Billet de blog 1 juin 2012

Marc Antoine Lévesque

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Où en sommes-nous?

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Par Claudia Gentet-Reiher  Jusqu'à tout récemment, je croyais le temps des grands soulèvements des années soixante et soixante-dix terminé au Québec. La politique n'intéressait plus grand monde, car on croyait détenir, de toute façon, ce que beaucoup de pays n'avaient même pas.

Mais voilà qu'une hausse des frais de scolarité de 75 % est imposée par votre gouvernement. Celle-ci limite de façon drastique l'accessibilité aux études supérieures pour les moins nantis. Elle transforme les étudiants en utilisateurs, les universités, en laboratoires générateurs de profits et l'éducation, en marchandise. En un rien de temps, en 2012, le peuple se soulève. La corruption, les gaz de schistes, le Plan Nord et maintenant ça? Tout le monde en a assez. Les étudiants vous disent qu'ils ne la veulent pas, cette hausse. Le peuple, derrière eux, vous dit qu'il ne la veut pas davantage. Ils vous prouvent tous qu'elle n'est pas nécessaire, qu’elle ne mène pas le Québec là où il veut aller. Le message est clair, mais pourtant, rien de votre part. Le mécontentement se fait savoir un peu partout au Québec. Les cégeps et les universités, pour faire pression, entrent en grève. On nous fait vite comprendre qu'on pourrait annuler notre session. Nous continuons. Nous proposons des solutions, on nous dit idéalistes. Certains, s'autoqualifiant journalistes ou se disant réalistes, nous font la morale : nous ne sommes que des enfants gâtés, nous devrions plutôt aller travailler au lieu de protester, comme ça on pourrait peut-être se la payer cette hausse. De toute façon, pourquoi nous écouterait-on? Nous ne sommes même pas des contribuables, c'est bien connu, les pauvres ne payent pas d'impôts!

Nous manifestons bruyamment dans les rues, nous sommes plus de 200 000 citoyens indignés. On appelle ce mouvement le Printemps québécois ou le Printemps érable. Votre gouvernement ne veut toujours pas parler du cœur du problème, de la hausse des frais de scolarité, la qualifiant d'obligatoire. La ministre de l'Éducation nous compare au reste du Canada, disant qu'ici, les frais de scolarité, c'est beaucoup moins cher. À cela, nous répondons qu'ailleurs, c'est gratuit, alors pourquoi pas ici? Où sont les priorités des Québécois? Nous continuons la grève. Nous manifestons souvent, nous sommes confrontés aux policiers, à l'antiémeute et son poivre de Cayenne, ses matraques, ses bombes lacrymogènes, son profilage, ses arrestations arbitraires. Il y a des blessés, un garçon perd un œil, un autre est dans le coma. Il y en a d'autres, bien sûr, beaucoup d'autres. Nous n'arrêtons pas. Quelques étudiants mécontents se payent des injonctions forçant le retour en classe malgré le vote de grève majoritaire pris en assemblée générale. La masse n'est pas d'accord. La tension monte, les gens se fâchent. Line Beauchamp démissionne...

Et maintenant, la Loi spéciale. C'est là que nous en sommes. Cette loi n'est pas une étape de la grève, elle est encore moins une solution. Elle n'est rien d'autre que l'élément déclencheur d'un nouveau débat, celui d'une lutte pour préserver la démocratie, aujourd'hui en danger au Québec. C'est que, pour la première fois, et de façon explicite, le gouvernement nous prive de nos droits les plus fondamentaux (droit d'association, droit d'expression, droit de manifestation spontanée, etc.). Selon Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie internationale Canada francophone, le projet de loi 78 « comporte des dispositions susceptibles d'atteintes graves aux droits fondamentaux auxquels adhère notre société. Il s'agit d'un projet de loi dont les mesures sont discrétionnaires et qui ouvrirait la voie vers une application arbitraire ». En effet, nous ne pouvons plus, par exemple, porter le carré rouge, car il incite, selon notre nouvelle ministre de l'éducation, à la violence[1]. Si je comprends bien, nous ne pouvons plus nous opposer ouvertement à la hausse des droits de scolarité. Si je comprends bien, nous ne pouvons plus nous opposer ouvertement aux décisions prises par le gouvernement. Transformer chaque individu en gendarme et séparer les individus les uns des autres en notamment supprimant les cotisations des associations au moindre geste du moindre membre, à la moindre insinuation. Ceci est une définition de l'État totalitaire, c'est aussi celle de la Loi spéciale. C'est là que nous en sommes et j'en suis bien désolée.

Si vous, Monsieur le premier Ministre, ne comprenez pas, peut-être que vos électeurs comprendrons et feront en sorte, comme le fait actuellement le reste de la population, que ce Printemps québécois soit le plus long printemps ayant jamais existé.

Cordialement,

Claudia Gentet-Reiher, Cégep de l'Outaouais (campus Gabrielle-Roy), Sciences humaines profil individu et société.


[1] L’auteure fait ici référence à l’article 30 de la Loi spéciale 78 qui indique que, dans une formulation floue, que « quiconque aide ou amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi commet lui-même cette infraction et est passible de l’amende prévue ». Le terme « amène » laisse place à interprétation. La ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, invitée en chambre à l’Assemblée nationale à préciser cet article, a affirmé que l’application de loi pouvait aller jusqu’à la condamnation du port du carré rouge, symbole du mouvement étudiant, qui inciterait à commettre des infractions. Elle a également précisé que les messages envoyés par les médias sociaux seraient des éléments pouvant être utilisés comme éléments de preuve. Laissant le tout au bon jugement des policiers. Bien que ceci fut dans l’espace public, la majorité des policiers n’arrête personne pour le simple port du carré rouge, même si plusieurs histoires circulent dans les médias sociaux d’amendes distribuées ou d’interpellations policières dues au port du symbole de la lutte étudiante.

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