Billet de blog 22 mai 2014

Les invités de Mediapart
Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.
Abonné·e de Mediapart

L'enfant et le calice

Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, et Françoise Martres, présidente du syndicat, regrettent l'abandon par le gouvernement de l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels. Tandis que, privés de filiation par certains tribunaux, « les enfants issus d’une PMA à l’étranger ou d’une GPA sont aujourd’hui les fantômes de la République ».

Les invités de Mediapart
Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, et Françoise Martres, présidente du syndicat, regrettent l'abandon par le gouvernement de l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels. Tandis que, privés de filiation par certains tribunaux, « les enfants issus d’une PMA à l’étranger ou d’une GPA sont aujourd’hui les fantômes de la République ».


L’égalité des droits pour les familles homoparentales et pour leurs enfants n’est plus à l’ordre du jour : les promesses de campagne du candidat François Hollande ont sombré dans l’eau bénite du Vatican. C’est à l’occasion de son récent déplacement à Rome, pour assister à la messe de canonisation de Jean XXIII et Jean-Paul II, que le nouveau premier ministre a annoncé que « le gouvernement s’opposera à tout texte ou amendement sur la PMA jusqu’à la fin de la législature ». Manifestement, la messe est dite.

Évincée de la loi sur l’ouverture du mariage et de l’adoption, promise dans une future et désormais très hypothétique loi sur la famille, la révision de la PMA est ainsi sacrifiée sur l’autel de l’« apaisement ».

Avec la nouvelle secrétaire d’État à la famille, les groupuscules réactionnaires auront donc vu leurs prières exaucées : l’accès aux techniques nouvelles de procréation restera l’apanage des couples hétérosexuels. Les autres, célibataires et couples de même sexe, seront condamnés à l’exil pour fonder une famille.

Il y aurait « d’autres débats de société », nous dit Marisol Touraine, de ces débats étrangers à la PMA, autour de l’école ou destinés à faire « en sorte que les enfants soient mieux protégés »

Le gouvernement décide ainsi d’ignorer la réalité en laissant dans l’ombre – et donc dans l’insécurité juridique la plus grande – ces familles auxquelles, comme à Versailles, on oppose leur « fraude à la loi » et auxquelles on refuse, pour ce motif, l’adoption par l’épouse de l’enfant porté par sa femme et né d’un projet parental commun.

Car la fraude corrompt tout : « Fraus omnia corrumpit ». Et cet antique adage romain investit désormais le champ de l’état des personnes à mesure que la société civile ébranle par ses pratiques les « fondements » de la filiation.

Sur cette base, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a récemment refusé de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance d’enfants nés d’une gestation pour autrui. Pourtant, le lien de filiation ainsi établi à l’étranger est parfaitement régulier et en rien contestable : il permet d’ailleurs à ces enfants d’accéder à la nationalité française.

Mais quel est donc cet « ordre public interne » – préservant on ne sait quel intérêt collectif en la matière… – qui interdit que l’on puisse « utilement invoquer » devant la Cour de cassation l’intérêt supérieur de l’enfant, affirmé par la convention internationale des droits de l’enfant ? Quel est ce principe si « sacré » qu’il permet de bafouer de fait le droit fondamental de se voir garantir une filiation stable et sécurisée avec ses parents ?

Et d’ailleurs à Versailles, qui est le fraudeur ?

Est-ce la mère qui a accouché sur le territoire national d’un enfant conçu d’une PMA réalisée à l’étranger ? Pourtant la filiation de l’enfant à son égard est incontestable et parfaitement régulière en France, du seul fait de l’accouchement !

Est-ce alors l’épouse adoptante ? Mais celle-ci demande uniquement l’application de la loi ouvrant aux couples mariés de même sexe la procédure en adoption !

Ce serait donc une fraude à la loi sans fraudeur avéré ? Et où est la victime ?

La loi ouvrant le mariage et l’adoption n’a jamais entendu exclure les enfants issus d’une PMA à l’étranger de ce dispositif, bien au contraire. Mais elle ne l’a pas dit explicitement et lorsque ce ne sont pas les juges qui rejettent les demandes d’adoption, ce sont certains parquets qui s’opposent systématiquement à ces demandes jusqu’à interjeter appel des adoptions prononcées. D’autres juridictions diligentent des enquêtes tout aussi inutiles qu’humiliantes pour ces familles, autant d’épreuves auxquelles la loi française ne soumet pas les couples hétérosexuels recourant à la PMA.

Une nouvelle circulaire d’application suffirait-elle à mettre un terme à ces divergences de jurisprudence sur le territoire qui conduisent à une inégalité des citoyens devant la loi ?

Certainement pas. C’est à vous, parlementaires, de prendre vos responsabilités pour mener à son terme l’évolution de notre droit de la filiation. Il faut enfin sortir d’un « droit des familles obscurci et colonisé », depuis si longtemps, non par la PMA comme le prétend Laurence Rossignol, mais bien par la primauté du biologique sur le projet parental, cet engagement total, accessible à chacun, indifférent à l’orientation sexuelle.

Les enfants issus d’une PMA à l’étranger ou d’une GPA sont aujourd’hui les fantômes de la République : le « péché originel » de leur conception entacherait-il à jamais l’étendue de leurs droits ? Va-t-on en faire les nouveaux enfants « illégitimes » de notre société, comme le furent en leur temps les enfants dits « naturels » ou « adultérins » ?

Il n’est pas tolérable qu’une inégalité des droits se fonde ainsi sur les circonstances de la naissance. Et il est aussi grand temps qu’en France la procréation médicalement assistée soit enfin ouverte à tous ceux qui nourrissent le projet de devenir parents. C’est aussi cela, Madame Touraine, faire « en sorte que les enfants soient mieux protégés » !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte