Billet de blog 13 juin 2012

Marc Antoine Lévesque

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Maman, regarde ce qu’on m’oblige à faire!

Marc Antoine Lévesque

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Keven Mercier  Maman, regarde ce qu’on m’oblige à faire! Tu me connais, je n’ai jamais été violent. Tu le sais, je n’ai jamais fait de mauvais coups étant gamin. Dans les rangs, j’écoutais tout ce que tu me demandais de faire, et ce, même si intérieurement je n’avais pas envie de le faire. Tu m’as enseigné à respecter l’ordre établi. Je te respectais profondément, mais aussi j’avais peur des conséquences. La punition, la voix grave et puissante de mon père, tes yeux déçus. Je ne pouvais te faire ça et m’infliger ça.

Papa et toi m’avez toujours soutenu. On pourra me traiter d’enfant-roi. Peut-être, probablement même. Mais pourquoi un enfant-roi serait-il nécessairement mauvais? Ce n’est pas parce que j’ai eu sensiblement tout ce que je demandais que je suis égoïste. Tu m’as aussi appris le partage. Tu m’as appris à donner. Mes heures de révoltes en tant qu’adolescent se comptent sur les doigts d’une main. Ma crise d’adolescence était tranquille, dormante même. Il m’en a fallu du temps pour que je m’éveille à qui j’allais être. Il a fallu que je quitte le nid familial, que je sois confronté à mes actions ailleurs, sans ta protection, sans avoir à me soucier de la voix puissante de mon père, de tes yeux déçus, maman. J’ai quitté ma Beauce natale pour venir dans la grande ville, là où j’ai été exposé à tout, où j’ai découvert de nouvelles expériences et où je me suis découvert, moi. L’université a été un éveil. J’ai appris à penser. J’ai appris à argumenter. J’ai appris à ne pas avoir peur de m’exprimer.

La grève perdure, maman. Quand je t’ai dit que je militais contre la hausse, tu t’es étonnée. Ce n’est pas l’enfant que tu connaissais. Quand je retourne à la maison, je tente de ne pas trop faire de vague, d’être celui que tu as vu grandir. Mais là, maman, je n’en peux plus. Tu m’as dit : « Fais ce que tu veux, mais ne te mets pas dans le trouble, parce que là, ton père et moi, on ne te supportera pas ». Et là, j’ai entendu la voix de mon père et vu tes yeux déçus et je t’ai dit : « Tu me connais maman, je ne fais pas ce genre de choses ». Ce qui était vrai. C’était vrai. Ce ne l’est plus. Regarde, maman, ce qu’on m’oblige à faire. Mon université, celle que je rêvais depuis tout jeune et que papa et toi avez pu me payer en travaillant d’arrache-pied, me colle une injonction au dos. On me dit durement de retourner en classe. De ne pas déranger, de rester dans les rangs, de ne pas intimider. Comme si j’avais déjà intimidé quelqu’un. La seule voix que j’écoute est la tienne et même là, je ne l’ai pas écoutée. Ce jeudi, il y a eu de la casse. On a bloqué des rues, on a crié dans les pavillons de ma chère université qui ne ressemble en rien à ce dont j’avais rêvé.  On a passé des portes brisées, on a marché dans le verre cassé. Mais tu me connais, je n'ai rien brisé. Je n'ai rien fait maman, mais j'approuve les gestes, ce qui me rend tout aussi coupable. Mais j’ai crié. Ce que j’ai crié, maman. On me traitera d’enfant gâté qui fait sa crise quand il n’a pas ce qu’il veut. On m’ignore, croyant que je me calmerai avec le temps, mais je crie encore plus fort. Je ne me calmerai pas. Je ne suis pas dans une allée de centre d’achat à exiger un jouet. Je suis dans la rue à demander qu’on m’écoute. Je suis dans la rue à demander une éducation, pour moi, pour les autres, pour les enfants de ma sœur.

Pourquoi éduquer ce petit peuple que nous sommes afin qu’il comprenne finalement les rouages pourris de son gouvernement? Empêcher les pauvres d’étudier, c’est les garder dans l’ignorance. Éduquer les riches, c’est conserver le pouvoir qu’ils ont toujours eu. J’ai eu la chance d’avoir des parents comme vous, qui avez sacrifié de votre temps et de vos énergies à travailler pour que je sois ici, aujourd’hui. Je crie aussi pour toi, maman. Je crie pour vous, mes parents et mes grands-parents et tous leurs aïeuls qui avez eu la vie dure. Pour vous tous, pour qui l’éducation était minime et les plus hautes inaccessibles.

Maman, regarde ce qu’on m’oblige à faire!

Non! Maman, regarde ce qu’eux sont en train de faire!

Tu comprendras sûrement ce que je m’oblige à faire!

Ton fils

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