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Le Sas-culture : Vous êtes une grande sportive, pratiquant le marathon, des treks éprouvants d’endurance, et vous écrivez une poésie attachée à de courtes sensations, des souvenirs qui passent ? Comment liez-vous les deux qui sembleraient peut-être bien opposés ?
Florence Levain : Que ce soit en courant un marathon ou même soixante-dix kilomètres, en marchant sur les sentiers du Tour du Mont-Blanc, en enchainant les longueurs de bassin ou en nageant droit devant moi dans l’océan, l’appréhension du mouvement et omniprésente dans ma vie, un mouvement synonyme de cadence.
Il me donne un rythme grâce auquel je peux m’échapper. Pendant qu’il se répète indéfiniment, au moment où je laisse se continuer le mouvement qui m’emmène, je peux écouter le temps. Alors, je bascule dans une plénitude, consciente. Je suis libre d’accueillir des émotions qui passent, des sensations que je ressens juste le temps d’un instant.
Des mots, des images, des odeurs, des souvenirs défilent dans mon esprit. Certains se fixent, se font lancinants pour s’ancrer dans le réel, d’autres passent.
Du sport qui rime avec la nature…
Certes, le sport comme un dépassement, voire comme un exutoire et une nécessité, mais de préférence sur les chemins où la nature m’apporte ses surprises, un chevreuil, les ailes colorées d’un papillon, une colonne de fourmis, une petite fleur qui s’étiole au soleil, même une marmotte que j’entends siffler sans la voir dans la montagne… Devant un paysage comme devant des mots, je peux me sentir infiniment petite devant l’infiniment grand et vice versa.
Ce que me procure le sport me permet, quand je bascule à l’état de plénitude, d’apprécier les choses qui m’entourent par fragments, par petites touches. C’est à ce moment-là que mon esprit se met en ébullition, les mots arrivent, me caressent, me cajolent pour que je les choisisse. La poésie donne la parole aux silences qui m’entourent.
Du sport comme la musique…
Pendant plusieurs années avant la course à pied, j’ai joué de l’accordéon. Rien à voir et pourtant… j’y retrouve un même épanouissement du corps de l’esprit. L’accordéon, c’est écouter, le rythme et la cadence des mesures, mais aussi la respiration du soufflet, l’âme de l’instrument. En natation, les bras et les jambes se synchronisent, la respiration varie selon la nage, mais elle est là et il faut la respecter pour glisser sur l’eau.
En randonnée, il suffit de mettre un pied devant l’autre… et pas seulement. La position du corps, le sac dans le dos, les aspérités du sentier influencent le pas et toujours son rythme, et puis, toujours, la respiration. Dans tous les cas, je m’attache à travailler ce rendez-vous avec soi, mais connectée au monde qui m’entoure. Quand le mouvement est entrainé, prend son autonomie, il met mon cerveau en mouvement lui aussi.

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La publication de Caresse bleue fait actuellement l'objet d'un financement participatif sur la plateforme Proarti (avec le soutien du Ministère de la culture). Pour vous joindre à la démarche et précommander le livre, vous pouvez accéder au site du projet ici.
Le Sas-culture : De vos cahiers de poèmes, vous avez composé un recueil, extrait un condensé. Comment avez-vous sélectionné les textes et identifié la ligne directrice qui les rassemblait. Derrière leur enchainement, quel parcours souhaitez-vous transmettre au lecteur, entre le souvenir d’instant et l’épaisseur de toute une période de votre vie ?
Florence Levain : Je voulais un recueil comme la vie, avec ses moments, comme les foulées en course à pied, comme les mouvements de bras en natation, ou la mesure en musique. Le premier cycle étant la naissance et le dernier la mort. Je suis donc partie de cette idée simple.
Entre ces deux grands moments, nous passons par différents états, différentes étapes et des rencontres multiples qui nous apportent tous quelque chose, de positif ou de négatif, notre regard change, nos émotions évoluent. C’est comme ça que l’être humain grandit.
J’ai voulu que ce recueil soit un voyage ou l’on attrape les moments quand ils se présentent à nous sans rien programmer. Enfin, j’ai tenu à finir par un hommage à ma grand-mère. Car je pense, sincèrement, que nous avons tous quelque part, une grand-mère qui veille sur nous de là-haut. La mort est aussi une transmission.
Certains poèmes me renvoient directement à des moments vécus, alors que d’autres s’attachent à une émotion plus diffuse, un instant éphémère, saisi à la volée. Je tiens à ce lien entre ce qui marque, parfois à partir de presque rien.
Pouvez-vous nous donner un exemple de l’évocation de ces petits riens ?
Je me souviens d’une journée, le premier jour du printemps, la météo était magnifique, chaude et ensoleillée. Je suis partie, à pied pour le tour de l’île Madame, cette toute petite île de Charente-Maritime dans l’estuaire de la Charente. Elle n’est accessible qu’à marée basse. J’ai marché tout autour, tranquillement, mais quand j’ai voulu retraverser au retour, la mer avait tout recouvert.
Je me suis retrouvée bloquée pour six heures sans eau, sans nourriture… J’avais fait confiance à mon instinct sans tenir compte des horaires des marées… Pour passer le temps, j’ai continué à tourner autour de l’île, une dizaine de fois, j’ai lézardé sur le sable, admiré le coucher de soleil. Je me suis imprégnée du lieu. Je me suis nourrie des silences, du chant de la mer qui monte, du vent qui affole les herbes folles.
La marée a baissé, j’ai pu emprunter la passe, rejoindre ma voiture et rentrer chez moi. Il faisait nuit depuis un moment déjà. Quelques jours après, enrichie de tout ce que j’avais engrangé, est né le poème L’île Madame. Voilà un exemple local !

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