans votre poche on va vous proposer une multitude de services : internet, télévision, musique, film. Concernant l’internet de la maison, que rajouter à votre de téléphonie de VOix sur IP (véritable manne pour les opérateurs) et à votre offre de télévision, des chaines dites prémium donc payantes. Sur ces deux points Orange a voulu marquer des points. La convergence des services mobiles a conduit à un accord, difficile, avec Apple pour avoir l’exclusivité d’un produit « vitrine », pour attirer les clients en boutique pour créer un effet halo autour de l’iPhone (tous les clients ne pas repartis avec un iPhone mais d’autre produit mis aussi en évidence). Le but de l’opération n’est pas seulement de reverser des revenus à Apple mais de faire une démonstration de l’intérêt de cette convergence des services mobiles. Pour les services de télévision, Orange a aussi des ambitions. Le but n’est plus de vendre les produit du groupe Canal +, filiale du concurrent Vivendi (propriétaire de SFR, Télé 2, Neuf-Cegetel). Orange va aussi se lancer dans la vente de bouquet de télévision par la parabole, le groupe a signé en fanfare lors du MIP-TV de Cannes un gros contrat avec la Warner et HBO. La Warner va fournir des films pour les futurs chaines ciné du groupe, HBO va elle fournir son catalogue de séries. A cela, on peut ajouter l’achat des droits du foot. Orange veut retenter le coup de Canal avec du cinéma, du foot et des séries. Sur ce dernier point la stratégie de Didier Lombard est contestable.
Canal fait le dos rond en signalant que les contrats importants sont « sécurisés », en clair pas d’autres studios devraient signer avec Orange dans l’immédiat. D’autre part, Canal signale qu’Orange a signé avec des studios à bout de souffle créatif. Sur ce point Canal n’a pas tout a fait tort, la Warner va voir le cycle des Harry Potter se terminer, HBO perd des parts de marché aux Etats-Unis pour manque de créativité par rapport à d’autres chaînes du câble comme Showtime (dont Canal a l’intégralité du catalogue cela comprend des série comme Dammages, Weeds, les Tudor). Mais le vrai problème est bien quelle est la stratégie du groupe.
Pourquoi Orange rentre-t-il dans une spirale sans fin de surenchère des droits ? Pourquoi ne plutôt pas investir l’argent des futurs contrats pharamineux dans l’évolution des structures ? Didier Lombard l’a dit et répété, il ne veut pas « devenir un tuyau », en gros il ne veut plus du métier d’opérateur. Le déploiement de l’internet du futur va se faire à tout petit pas, à un tel point que seul les parties les plus riches du territoire nationale vont être fibrées (seul le 92, certains quartier de Paris, de Lille et de Nantes ont la fibre optique et aucun déploiement de masse n’est à signaler). En clair plus d’investissement pour le futur, seul la marge brut d’exploitation compte. Comment peut-on la gonfler ? Avec des exclusivités pour rajouter une couche de services aux clients, il y a fort à parier le cout moyen d’un accès internet en France va augmenter avec les couches successives que l’on va rajouter. A cela s’ajoute une frénésie d’achat pour le PDG qui va bientôt retrouver les travers de son prédécesseur. D’ailleurs, dans l’article du Figaro, quand on parle de l’intérêt d’Orange pour l’opérateur Scandinave, ce n’est pas pour sa présence mondiale mais bien pour sa rentabilité exemplaire. Ainsi on va dépouiller un peu plus la recherche et le développement du groupe qui trouve dans un drôle d’état.
Il y a un adage politique qui peut s’appliquer aux entreprises de hautes technologies, « gouverner c’est prévoir ». Orange investit-il assez dans son venir ? Si on écoute les syndicats on a supprimé près de 300 emplois d’ingénieurs cette année. Orange tourne le dos à son histoire et applique les solutions employées par les autres entreprises de télécom, celui d’assembleur de technologie. L’inventeur du minitel (Bill Gates le cite souvent en exemple comme produit d’avant garde) n’inventera plus rien ? Il y a bien un problème de R&D chez Orange. Orange a hérité des structures de recherche de France Telecom qui ont mal vieillie et cela est dû à un refus de les restructurer de manière efficace. Le problème de la R&D, en off, selon l’état major est dû aux fonctionnaires. Il est vrai que l’entreprise a la particularité d’avoir en son sein un certain nombre de fonctionnaires, que les différents plans sociaux n’ont pas réussi à la déloger. Officiellement, il n’y a pas de problème de fonctionnaires. Les chercheurs qui ont le statut de fonctionnaire se plaignent d’être écarté des gros projets. L’autre tactique de Didier Lombard a consisté à multiplier les petites structures parallèles au quatre coins du monde, ainsi la recherche du géant français est éparpillée aux Etats-Unis, en Egypte, en Chine, au Japon, en Corée, en Grande Bretagne et en France où on ne compte les structures de centre de recherche. Dans le domaine des Nouvelles Technologies de Communications et d’Information (NTIC), l’entreprise la plus innovante selon les spécialistes du secteur, Apple n’a qu’un centre de recherche. Microsoft a quatre centres de recherche, mais celui de Redmond est celui qui produit les services que l’entreprise Américaine vend. Renault (qui ne vend que des voitures) a réuni en un centre de recherche l’ensemble de sa R&D à Guyancourt. S’il est vrai que les NTIC nécessitent des petites infrastructures de recherche pour gagner en rapidité d’exécution, il serait important de les avoir regroupé en un centre pour savoir ce que font les chercheurs. Chez Orange, on ne sait pas parfois ce que font les chercheurs, et on apprend qu’il travaille sur tel ou tel projet. Le problème du fonctionnaire ne se pose donc pas, car le problème du R&D de Orange est un problème structurel. D’autre part l’opérateur français a investit beaucoup d’argent dans des projets qui n’en valaient pas la peine. En 2006, le gouvernement de Dominique de Villepin lance les chantiers prioritaires pour la France, et est placé sur le haut de liste le moteur de recherche Européen, un concurrent de Google. Ce moteur de recherche bénéficiait du soutien stratégique de plusieurs partenaires européens et bénéficiait d’un financement Communautaire via les fonds du Programme Cadre de la Recherche et du Développement. Or le plus gros partenaire a claqué la porte, en l’occurrence c’est Deutsche Telekom, lui préférant des accords commerciaux avec Google. Orange travaille toujours sur ce projet, et on ne se sait pas bien qui vont être les utilisateurs de ce moteur faute de soutien Européen. Enfin dernière exemple, le modem haut débit multimédia d’Orange, la livebox, a connu plus de six mois de retard sur ses concurrents, à cause d’atermoiement entre la direction et les équipes de R&D et aussi à cause du problème du manufacturier qui allait fabriquer le modem. Le concurrent, Free, n’a pas eu de scrupule et avait acheté une solution toute faite du géant chinois Huawei, en la commercialisant sous sa marque. Si M. Lombard ne veut pas devenir un vendeur de tuyaux on pourrait lui proposer de fabriquer ses propres produits par des sous-traitant. Mais cela briserait l’entente entre l’opérateur historique et ses équipementiers qui ont des relations très serrées mais cela est une toute autre histoire.
La stratégie de Didier Lombard pourrait être celle de cette pauvre grenouille qui voulut devenir un bœuf dans la fable de La Fontaine qui « s’enfla si bien qu’elle creva ».