Regrettant l'absence de diversité dans les instances décisionnelles et politiques, Mehdi Thomas Allal, responsable du pôle anti-discriminations de la fondation Terra Nova, souhaite faire « bouger les lignes ». Selon lui, le PS doit « montrer l'exemple », et diversifier ses élu(e)s et cadres, en imposant, au préalable, la « limitation stricte du cumul des mandats ».
A partir des rares études disponibles sur le sujet, il est aujourd’hui possible de dresser le constat suivant : il existe une absence de représentativité des instances politiques nationales et locales par rapport à l’ensemble des composantes de notre société. Les dernières élections régionales et surtout les récentes élections législatives ont certes constitué un progrès. Mais le renouvellement a rencontré des limites, comme l’a montré une récente note du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), en raison tout autant du sexe, de l’âge, de la diversité culturelle, mais surtout des origines sociales des nouveaux élu(e)s.
La responsabilité principale en incombe aux partis, en particulier à droite de l’échiquier politique, comme instances de désignation des candidat(e)s aux élections nationales et locales. Or, un parti progressiste tel que le Parti socialiste se doit de montrer l’exemple. Car au-delà des instances politiques, ce sont toutes les sphères décisionnelles qui sont monopolisées par une caste de grands commis, mâles, âgés d’une cinquantaine d’années, hétérosexuels et issus de milieux favorisés…
Que ce soit dans les conseils d’administration ou les conseils de surveillance des entreprises (malgré la récente loi du 27 janvier 2011), dans les médias et dans la publicité, dans les manuels scolaires, et même dans les instances représentatives du personnel et parmi les acteurs associatifs, etc., ce rapport de domination perdure et nuit à la réputation des élites françaises.
Ces dernières n’ont jamais autant été discréditées aux yeux de l’opinion. Cet accaparement accentue évidemment l’accroissement des inégalités socio-économiques. Mais il a surtout valeur de symbole dans une société minée par les communautarismes. Les minorités ethniques s’en servent comme prétexte pour se murer dans leur réaction identitaire. Les mouvements féministes demeurent impuissants vis-à-vis du non-respect des lois sur la parité, pourtant encouragées par la Constitution. La fracture générationnelle n’a jamais été aussi béante: les jeunes, en particulier les jeunes sans diplômes qui rencontrent des difficultés d’insertion professionnelle, sont placés en position de concurrence avec les seniors... Enfin, les filles et les fils issus des catégories socio-professionnelles les plus modestes sont toujours absents des lieux de pouvoir.
L’imposition de quotas dits «ethniques», loin de constituer la solution, tant elle crée plus de problèmes qu’elle n’en résoud, est avancée comme une réponse par certains lobbys. Pourtant, d’autres leviers existent. En particulier au niveau local. Certes, les collectivités territoriales n’ont pas inventé de nouveaux modèles de gouvernance en faveur d’une meilleure représentation des publics défavorisés. La gauche disposait pourtant de moyens inédits pour faire bouger les lignes. Les résultats n’ont pas été au rendez-vous.
Si l’on choisit par exemple de considérer la place des femmes dans les instances politiques locales, aujourd’hui seulement deux d’entre elles sont présidentes d’un conseil régional et six sont maires d’une ville de plus de cent mille habitants, selon les données recueillies par l’Observatoire des inégalités. De même, les maires issus de l’immigration dans les moyennes et grandes villes se comptent sur les doigts d’une main. Sans parler, bien sûr, des ouvriers et des employés!
Quels sont les moyens pour diversifier le personnel politique et administratif dans les collectivités publiques?
La désignation des candidats aux élections laisse désormais trop de place aux subtilités des rapports de force entre différents courants. Il est grand temps de remettre au goût du jour la nécessaire représentativité sociale des hommes et des femmes qui briguent le suffrage universel.
Ce qui vaut pour les élu(e)s vaut également pour les collaborateurs de cabinet. Dans sa Une du 31 mai 2012, le journal Libération titrait «les cabinets blancs de la République» en déplorant que l’Etat ne soit pas exemplaire en matière de parité et de diversité. Ces postes de hauts fonctionnaires sont en effet tous accaparés par les membres de grands corps, tandis que les femmes, les personnes issues de l’immigration et même les jeunes militants sont laissés à l’écart. Il est nécessaire d’instaurer un droit de regard extérieur sur la composition de ces cabinets pour éviter qu’ils ne se transforment en instruments de la technocratie.
Les compétences et les talents ne sont pas ici en question, puisque les personnes qui sont écartées des cabinets possèdent les diplômes nécessaires pour exercer aux plus hautes responsabilités; ils disposent par ailleurs la plupart du temps d’une expérience militante ou associative irremplaçable.
Quant aux concours, les réformes récemment menées par le gouvernement pour encourager l’égalité et la diversité dans la fonction publique, comme avec les classes préparatoires intégrées aux grandes écoles, n’apparaissent pas suffisants. Or, on sait à quel point le fonctionnariat peut constituer une première marche vers l’accès aux différents types de responsabilités.
C’est néanmoins la question de la sensibilisation et de la formation de nos instances politiques qui pèche le plus. Les commissions électorales des partis politiques doivent se donner les moyens de pouvoir évaluer les trajectoires des uns et des autres pour choisir leurs candidat(e)s aux élections. Les outils existent déjà, comme l’Observatoire de la parité, dont les missions seront renforcées sur décision de la ministre aux droits des femmes.
Si les mécanismes de persuasion ne suffisaient pas, il existe également des dispositifs contraignants applicables dans le domaine du genre, comme par exemple la suppression des dotations aux partis contrevenants.
L’épreuve de force n’est pas tout en politique. La légitimité ne provient pas seulement de la lutte, mais également d’une forme de consensus sur l’adéquation entre le profil d’une candidate ou d’un candidat avec la composition populaire de sa circonscription. Comme l’ont relevé certains sociologues comme Réjane Senac-Slawinski, il s’agit cependant moins d’imposer de nouvelles contraintes que d’améliorer les performances de l’organisation, dans laquelle la fidélité aux engagements en matière de justice sociale doit pouvoir se décliner en matière de désignation des dirigeants, quel que soit le critère de référence.
A l’instar du président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Louis-Georges Tin, nous considérons que diversité et égalité vont de pair. « La diversité sans l’égalité, c’est une jungle magnifique et féroce, où règle la loi du plus fort. Mais l’égalité sans la diversité, c’est la dictature du conformisme universel, l’hégémonie d’un modèle dominant, qui aboutit aussi, finalement, au règne du plus fort » (Le Monde des livres, 13 octobre 2011).
Il existe aujourd’hui une politique publique menée en faveur de la lutte contre toutes les formes de discrimination qui, si elle n’a pas fait l’objet de la création d’un département ministériel à part entière, n’en a pas moins intégré la nécessité d’adopter une approche transverse. Peut-être trop transverse, si l’on observe le regroupement des différentes autorités administratives indépendantes engendré par la création du défenseur des droits, y compris la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde)?
Mais, l’objectif est resté le même: rappeler que l’égalité des droits est au cœur de notre pacte républicain. Si bien que la race, l’origine, le genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, l’apparence physique, la nationalité, la religion, l’état de santé, etc., en tant que «stigmates» prohibés dans l’attribution de certaines ressources sociales, ont donné naissance à une ingénierie juridique identique pour réduire les inégalités.
Il faut s’inspirer de ce modèle au Parti socialiste! Il est urgent de constituer des réseaux parmi la société civile en vue d’affiner nos critères de sélection et d’investiture des candidat-e-s aux élections.
Les récents sondages indiquent que la société est prête. 85 % des Français se déclaraient, dès décembre 2008, disposés à voter par exemple pour un candidat issu des minorités visibles lors d’une élection législative (sondage réalisé par l’institut CSA , Les Français et les discriminations dans le monde politique, cité par Eric Keslassy). En outre, la France prend du retard par rapport à l’Allemagne où les partis politiques n’ont pas hésité à inclure dans leurs programmes l’objectif de diversifier leurs élus et cadres, que ce soit la CDU ou le SPD. Idem pour le Royaume-Uni, où des comités consultatifs ont été constitués sur ces thèmes, qui semblent démontrer toute leur efficacité.
Il nous faut bouger les lignes. C’était tout le sens de l’appel à « la France métissée » de Marc Cheb Sun et du regretté Olivier Ferrand à l’attention des différents candidats aux dernières élections présidentielles. C’est également le sens d’un parti qui se dit aujourd’hui «féministe»…
La limitation stricte du cumul des mandats constitue évidemment la première étape. Allons plus loin! Allons-y ensemble! Mais restons solidaires!