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Billet de blog 5 septembre 2025

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Frapper les pauvres !

« Frapper les pauvres » le titre de la dernière œuvre de Jean-Paul Delahaye, un roman, est lui-même… frappant. L’ancien inspecteur général et directeur de l’enseignement scolaire repose sous une nouvelle forme la question décisive du rapport des pauvres à l’Ecole.

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Illustration 1

C’est une bien belle maison d’édition que la Librairie du Labyrinthe qui publie le dernier livre de Jean-Paul Delahaye « Frapper les pauvres ». Elle maintient contre vents et marées la grande tradition des libraires éditeurs. En pays picard, à Amiens, entre la cathédrale gothique et le beffroi, Élise Danloy et Philippe Leleux ouvrent la libraire en 1988 et fondent la maison d’édition en 2000. Leurs premières publications : une dizaine de livres sur la Picardie dont un Dictionnaire Picard – Français et Français – Picard, « L’amassoér ». Oeuvre de Marie-Madeleine Duquef, c’est aussi une œuvre littéraire, recueil des petites histoires du quartier Saint-Leu, ouvrier et populaire. La ligne éditoriale est claire . Elle marie les cultures populaires à l’histoire sociale. Elle est notamment illustrée par les livres de Philippe Leleux, en particulier « Les cabotans d’Amiens. Des marionnettes au service du peuple » qu’il présente sur France Bleu.

Illustration 2

C’est de façon toute naturelle que la Librairie du Labyrinthe publie Jean-Paul Delahaye, de lignée populaire picarde. Dans un premier livre « Exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine », paru en 2021, celui-ci donne un témoignage émouvant sur le parcours d’une famille pauvre et décrit sa remarquable ascension sociale au sein d’une institution qui conforte les inégalités autant qu’elle prétend les combattre. Cet ouvrage illustre la fidélité de Jean-Paul Delahaye à ses origines et à ses valeurs. En 2015, il avait rendu son rapport sur la "grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous" en tant qu’inspecteur général. Rapport suivi en 2002 par un essai politique "L'école n'est pas faite pour les pauvres, pour une école républicaine et fraternelle" Editions Le bord de l'eau.. Connu, invité dans certains médias et par de nombreuses organisations laïques, Jean-Paul Delahaye aurait pu s’adresser à un "grand" éditeur pour publier « Frapper les pauvres ». Sa fidélité s’exerce aussi dans ce domaine. La Librairie du Labyrinthe publie ce roman. Inutile de préciser qu’il faut s’adresser à la Librairie ou à un de ses confrères pour se procurer l’œuvre et non à une quelque plateforme américaine.

Un roman, donc, qui complète et parachève l’engagement déterminé de l’auteur. Il s’agit d’un tout autre exercice que de rédiger un rapport, un essai et même un témoignage. Le talent littéraire est bien là : deux, trois, personnages et quelques autres sont campés avec une parfaite économie de moyens. Deux jeunes hommes demeurent en Seine-Saint-Denis. Le premier, Brandon Cissé, a des parents maliens. Le deuxième, Dylan Youssef, a une mère française et un père algérien. Et une petite amie, Elsa, dont l’origine n’est pas précisée. Leurs propos scandent l’ouvrage. Ils décrivent leur situation, celle d’excellent élèves de collèges de banlieue. Alors que leurs camarades de classe (dans les deux sens du terme) poursuivent leurs études au lycée professionnel Croizat, ils sont invités à rejoindre un internat d’excellence parisien, le lycée Clovis. Les internats d’excellence sont un dispositif mis en place par le ministère de l’Education nationale en 2008, dont le bilan est contrasté.

Le roman donne à voir le parcours des deux héros qui changent de monde. L’auteur n’hésite pas à caractériser la situation sociale existante qui évoque les propos de Charles Fourier : « Frapper les pauvres, c’est encore ce qu’on a trouvé de plus simple pour faire disparaître la pauvreté », voire ceux de Charles Baudelaire « Assommons les pauvres ». Mais il se refuse au manichéisme. Dylan et brandon sont rejetés par certains lycéens et soutenus par d’autres. Ensemble, ils se lancent dans une belle aventure, celle de rédiger, à l’initiative d’Elsa férue d’histoire, dans la rédaction de cahiers de doléances significativement nommées « Brèves d’en dessous ». Peut-être un clin d’œil aux « Brèves de comptoir » de Gourio et/ou une discrète évocation des deux périodiques anarchistes nommés « L’Endehors » ?

Dans les « Brèves d’en dessous », tout est inventorié : les soucis des parents, les galères de la vie quotidienne, les sorties scolaires, les vêtements, l’alimentation, la santé, la violence, la mixité sociale, les devoirs (à la maison), les différentes attitudes des professeurs, l’orientation… On retrouve dans cette longue collection de remarques des jeunes l’attention bienveillante dont fait preuve Jean-Paul Delahaye. Une mine de réflexions et de pistes pour les actrices et les acteurs de l’éducation. Bien sûr, tout ne va pas bien se passer dans la suite du roman, encore que… Mais on se gardera de dévoiler ici la fin de cette aventure. Celles et ceux qui ont apprécié le désormais fameux roman "Leurs enfants après eux" de Nicolas Matthieu apprécieront à sa juste mesure celui de Jean-Paul Delahaye. 

Jean-Paul Delahaye a détaillé son inspiration et ses objectifs dans deux entretiens publiés par le Café pédagogique :
Première partie.
Deuxième partie.

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