Billet de blog 2 mai 2010

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L’économie solidaire en Amérique latine : le modèle bolivien

Certains enseignements tirés de l'économie solidaire en Amérique latine peuvent être transposés en Europe. Isabelle Hillenkamp, spécialiste de l'Amérique latine, présentait récemment ses conclusions sur la situation de l'économie solidaire dans cette région et plus particulièrement en Bolivie. Rencontre à Genève.

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Certains enseignements tirés de l'économie solidaire en Amérique latine peuvent être transposés en Europe. Isabelle Hillenkamp, spécialiste de l'Amérique latine, présentait récemment ses conclusions sur la situation de l'économie solidaire dans cette région et plus particulièrement en Bolivie. Rencontre à Genève.

Alors que la reprise se fait attendre en Europe, des voix s’élèvent à travers le monde pour promouvoir l’économie solidaire comme complément au capitalisme et comme remède aux crises. En effet, l’économie solidaire, codifié dans différentes chartes, évite les excès du néolibéralisme qui ont précipité le monde dans la récession actuelle.La Bolivie est un bon exemple d’insertion de l’économie solidaire dans l’économie marchande pour pallier les inégalités dans un pays, rappelons le, très pauvre. Dans cette région du globe, plusieurs formes d’initiatives de l’économie solidaire ont vu le jour. Isabelle Hillenkamp explique qu’il existe là-bas des organisations de producteurs (artisans, agriculteurs) soutenues par des ONG. Ces organisations bénéficient de la logistique de sortes d’incubateurs (organisations sociales d’insertion économique).Evidemment, il arrive que les entités de l’économie solidaire aient des intérêts divergents de ceux de l’économie de marché. Ainsi, certaines régions boliviennes sont la proie de luttes sociales de petits producteurs qui se sentent lésés par des intermédiaires. Néanmoins, « l’économie solidaire ne veut pas supplanter le marché, puisqu’il y a bien un échange marchand, mais combler ses failles» insiste Isabelle Hillenkamp.En Bolivie, il existe aussi quelques grandes structures de l’économie solidaire, bien qu’elles ne soient de loin pas de la taille de la multinationale Mondragon en Espagne, la seule multinationale gérée selon les principes de l’économie sociale et solidaire. Parmi les structures boliviennes « solidaires » de dimension industrielle, citons la Centrale de coopératives de producteurs de cacao « EL CEIBO ». On apprend ainsi que cette organisation met en avant une « participation démocratique de tous ses associés », qu’elle distribue équitablement les dividendes.En outre, EL CEIBO a créé une fondation dont les “principales activités sont de promouvoir la production organique. De superviser tous les programmes sociaux d’EL CEIBO, comme le paiement des retraites, l’assistance sanitaire et d’éducation pour ses associés. » Elle est aussi active dans la micro-finance pour aider les paysans qui ont peu d’accès au crédit pour réinvestir dans leur travail[1]. Cependant, Mme Hillenkamp ajoute qu’en général, le projet de la micro finance est décalé par rapport à l’économie solidaire.Autre exemple, Señor de Mayo, une grande association artisanale, qui se présente elle-même comme une « organisation leader dans le développement du commerce équitable et de l’économie solidaire latino-américaine ».[2] Elle insiste sur l’autogestion et fait preuve de succès dans les produits traditionnels qu’elle exporte dan l’UE (textiles, céramique, etc.).Le commerce équitable contribue à ce qu’Isabelle Hillenkamp appelle le paradigme pluraliste.[3] Celui-ci tient son origine du mouvement indigéniste, luttant contre les transnationales et est allié d’ONG environnementalistes. Ce paradigme est symbolisé par son chef de fil indigéniste, Evo Morales, « célébré comme le premier président « indien » d’Amérique latine. Son gouvernement, élu en décembre 2005 et réélu 4 ans plus tard, a présenté l’économie solidaire « comme un modèle de développement propre à la majorité « indienne » du pays et devant lui permettre de sortir de la pauvreté. »[4]L’économie solidaire : médiation entre économie marchande et démocratieIl faut bien comprendre que l’économie solidaire s’inscrit en réaction à un processus historique de dégradation sociale due aux réformes néolibérales à partir de 1985, sous la houlette des institutions financières internationales. En Bolivie, ces réformes entraînent de douloureux plans d’ajustements structurels qui entraînent un exode rural. En 2000, on assiste à la guerre de l’eau qui en réaction stimule la montée du mouvement indigéniste et de la critique du néolibéralisme ce qui a pu contribuer à faire croître l’économie solidaire en Bolivie. Le peuple n’a plus accès aux produits de base, alors il s’organise pour faire baisser les prix. Puis on assiste en 2003 à la guerre du gaz.Il est souvent indispensable d’arriver à un compromis entre le paradigme pluraliste-originaire et du savoir-faire productif, dans ce cas « production traditionnelle » rime avec « productivité » « Par exemple, un produit artisanal en fibre d’alpaca est idéalement fabriqué avec de la laine des troupeaux locaux, filée à la main et teinte avec des pigments naturels selon des procédés traditionnels. Pourtant, l’insuffisante valorisation de ces produits, coûteux en temps de travail, sur les marchés, a peu à peu conduit les producteurs à utiliser des fileuses mécaniques, voire à acheter la laine directement auprès d’entreprises industrielles.[5] »La stabilisation du pluralisme économique (car il existe des tensions entre par exemple égalité marchande et égalité démocratique) est un enjeu politique : il faut arriver à une institutionnalisation du pluralisme économique par la recherche du pluralisme démocratique, nous apprend Isabelle Hillenkamp.Comme on l’a vu l’économie solidaire manque de reconnaissance par le marché.Ainsi, des chocs se produisent souvent entre la sphère politique et la sphère économique.D’où la nécessité d’une médiation entre l’ordre marchand et l’ordre démocratique, médiation possible grâce à l’économie solidaire.Les mouvements sociaux d’Amérique latine cherchent donc à introduire le développement dans la démocratie. Pratiquement ils veulent établir une certification nationale pour les produits de l’économie solidaire, une consommation éthique, des programmes éducatifs et médiatiques et surtout une protection légale de la « culture et de l’identité ». Cela est indispensable pour que l’économie solidaire s’emboîte et à l’économie de marché et croisse à ses côtés.[6]


[1] http://www.elceibo.org

[2] http://www.senor-de-mayo.org/pages/01_quienes_somospag.html

[3] Isabelle Hillenkamp, L’Economie solidaire, un modèle alternatif de développement ? Une approche institutionnaliste illustrée par le cas de la Bolivie, Manuscrit auteur, publié dans "VIIIemes Rencontres internationales du Réseau Inter-Universitaire de l’Economie Sociale etSolidaire : "Economie sociale et solidaire, développement, mobilité et relocalisations", Barcelone : Spain (2008)", p. 10,11

[4] Isabelle Hillenkamp, op.cit., p.3

[5] Isabelle Hillenkamp, op.cit., p.12, 13

[6] Isabelle Hillenkamp, op.cit., p.14

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