Après quatre mois de grève et une mobilisation exceptionnelle, ce que veulent « vraiment » les sages-femmes, le statut de praticien hospitalier, « n'a ni été entendu ni été obtenu », regrette Claudine Schalck, sage-femme et psychologue clinicienne. « Inutile par conséquent de se demander ce qu'elles voudraient encore sur l'air de celles qu'on n'arrive pas à satisfaire.»
Chaque 8 mars, on salue les femmes, on veut lutter pour leur reconnaissance, pour la fin des discriminations et l'égalité entre les sexes, pour leur liberté en toute fraternité sous nos belles valeurs républicaines.
Mais quand il s'agit de passer aux actes pour un cas d'école emblématique avec les revendications des sages-femmes, c'est la débandade. Le vent des jeux inégalitaires face aux femmes souffle pour reprendre en écho les stéréotypes d'un discours sexiste et condescendant d'une certaine idéologie médicale maintenant dévoilée. S'il s'agissait de s'adresser surtout à des hommes, aurait-on parlé avec une telle violence et suffisance des sages-femmes, profession presque exclusivement de femmes ? Doublement femme, car dédiée à leur féminité, leur sexualité et leur maternité. A l'endroit des sages-femmes, on touche aux femmes. Les revendications professionnelles des unes n'en rendent que plus visible les conditions sociales inégalitaires toujours actives vis-à-vis de toutes les autres. Les sages-femmes luttent, de grève en grève, depuis une vingtaine d'années, pour que cesse à l'hôpital leur exploitation dans l'assimilation à la filière paramédicale, pour être reconnues dans leurs droits et leurs compétences mais pour être aussi à chaque fois renvoyées à leurs fourneaux.
Cette fois encore, l'histoire se répète, madame la ministre a rendu sa décision concernant les sages-femmes par un véritable refus d'égalité.
Elle dit entendre et reconnaître comme légitimes les revendications des sages-femmes, mais elle a d'abord écouté l'idéologie corporatiste d'une autre profession qui ne veut surtout pas se retrouver sur le même pied, d'égal à égale, dans le même cadre statutaire, « praticien hospitalier ». C'est pourtant le seul cadre compatible avec la reconnaissance pleine et entière de leur spécificité médicale, en véritable complémentarité professionnelle, sans sujétion ni soumission.
L'égalité n'est pas la « mêmeté », dit Paul Ricoeur. Pourquoi reprocher aux sages-femmes de vouloir être des médecins alors qu'elles veulent seulement ce qui leur est dû, le même statut médical « PH », puisque trois professions seulement sont médicales dans la loi, médecins, dentistes et sages-femmes ? Reproche-t-on aux dentistes de vouloir être des médecins ? Quant aux pharmaciens qui ne sont pas profession médicale, ils sont devenus PH en 1984 avec un droit d'option sans autre forme de protestation.
Etre ensemble dans le même champ médical, complémentaires et différents, avec l'autonomie de la physiologie pour les unes et l'autonomie de la pathologie pour les autres, sans qu'il soit question de dépendance, de contrôle ou de soumission, voilà leur revendication.
La grossesse et la santé des femmes sont des événements physiologiques normaux qu'il faut se garder de gérer à partir de la pathologie. Le normal et le pathologique ne sont pas sur un continuum, variables en degrés, mais bien deux systèmes différents avec chacun sa propre normativité, comme a pu le démontrer Georges Canguilhem, médecin et philosophe, dans sa célèbre thèse de médecine. L'expertise de l'un ne donne pas l'expertise sur l'autre autant que les lois d'un accouchement normal diffèrent de celles d'un accouchement pathologique. Cette confusion entre ces deux états nous aura rendu iatrogènes dans nos interventions et aura quasi relégué la France au dernier rang européen des résultats de morbi-mortalité périnatale.
Ce que les sages-femmes veulent, c'est gagner leur autonomie pour la bonne santé des femmes avec un statut médical PH et devenir « premier recours » dans leur suivi. La collectivité a tout à y gagner aussi, y compris l’allègement de ses deniers publics, puisque la consultation de sage-femme revient bien moins cher et qu'elles ne pratiquent pas de dépassement comme le font la majorité des médecins de leur spécialité.
Mais pour l'idéologie menacée, c'était sûrement trop, cette entrée des femmes. On n'aura pas lésiné avec les réactions irrationnelles de déni, de mépris et de dénigrement que Françoise Lhéritier considère propres aux relations de domination.
Si comme le dit madame la ministre, « PH ou non, n'était pas le problème », pourquoi ne pas l'accorder ? Pourquoi vouloir fabriquer une filière médicale particulière alors qu'il suffisait de leur donner ce qui leur échoit de droit, l'accès à celle réelle et fonctionnelle levant toutes les ambiguïtés?
Les pouvoirs publics, par la main d'une femme, auront perdu ici une belle occasion de leur rendre cette justice inscrite dans les principes républicains. Refuser l'égalité aux sages-femmes après quatre mois de grève et une mobilisation exceptionnelle n'est qu'une politique de courte vue. Pour elles, comme après la crise dans les violences conjugales dont on ne manquera pas de parler en ce mois de mars dédié aux femmes, cette nouvelle filière n'est qu'une nouvelle soumission qui avance masquée sous une apparente séduction.
Tant d'années d'études, toujours plus d'exigences sans nouveaux droits, tant de responsabilités pour chaque naissance que bon nombre d'autres, profession médicale, n'ont jamais à affronter, pour si peu de reconnaissance et de considération. Devant les assureurs et les tribunaux, elles sont tenues de répondre de leurs actes en responsabilité égale avec celle des médecins. Et en toute contradiction elles n'auraient toujours pas l'égalité de statut ? De quoi gâcher la joie d'une naissance et l'attractivité professionnelle, fomenter frustrations, déceptions et colère. Inutile par conséquent de se demander ce qu'elles voudraient encore sur l'air de celles qu'on n'arrive pas à satisfaire. Ce qu'elles veulent vraiment n'a ni été entendu ni été obtenu.
En ce cas d'école, le combat pour l'égalité des sages-femmes, pour l'égalité des femmes continue.