Billet de blog 21 septembre 2012

Marc Antoine Lévesque
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A. Anatomie d’un courriel et B. Conflit étudiant (Partie 5)

Marc Antoine Lévesque
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6. Conclusion 2 : « Ce qu’une personne reçoit sans avoir à travailler, une autre personne doit travailler sans en recevoir la récompense »

A.1 : Cette phrase comporte trois faiblesses. La première est que selon le point du vue du courriel, le travail ne peut résulter que par une donnée monétaire puisque tout travail, service ou compétence semble quantifiable monétairement. Le courriel dirige et impose ce qui semble être une évidence et une vérité, qui en fait est totalement faux : « En remplaçant les dollars par des notes, on aura un résultat plus concret et mieux compris par tous ». Une note n’est pas un dollar puisqu’il s’agit de deux entités bien distinctes qui sont calculées sur deux bases bien différentes. Je vais dans un extrême, mais pour bien démontrer que cette proposition est fausse, prenons l’exemple d’un analphabète. Ce dernier est manifestement désavantagé au niveau des notes (il ne peut pas lire), mais il pourrait faire un travail manuel sans problèmes. Si l’on transformait ses résultats scolaires en dollars, il serait extrêmement pauvre, mais en faisant l’inverse, en transformant l’argent gagné par son travail manuel, il aurait d’excellentes notes. Cette transformation de mesure est illogique.

A.2 : La deuxième faiblesse est le terme récompense qui constitue un choix sémantique qui dirige encore une fois la lecture de cette conclusion puisque l’usage du mot récompense implique un mérite. De plus, le terme récompense lorsque mis en relation avec l’individu (le terme « personne » dans la phrase) le rapporte à une récompense exclusivement personnelle et évacue toute possibilité d’une collectivité, tant macro que micro. Si l’on questionne l’étendue possible du terme récompense, d’autres perspectives peuvent se présenter : est-ce que la fierté d’une société, d’un peuple entier, à avoir participé à la formation de leurs médecins peut constituer une récompense? Une récompense n’est pas obligatoirement monétaire. Il faut considérer cette possibilité. Dans la ligne directrice économique que priorise le courriel, l’aspect social et collectif de tous les termes employés est évacué. Est-ce qu’une bonne formation pour nos enseignants, nos éducateurs et éducatrices, pour nos artistes, ingénieurs, architectes, etc. peut être une récompense? Est-ce que l’on peut être fier de la contribution de la collectivité, dont nous faisons partie, à leur succès, qui ultimement devient notre succès : nous serons traités par un médecin, nos enfants côtoieront des éducateurs et éducatrices, nous serons divertis ou touchés par un artiste, nous profiterons de l’expertise d’un ingénieur (peu importe son domaine) et nous serons surpris par le travail extravagant d’un architecte qui ajoute son originalité à notre environnement urbain, etc. Les répercussions de toute activité ne sont pas obligatoirement monétaires, l’affect existe encore, et le véritable affect n’est pas monnayable, en apparence possiblement, mais jamais de manière viscérale.

A.3 : La troisième faiblesse de cette phrase concerne un point mentionné précédemment, à savoir la complémentarité des individus. Un mécanicien ne peut se guérir puisqu’il n’a probablement pas l’expertise médicale requise, et inversement, un médecin ne peut pas réparer son moteur d’automobile puisqu’il n’a pas eu la formation nécessaire. L’équivalent passe donc par l’argent. Ces trois phrases sont applicables aux gens qui possèdent un emploi précis.

A.4 : Ce qui peut devenir problématique avec cette affirmation, c’est qu’elle ne prend pas en considération la « valeur non monétaire » qu’une personne peut avoir au sein d’une société. Tout apport dont peut faire bénéficier à la société un individu ne se mesure pas seulement en terme économique. D’autres types de valeur sont possibles : intellectuelle, sociale, historique, etc. Ce sont des « récompenses » que peuvent offrir ces personnes, sans pour autant les mesurer en terme d’argent. Ce qui est problématique, c’est que dans le discours économique dans lequel TOUT a une valeur monétaire, une formation professionnelle est associée à un chiffre. Dans le cas des apports culturels, intellectuels ou historiques, on peut difficilement y accoler un prix, donnant un sérieux désavantage à ces professions lorsque la justification de leur « valeur » se présente. J’admets cependant que cette phrase est applicable pour les personnes qui abusent de toute forme d’aide sociale. Je souligne ici le terme « abuser », parce que l’abus est de l’irrespect envers une collectivité. Mais la présence de ces « abuseurs » est-elle suffisante pour réduire ou supprimer cette aide? Plusieurs personnes ont un besoin réel de ces aides, alors que d’autres abusent, tous les domaines contiennent cette dynamique (abus-besoin), malheureuse pour la portion d’abus, mais bien réelle. Cet argument devient donc une vérité si nous l’appliquons au cas par cas, mais pour chaque argument, un contre-argument est possible dans la dynamique des cas personnels. La question revient donc sur un point de vue idéologique : personne/collectivité, travail/apport, récompense/valeur non monétaire.

B : Cette phrase m’est un peu confuse lorsque mis en relation avec le conflit étudiant québécois puisqu’il s’agit d’un argument qui constitue également son propre contre-argument puisqu’un étudiant doit travailler. Je m’explique. Si l’on prend la logique de la phrase comme étant l’État (les contribuables non étudiants) paye l’éducation aux étudiants sans qu’ils aient à le travailler (encore une fois tout se rapporte à une valeur monétaire alors qu’une formation académique ne peut pas être transformée en un équivalent monétaire pour les efforts fournis). Mais la réalité est que l’étudiant travaille pour sa formation, seulement ses efforts n’ont pas un chèque de paye immédiat, une preuve physique, une fois sa formation terminée. Ses efforts sont intellectuels. Et le seul moyen d’obtenir une preuve (un diplôme en l’occurrence) sans en fournir les efforts intellectuels minimum requis est de l’acheter (ou de le forger, mais il s’agit d’une autre situation). Si on entre dans la logique fournisseur-client, le client se paye les expertises d’un fournisseur. Le client est donc un receveur passif (de manière générale), alors que l’étudiant-client se positionne dans un rôle bien différent que celui du consommateur-payeur : il ne peut être passif s’il veut profiter du service. La consommation de l’étudiant (du service qu’est l’éducation) nécessite un effort que seul lui peut fournir, personne ne peut le faire à sa place, jamais je ne pourrai autant insister sur ce fait. Un équivalent serait de se payer un entraineur privé et s’attendre à perdre du poids sans faire d’exercice physique; avoir les ressources compétentes n’est pas suffisant à l’atteinte d’un objectif. L’argent déboursé, les frais, ne sont donc pas obligatoires au succès de l’étudiant, puisque, de manière concrète, le réel succès d’une formation académique n’est visible qu’une fois ladite formation terminée et appliquée sur le marché du travail, et ce, peu importe le montant d’argent déboursé pour avoir obtenu le diplôme sous forme papier. La logique capitaliste ne peut s’appliquer ici puisque la position d’un étudiant ne sera jamais celle d’un consommateur. L’argent n’influence en rien le résultat, les deux variantes essentielles possédant un réel impact sont (1) les efforts fournis par l’étudiant et (2) la qualité de l’enseignement fournis par l’institution. La récompense devient donc celle d’une formation, de connaissances acquises et non pas un chèque à déposer dans son compte en banque. Vaut mieux alors assurer la qualité d’une formation universitaire que d’assurer sa valeur monétaire. Il est vrai qu’une qualité, dans notre société, implique des coûts plus élevés (dans cette logique, de bons professeurs coûtent plus cher). À cette affirmation, je répondrais, bien que ce ne soit pas une solution, que le système d’éducation en médecine de Cuba est considéré comme l’un des meilleurs au monde, pourtant, il est gratuit. Le succès a été dans la qualité de la formation, non pas dans la valeur monétaire associée à cette formation.

 À suivre

Marc-Antoine Lévesque

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