Par Anonyme, étudiante au Cégep Contexte de la lettre : À la dernière assemblée générale, j'ai annulé mon vote sur la question de la reconduction de la grève. Mes parents, qui sont contre la grève, ont grandement désapprouvé mon choix, déclarant que c'était totalement inutile. Alors, en date du 12 mai, suite à l'assemblée du 11 au Cégep, j'ai envoyé la lettre ci-jointe à mes parents pour leur expliquer mon point de vue (et heureusement, ça a fonctionné!). Je vous envoie ce texte, que j'espère pertinent, car il montre le point de vue d'une indécise, prise entre deux camps, deux « gangs » d'amis, un conflit. Il est à mentionner que mon texte n'est plus à jour, et que mon opinion a changé depuis vers le rouge.
Maman, Papa,
Voici une lettre qui ne vous parviendra probablement jamais. Soit par mon manque de courage, ou ma crainte de votre réaction. Hier, à l’assemblée générale, j’ai annulé mon vote sur la question de la reconduction de la grève. Cette grève qui, je l’accorde, dure depuis bien trop longtemps. Maman, j’ai bien vu ton découragement quand tu as appris la direction qu’avait prise mon vote, et j’ai tout de suite compris que tu ne l’appuyais pas. Probablement, Papa, tu trouveras certainement aussi ma décision insensée. Et c’est pourquoi je tenais à vous expliquer ma décision.
Mais, pourquoi dans une lettre, et non de vive voix? Je l’ignore aussi. Quand je me retrouve devant vous, vos belles grandes phrases et votre expérience de vie, ma langue se noue et mes mots se perdent. J’aimerais pouvoir discourir intelligemment et discuter en adultes avec vous pour vous présenter mes points, mais j’en suis incapable. C’est ridicule, je le sais, mais je déteste tellement l’idée de vous contredire et de ne pas vous plaire, que mon cerveau refuse tout simplement d’agir. Je baisse alors les yeux de honte alors que les arguments qui m’ont convaincu de ma position se bousculent dans ma tête. Voilà pourquoi je préfère les écrire.
Premièrement, je vais vous expliquer pourquoi je n’ai pas voté POUR la reconduction. Il est important de comprendre que depuis la cinquième ou sixième semaine, le combat de mes camarades étudiants n’est plus le même. La hausse des frais de scolarité n’est plus la cause des frustrations, mais bien la situation de la démocratie dans notre province. En quelques semaines, j’ai moi-même perdu presque tous espoirs en la politique, la police et les médias du Québec. J’ai perdu confiance en ceux qui devraient assurer notre sécurité. C’est pourquoi je n’ai pas voté POUR la grève, car je crois que le combat n’est plus le même et que continuer sur cette voie ferait gagner des points à Jean Charest dans les sondages. Et ÇA, je ne peux pas l’endurer. Aussi, j’ai pensé aux élèves en techniques, qui ne perdent pas une session, mais une année entière en cas d’annulation. Aussi, ils seront bien plus utiles en stage et dans les hôpitaux, les CLSC et les centres de police que dans les rues et sur les bancs d’école. Par contre, je crois que le combat des étudiants n’est pas fini, mais qu’il se continuera en automne, et/ou en période électorale. Aussi, continuer la grève voulait dire, d’autres semaines de tension à la maison, car, je ne peux pas le nier, je n’ai pas été la fille idéale au cours de la grève, et la culpabilité me ronge quand je pense à ma paresse. Je crois fortement que le retour en classe me redonnera mon élan et vous redonnera votre fille.
Deuxièmement, Maman et Papa d’amour, laissez-moi vous expliquer pourquoi je n’ai pas pu me résoudre à voter CONTRE la grève… encore une fois. Il est à mentionner que je suis partie de la maison ce matin-là avec la ferme intention de voter CONTRE la grève. Mais, tout au long de l’assemblée, j’ai décidé de garder l’esprit ouvert, d’écouter ce que tous avaient à dire. J’ai réalisé que mes raisons de voter contre étaient égoïstes. MA session, MES cours, MON avenir, MES problèmes personnels, etc. Et, en écoutant les discours rouges, je ne pouvais faire autrement que de trouver admirables le courage et le sacrifice des militants rouges qui se battent encore. Leur but, je l’accorde, très idéaliste, en est un qui me semble juste et plus près de mes valeurs que les menaces vertes. C’est pourquoi, arrivée au gymnase, avec le petit papier orange dans les mains, j’ai paniqué et ai coché le OUI et le NON à la question. Je ne pouvais pas m’imaginer la culpabilité, lorsque la grève aura été annulée, que j’aurais ressentie devant tous ces jeunes auxquels j’aurais enlevé leur chance de faire du changement dans la société. Une annulation de vote n’est pas une perte de temps. C’est de choisir volontairement de remettre sa décision à la masse, à la démocratie. Oui, je suis plus que soulagée de retourner enfin en cours lundi. Mais je suis tout de même fière d’avoir vécu cette crise historique. Dans quelques dizaines d’années, je veux que mes enfants sachent que j’ai participé, même juste un peu, et que je n’aie pas été de ceux qui ont stoppé la vague de changement des jeunes Québécois.
Maman, Papa, je vous aime, et j’espère que vous le savez. Je déteste vous voir fatigués et malades… et j’ai bien peur que je suis à l’instant une grande cause de ce découragement. N’ayez pas peur pour moi, un jour je retomberai de ce nuage idéaliste et je retournerai sur mes pieds où je serai un peu plus réaliste, mais pour l’instant, j’ose vivre du rêve d’une société meilleure, ou l’on ne se fait pas gouverner pas des néo-fascistes cachés sous un masque de fausse démocratie. (petite exagération!)
Vous êtes les meilleurs parents que j’aurais pu rêver avoir, je vous aime. Vous êtes les deux personnes à qui je tiens le plus au monde et à qui je souhaite le moins déplaire. Et ce, même si je semble grandir bizarrement… Peut-être deviendrai-je une artiste contemporaine excentrique comme ceux que je vois dans mes cours d’art actuel? Espérons que non!
Avec tout mon cœur,
Votre étrange fille
P.-S. À Maman :
Belle lettre de fête des Mères… non? Je croyais que je te devais des explications et je ne voulais pas trop attendre…
MAIS!
Maman, oh! Maman! Tu es celle qui me soutient depuis si longtemps et j’en suis plus que reconnaissante. N’importe quelle fille n’aurait su rêver d’une meilleure mère. Même si je ne semble pas être capable de le démontrer correctement ces derniers temps. Merci, merci, merci, de me soutenir dans mes projets artistiques insensés, de rire avec moi de mes maladresses sociales, de me laisser profiter de tes câlins alors que j’ai déjà 18 ans. Merci. Tu es la meilleure conseillère, la meilleure oreille… la meilleure maman!
Un jour, ce saura mon tour (pas trop bientôt quand même) et je sais que je suis bien parée grâce à toi.
Sincèrement.
Ta têteuse de fille