Billet de blog 20 septembre 2012

Marc Antoine Lévesque
Abonné·e de Mediapart

A. Anatomie d’un courriel et B. Conflit étudiant (Partie 4)

Marc Antoine Lévesque
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Les points de la conclusion me permettront de décortiquer l’anecdote, je jumèle donc les deux (phrases et contenu de l’anecdote) pour le reste de l’anatomie.

5. Conclusion 1 : « Vous ne pouvez pas ordonner aux pauvres d’obtenir le succès en ordonnant aux riches de ne plus en avoir » tautologie, c’est un ordre qui ordonne?

A.1 : Concernant le point 1 de la conclusion, quelques éléments non idéologiques sont identifiables. Premièrement, il s’agit d’une tautologie : « Proposition complexe qui reste vraie en vertu de sa forme seule, quelle que soit la valeur de vérité des propositions qui la composent » (Le Petit Robert 2003, p. 2571). Cette phrase seule est vraie, peu importe l’idéologie derrière son intention ou la définition choisit pour les mots (propositions) employés (ordonner, pauvres, succès et riches). En changeant ces derniers éléments, la phrase suivante serait tout aussi vraie : vous ne pouvez ordonner aux mauvais athlètes d’obtenir le succès en ordonnant aux meilleurs de ne plus en avoir. Deuxièmement, le terme « ordonné » est problématique. Il s’agit d’un ordre qui est impossible par son paradoxe évident puisqu’il a été établi par le reste du texte qu’un riche a du succès et qu’un pauvre n’en a pas. L’ordre devient alors ridicule et impossible à respecter sans oppression. La phrase se transforme donc en fausseté par la simple utilisation du terme « ordonné » et toute l’implication qui l’accompagne. Troisièmement, si l’on passe outre les problèmes entre riches et pauvres, le mot ordre soulève une autre problématique : si cette conclusion est un ordre, qui est l’autorité morale pour la donner et la faire respecter? Est-ce réaliste d’ordonner le succès ou l’échec, peu importe le domaine? Aucune autorité (morale, économique ou politique) ne peut assurer un succès personnel sans les efforts nécessaires que doivent fournir les individus.

A.2 : Si l’on accepte la base de cette affirmation malgré ses problèmes tautologiques et sémantiques, il s’agit d’une phrase qui se vaut si on l’interprète du point de vue du capitalisme. Celle-ci ne fonctionne pas d’un point de vue socialiste, ou encore communiste, puisque les classes sont inexistantes. Le succès est alors collectif et non pas individuel. L’attitude des personnes dans la classe d’économie est une attitude purement égoïste et individualiste. Chaque personne modifie leur comportement en rapport direct avec l’attitude des autres (ils modifient leur investissement intellectuel lorsqu’ils prennent connaissance de celui des autres, ce qui les désavantage également puisqu’ils perdent des connaissances). Dans cette logique d’agissements, le manque de perspective collective nuit non seulement à la collectivité que constitue la classe d’économie, mais nuit également à l’individu. L’attitude centrée sur soi-même sans perspective collective mènera assurément à l’échec. Les résultats désastreux de la classe demeurent des échecs (scolaires) individuels reportés sur une collectivité, et non pas l’inverse (succès collectif distribué sur des individus). Dans un contexte économique, le succès est parfois présent et parfois absent, il n’y a pas de finalité à proprement dit, c’est-à-dire que si l’échec se présente, le poids est moins lourd sur l’individu puisqu’il est reporté sur la collectivité. Ce que permet la continuité (absente de l’anecdote puisqu’une fois la session terminée, les notes sont définitives), c’est de balancer les échecs et les succès; les uns absorbent les autres (idéalement plus de succès que d’échecs!).

A.3 : En divisant la société en deux groupes bien distincts (d’un point de vue très manichéen), cette conclusion omet une importance majeure dans le fonctionnement d’une société : la complémentarité. On ne peut pas tous réussir dans tous les domaines, même en éducation. On peut maîtriser l’économie et ne pas maîtriser la composition de texte, et inversement. Un « riche » peut l’être en ce qui concerne l’économie, mais être « pauvre » en langues.

Cette « vérité » qui agit comme conclusion ne considère pas les conditions nécessaires pour atteindre le succès monétaire; il ne suffit pas d’être travaillant pour être riche; le contexte et les opportunités de l’utilisation des capacités d’une personne détermineront s’il sera « riche » ou non. Si l’on suit la logique, un pauvre (monétairement parlant) qui travaille 70 heures semaines ne mériterait pas les possibles avantages qu’apporterait un système qui partagerait les richesses au même titre qu’un riche (peu importe la manière dont il a obtenu cette situation monétaire). Cette logique fonctionne seulement sur la prémisse que l’argent (son accumulation) est la seule et unique véritable valeur déterminant le mérite.

B : La logique de la métaphore que les études représentent l’argent transforme la vision pour laquelle les étudiants qui militent se battent. Parce que l’argent prédomine tous les aspects de notre société, les chiffres en dollars canadiens ont été mis de l’avant depuis le début du conflit. À un point tel que le 1625 $ est devenu un plus grand symbole médiatique pour le conflit qu’un des chevaux de bataille du mouvement étudiant, soit la marchandisation des connaissances. Notre véritable combat n’est pas dans le 1625$, mais bien dans notre opposition à imposer un prix aux connaissances. Mais pour plusieurs individus qui ne se sont pas familiarisés avec notre discours, notre combat concerne le refus de payer un 1625 $. Bien qu’il s’agisse d’un déclencheur, la source du problème est bien plus complexe. Il s’agit d’un autre exemple de réduction médiatique du conflit dans l’imaginaire populaire actuel, réduction par l’incarnation d’une idéologie « davantage de gauche » par un OBJET capitaliste (un montant d’argent), en un symbole purement capitaliste (donner une valeur à une idéologie, dans ce cas-ci notre idéologie vaudrait, aux yeux de la population, 1625 $). Mon combat est avant tout idéologique. Le débat n’est pas si l’on doit payer ou non. Si l’on peut me justifier la hausse, je la paierais volontiers, mais le gouvernement ne peut pas. Notre vision en est une où la connaissance est un bien commun accessible à tous, nous nous battons contre une marchandisation de la connaissance. Notre gouvernement aborde l’éducation avec une mentalité de consommateur-payeur, alors que pour nous, la connaissance n’est pas à vendre, elle se doit d’être accessible à tous. L’éducation n’est pas un service, comme le gouvernement n’arrête pas de le dire, c’est un droit! Et un droit ce n’est pas monnayable… en théorie, mais en pratique c’est une tout autre réalité, même la « démocratie » à son prix. Pour ceux qui considèrent que la grève des étudiants brime le droit à certains étudiants à l’éducation, sachez que les votes d’association sont entièrement démocratiques (malgré ce que le gouvernement a affirmé dans les médias) et que les actions de grève suivent la majorité présente. Et contrairement aux élections, les votes en association fonctionnent sur les bases de la démocratie directe; chacun des points est voté, contrairement à la gouvernance que nous impose le gouvernement Charest. La démocratie ne se pratique pas qu’une fois aux quatre ans en assemblée, c’est un processus en continu. Le principe démocratique nous permet de nous opposer à une décision, et c’est ce que les étudiants font. Il est vrai que le vote de grève est toujours le vote possédant le plus grand nombre de participants, mais le reste des points (souvent des positions ou des actions à entreprendre) sont débattus en assemblée. Le « problème » pratique avec la démocratie directe c’est qu’elle prend beaucoup de temps, et en ces temps d’accessibilité immédiate, ce type de pratique semble archaïque, mais pour nous, c’est la meilleure, surtout au niveau idéologique.

Si vous n’acceptez pas cet argument du droit, je vais utiliser un exemple qui est sûr de vous toucher personnellement : les routes. Tout le peuple québécois paye pour les routes, mais pas tous possèdent une voiture. On paye pour les routes parce que la société québécoise a un jour considéré que les routes devaient être un droit pour tous, accessible à tous, que si un Québécois ou une Québécoise désirait se déplacer, il/elle pourrait le faire sur un réseau routier fourni par la collectivité. Personne, de manière massive, a demandé une réduction d’impôt sous prétexte qu’il/elle n’utilisait pas les routes du Québec. Le système routier est présent dans l’éventualité d’une utilisation. C’est la même chose avec l’éducation, elle est accessible à tous, et si demain vous décidiez d’entreprendre une formation académique vous le pourriez, et ce, peu importe votre âge. Bien sûr, certaines conditions s’appliquent (équivalences scolaires, certaines formations ou certains préalables, etc.), mais ce même genre de conditions sont présentes pour les routes (avoir une voiture, un permis, ou les utiliser avec quelqu’un qui possède ces éléments nécessaires).

À suivre

Marc-Antoine Lévesque

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