Billet de blog 18 septembre 2012

Marc Antoine Lévesque
Abonné·e de Mediapart

A. Anatomie d’un courriel et B. Conflit étudiant (Partie 3)

Marc Antoine Lévesque
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

4. Le socialisme, ennemi de la paix capitaliste 

A : Quittons la forme du courriel pour le contenu. Le professeur en question enseigne l’économie, pas la politique; nous pouvons supposer qu’il aborde donc le socialisme comme une « application de principes économiques », non pas comme une « application de principes politiques ». Il n’est pas précisé si le professeur d’économie favorise le système économique capitaliste comme point de vue, voire comme idéologie. Nuance importante puisque le capitalisme favorise la croissance et rejette le statu quo. Dans les conclusions du courriel, le socialisme devient drastique puisqu’il est appliqué sur une société qui est capitaliste, avec des classes sociales bien distinctes (classe des riches, les pauvres et la classe moyenne). Le changement du capitalisme au socialisme est appliqué sur les classes, alors que dans la définition même du socialisme, il n’y a pas de classe possible; pour qu’il y ait socialisme, il ne peut y avoir de classe (pour toutes les variantes possibles du socialisme, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Socialisme). Le mécontentement des individus serait donc capitaliste, non socialiste. Le socialisme est donc mauvais, d’un point de vue capitaliste, point de vue adopté par le l’auteur anonyme du courriel (indépendant du professeur). Le changement devenant alors oppresseur pour les riches et avantageux pour les pauvres. Le socialisme est souvent associé à la théorie politique de Karl Marx. Pris dans ce contexte, il s’agit d’une période de transition entre l’abolition du capitalisme et l’adoption du communisme, dans un but utopique de l’abolition de l’état. J’utilise le terme utopique, puisque jusqu’à preuve du contraire, aucun régime communiste accompli n’a existé et perduré. Il est bien important de distinguer le communisme comme le définit Marx, et le communisme de l’imaginaire populaire que la Guerre froide a laissé pour quelques générations (surtout dans l’imaginaire américain). La Russie et ses émules n’étaient pas communistes comme Marx l’entendait puisque les dirigeants au pouvoir, lors de la transition entre l’État et son abolition, n’ont jamais cédé le pouvoir. Le socialisme comme démontré dans l’exemple en est un de transition. Plusieurs données sont écartées de l’équation. L’exemple dénonce davantage le choc du transfert entre deux systèmes politiques et économiques, tout en esquissant la définition réelle de ce qu’implique le socialisme. Je remets ici en cause l’auteur du courriel, pas le professeur à qui je laisse le bénéfice du doute, même si ses méthodes pédagogiques laissent à désirer! Tout choc n’est pas doux, c’est pour cela que c’est un choc. L’exemple ne rapporte donc pas le socialisme, mais le choc, un exemple possible de transfert de système politique.

D’autres éléments à définir complexifieraient la réflexion nécessaire pour ce faire une idée complète de cette dynamique, bien trop simplifiée dans le courriel. Entre autres : capitalisme (différence entre le capitalisme bourgeois, de manière générale avant 1929, et le capitalisme corporatif, aujourd'hui) ou encore la part de l’État dans notre économie (pour un survol rapide, amenant quelques questionnements et points intéressants : http://www.cahiersdusocialisme.org/2011/01/19/l’essence-cachee-du-capitalisme-avance/). Mon but avec ces deux types de capitalisme est de démontrer que je ne suis pas anti-capitaliste, mais bien contre le capitalisme corporatif (certains disent avancé). La différence majeure étant que le capitalisme est sein dans la forme primaire, c’est-à-dire lorsque le patron avait un contact direct avec ses employés. Le patron prenait un risque d’investir dans une entreprise (il est donc normal que les plus gros profits lui reviennent), mais il était tout de même conscient de l’importance de ses employés (sans qui son entreprise ne vaut plus un sou). Pour souligner leur valeur, les programmes sociaux ont été créés. En perdant cette valeur concrète avec le capitalisme corporatif (les employés sont des numéros et les investissements sont récupérables par le patronat), ainsi que la privatisation en interne des avantages des employés (comme les fonds de retraite), la compagnie contrôle les économies de ses employés. Ce qui devient problématique, c’est qu’avec la présence de la corporation, les risques sont transférés sur les employés, permettant ainsi aux investisseurs de retrouver leurs investissements (et possiblement plus) à la suite de la faillite d’une compagnie, dépouillant les employés de leurs économies. Pour un exemple récent, se référer au scandale d’Aveos où le patronat a récupéré près de 300 millions de dollars, laissant les 200 employés sans emploi (voir : http://affaires.lapresse.ca/economie/transports/201204/25/01-4518742-liquidation-dace-aviation-les-ex-employes-daveos-indignes.php).

B.1 : Concernant le combat des étudiants, le rapprochement à faire avec le socialisme serait la demande radicale de la gratuité scolaire, du moins c’est ce que je retire du courriel. On ne parle pas ici de retirer toutes les richesses de tous pour s’en mettre plus dans les poches. Il serait faux de considérer l’analogie entre la gratuité scolaire et le socialisme, ce que le courriel suggère si les intentions de sa création (ou de son envoi) étaient relatives au conflit étudiant. Plusieurs se tuent à nous dire que nous n’avons que très peu de riches aux Québec (donc ceux dont le socialisme les dépouillerait de leur succès monétaire), comparativement à la France (pays où il y a la gratuité scolaire). À ces personnes, je leur concède avec vigueur ce point. Je dois apporter une nuance : l’absence d’argent liquide du Québec (je choisis le terme argent liquide, parce que le terme richesse demeure trop vague), alourdi par la dette de l’État québécois, est bien réel, mais la richesse québécoise (cette fois-ci le terme est bien choisi parce qu’il permet l’inclusion d'autres richesses que celle monétaire) ne se trouvent pas dans le portefeuille personnel de ses citoyens, mais bien dans ses ressources naturelles et les capacités économiques de celles-ci (Hydro-Québec n’a pas été créée en 1962 pour enrichir des individus bien précis, mais bien pour avantager la collectivité québécoise, même principe idéologique derrière l’existence et les conclusions du rapport Parent sur l’éducation qui conseillaient l’atteinte de la gratuité scolaire pour le Québec). Dans cette même logique d’analogie, on réduirait les étudiants à des « pauvres » (alors qu’il y a des étudiants riches!) et les contribuables seraient les riches (l’êtes-vous?). Il ne suffit pas d’être travaillant pour être riche, si c’était le cas, plusieurs personnes ayant très peu de moyens seraient en réalité millionnaires. Le succès (académique dans le cas du courriel) ne peut absolument pas être associé à la richesse monétaire. On ne peut réduire l’opposition à des groupes vagues comme riche/contribuable et pauvre/étudiant. Le faire constitue un manque de perspective et de relativité. Chaque cas est différent. Donc voici le mien :

B.2 : Je suis personnellement endetté, je suis responsable financièrement et je travaille (deux emplois à temps partiel en plus de mes études). L’État redonne beaucoup plus à une personne sur l’aide sociale qu’il peut me redonner de l’argent; que l’aide soit justifiée ou non auprès de ces personnes, les contribuables versent un montant d’argent à quelqu’un qui ne fait « rien » au moment où il le reçoit. En comparaison, les étudiants sont en cours et s’acquièrent des connaissances pour pouvoir obtenir un meilleur emploi sur le marché du travail (et ainsi redonner à la société en payant des impôts par la suite). Avec cette comparaison, je veux simplement mentionner le fait qu’une personne qui abuse de l’aide sociale coûte davantage aux contribuables qu’un étudiant qui est sur les prêts et bourses. Je suis sur la défensive parce que plusieurs accusent les étudiants de vouloir obtenir tout sans rien payer. Même si cela peut être vrai pour une minorité, il n’empêche qu’ils vont tous payer des impôts un jour, ce qui n’excuse absolument rien dans leur cas. Je fais partie des 5 000 étudiants le plus en besoins financiers au Canada (selon le gouvernement canadien), et ma bourse annuelle, au moment d’écrire ces lignes, ne paie pas ma facture universitaire (et je ne calcule pas les dépenses périphériques comme le matériel, seulement ce que je paie à mon université). Oui, j’ai droit à un prêt, mais le problème avec ce prêt, c’est que les intérêts que je vais payer à la fin de mes études en remboursant les 20 ou 30 000 $ (j’ai dépassé les 27 000 $ cumulatifs cette année), ne reviendront pas à la société québécoise qui m’a supporté lors de mes études, mais à mon institution financière. Desjardins, dans mon cas, me fait un prêt au taux du marché et l’État paie la différence pour que j’obtienne le taux préférentiel étudiant. Un système dans lequel les intérêts de mon prêt étudiant reviendraient à l’État serait bien plus intéressant, tant pour ma fierté personnelle (redonner à ceux qui m’ont soutenu au moment où j’en aurai les moyens) que pour la société (il n’y aurait pas qu’un paiement vers les institutions financières sans retour, mais un déboursement attaché à un retour avec redevance). Dans le fonctionnement actuel, mon prêt étudiant coûte de l’argent à l’État, ce que je trouve déplorable pour moi, mais surtout pour la société. Pour ceux qui considèrent que nous ne sommes pas des contribuables, oui nous ne payons pas d’impôts (ce qui est une décision de société, société qui considère qu’un étudiant n’a pas les moyens de payer des impôts tant qu’il sera aux études, pour mieux en payer plus tard!), mais nous payons autant de taxes (TPS et TVQ) que tous les citoyens, pauvres ou riches. Avec toutes ces informations, je ne me considère pas comme un enfant gâté – comme plusieurs tentent de dépeindre les étudiants militants (pour toi Jacques Villeneuve : ma mère m’a plus souvent dit non que oui), mais bien comme un étudiant-travailleur qui espère sortir de ses études avec un bagage académique supérieur à son bagage d’endettement.

B.3 : Je vous ai emmerdé avec mon histoire personnelle pour vous démontrer que tous ces faits ne changeront rien à la réflexion, autre que peut-être justifier mes retours d’impôts. Mon histoire ne changera rien, parce que bien que je ne sois pas le seul dans cette situation, n’importe qui peut annuler cet « argument » en me démontrant qu’il y a un autre étudiant qui profite du système. Il s’agirait donc d’un excellent contre-argument. Rapporter tout au personnel est inutile, il s’agit d’un mouvement social, pas d’un mouvement individualiste. Nous sommes unis dans cette lutte, pour une cause commune : l’arrêt de la marchandisation de la connaissance. Il est vrai que nous sommes une génération centrée sur nous-mêmes (la nouvelle réalité des interactions sociales et l’accessibilité instantanée excessive apportée par les nouveaux médias sont peut-être des raisons, accessibilité au sujet de tout, même de nos états d’âme!), mais nous ne sommes pas égoïstes, ni individualistes! Nous avons une conscience sociale, et ce combat en est l’incarnation. Si trois mobilisations de plus de 200 000 personnes ne sont pas suffisantes pour prouver le contraire, je ne vois pas ce qui pourra convaincre ceux qui croient encore que nous sommes des êtres asociaux. Marcher avec des milliers de personnes redéfinit la notion de socialité, mais avant tout elle détruit pour mieux reconstruire la notion d’appartenance. Nous appartenons maintenant à un groupe, une génération et nous avons plus en commun qu’une tranche d’âge et certains qualificatifs individuels; nous partageons une idéologie, une vision pour le pays dans lequel nous désirons vivre.

La « faiblesse » de mon cas, j’en suis conscient. Nous ne militons pas pour notre propre richesse monétaire, notre compte en banque (d'ailleurs, tous les universitaires du premier cycle dans les rues auront leur diplôme lorsque la hausse sera complétée, sauf s’ils poursuivent au 2e et 3e cycle universitaire, mais encore une fois c’est du cas par cas!), mais nous nous battons bien pour une idéologie dans laquelle la valeur de la connaissance n’est pas monétaire, mais intellectuelle. La valeur intellectuelle ne peut donc pas être régie par une logique quelconque, qu’elle soit celle du marché, économique, politique ou même sociale, la connaissance, une fois qu’elle est acquise, elle ne peut être autre chose que ce qu’elle est : acquise. Nous en avons acquis, nous savons la richesse qu’elle nous a apportée, et nous voulons que tous aient la chance de goûter à cette transformation qui est de loin supérieure à la richesse monétaire. L’argent est éphémère, les connaissances éternelles.

Mon principal but avec ce point est de démontrer qu’en éducation, il n’y a pas de corrélation directe entre les capacités intellectuelles permettant la réussite scolaire et le montant inscrit dans le compte en banque d’un individu. Les variantes qui entourent les individus, elles, influencent grandement les résultats scolaires, davantage que les capacités de réussir une formation académique.

À suivre... 

 Marc-Antoine Lévesque

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte