Le psychiatre François Pommier et le chercheur Frédéric Forest s'inquiètent du «caractère réactionnaire» de certains psys, qui «se servent de leur supposé savoir» pour condamner le mariage entre personnes de même sexe et l'homoparentalité.
Les psys sont depuis quelque temps très sollicités pour donner leur avis sur la question du mariage homosexuel et de l’homoparentalité. Certes, on ne peut guère s’étonner que la question soit posée à ceux qui entendent au plus près, dans l’intimité de leur cabinet de consultation, les embarras de la sexualité humaine, et ce qu’il en est dès lors de l’évolution des couples dits hors norme et des néofamilles en général.
On peut s’étonner cependant de la manière dont certains se servent de leur supposé savoir pour estimer, au titre de l’expérience analytique, que l’évolution vers le mariage –avec ses conséquences probables tant du côté de l’adoption que du côté de certaines formes de procréation déjà très en vogue dans l’univers hétérosexuel– risquerait fort de conduire tout à coup au chaos, sous prétexte que la différence des sexes n’existerait plus dès lors. La doxa voudrait que le tiers indispensable au développement de l’enfant disparaisse et que la sainte famille ne devienne qu’une mascarade et s’effondre. Répétons-le, il ne s’agit ni de dire qu’un homme est une femme, ni que la différence sexuelle est insignifiante. Simplement les psychanalystes, premiers à côtoyer dans leur pratique les méandres d’une sexualité humaine dont la complexité ne se réduit pas au sexe biologique, devraient justement être enclins à plus de prudence dans leurs appréciations.
Le mariage homosexuel, estiment certains, serait synonyme de «destruction symbolique» ou de «monde neutralisé», sorte de catastrophe anthropologique nous guettant à l’instar des idéologies de la fin du monde incapable de penser la modernité. En dehors même du fait que toutes les statistiques démentent la catastrophe annoncée concernant la santé psychique des enfants élevés par des couples homosexuels, on a surtout l’impression que les psychanalystes s’accrochent à leurs théories comme si elles se trouvaient tout à coup mises à mal.
C’est donner de la thérapie psychanalytique une vision bien étroite et simpliste. Quand bien même seraient-elles remises en cause, n’est-ce pas le propre de la psychanalyse que de toujours réévaluer la théorie à la lumière de la clinique? Comme le physicien dans le cadre de la physique quantique, le psychanalyste a le devoir de rectifier ses théories au prisme de la pratique.
Certes, l’équilibre développemental du petit humain dépend de la possibilité pour lui d’investir un personnage tiers, autre que le premier objet d’amour, pour organiser son psychisme. Mais dans quelle mesure est-il indispensable que ce tiers soit d’un sexe ou d’un autre? Le caractère réactionnaire de certains psychanalystes est à la mesure d’un certain conservatisme judéo-chrétien et les autres professionnels ont alors beau jeu de rapprocher la psychanalyse de la religion.
La chose analytique n’a pas à se mettre à la place d’un idéal moral, sauf à être instrumentalisée et pervertie. Ainsi, en ce sens, une motion du séminaire rassemblant l’essentiel des universitaires exerçant dans le secteur de la psychopathologie a été adoptée le 2 décembre 2012. La psychanalyse est et devrait être une théorie et une pratique du psychisme à l’écoute de l’inconscient, politiquement subversive, permettant d’être un peu moins dupe de l’effet de l’univers social sur l’individu.
François Pommier, psychiatre, psychanalyste, professeur de psychopathologie à l’Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense.
Frédéric Forest, chercheur associé à l’Université Paris Diderot, docteur en Sciences Politiques, auteur de Freud et la science (2010).