
« On voudrait bien, mais on ’sait pas bien. »
Placardé devant le double mur des rotondes et de la route à grande circulation, un couple qu’on devine ancien : 63ans d’âge, ça ferait remonter en 1948, l’année où y’avait encore une Palestine...
– Y’avait déjà plus de Palestine à ce moment-là !... Qu’est-ce que tu racontes, voyons !...
Parole facile. Leurs envies ont été satisfaites et ils n’ont pas de grandes colères. Leur intérêt est tout trouvé : dans leur existence même !... un luxe qui ne se voit pas, mais qu’ils disent très volontiers. Ils ont grandi et vécu en France. Ouvriers. Cheminots. Lui, à 16ans. Elle ?... Rien ! La couture, les petits travaux ménagers... Juive de naissance, mais rien de religieux, rien. Ils se sont connus pendant la longue grève des cheminots, en juin 1968, où, au moment de reprendre le boulot, il y avait si longtemps que les trains n’avaient pas circulé que les rails commençaient de rouiller.
Il faisait les nuits, les trois-huit, à poser les sabots pour les aiguillages ; les événements ont réveillé le peuple, mais gaffe quand on n'avait pas la nationalité ; ceux qui bloquaient discutaient et les autres écoutaient, et c'est comme ça les rencontres, à deux ; on se plaît, on reste ensemble, voilà, c’est tout.
Elle, avec son père cheminot... Voilà comment les choses se sont faites. Simplement, à se voir. À ce moment-là, c’était pas comme maintenant, si on se plaisait, on se tenait tranquille pour l’autre, et bien content de pouvoir faire sa vie avec quelqu’un de bien, respecté et tout, apprécié par les amis, la famille... – Quelle différence ?... Y’avait pas de différence !...
« Lui, il parle français avec un fort accent arabe, et il parle arabe, en plus, c’est ça qui fait son charme, et puis, il a toujours été à la hauteur, je n’ai manqué de rien avec lui, il était toujours de mon côté, il me faisait confiance pour les décisions ; et puis, on pouvait avoir des enfants et on en a fait. Cinq. Tous grands et partis maintenant, avec une situation. »
La situation en Palestine ?... On ne sait pas bien, en vrai. Ça nous dépasse, qu’est-ce qu’on y peut ?... Oui, il y a des Français qui partent pour soutenir Gaza, la Cisjordanie, un état palestinien autonome, on sait, on sait, mais on n’a rien à voir avec Israël et avec Palestine... Un couple arabe et juif, ça prouve quoi ?.. qu’il faut ne plus se considérer arabe et juif pour pouvoir vivre ensemble ?.. parce qu'on est Français surtout ; on ne connaît ni Israël ni Palestine, et on a des amis des deux côtés. Avec leurs attentats, ils nous font de la peine, vraiment, mais on ne comprend pas les guerres qu’ils se font là-bas, les murs, les check points, et l’année dernière les neuf Turcs de la flotille Free Gaza tués par Israël, on se souvient, mais qu’est-ce qu’on y peut ?... Même les diplomates turcs continuent les relations, alors !... C’est trop l’enfer, là-bas, ça ne donne pas envie d’y aller vivre.
Tenez, ce SMS reçu de Roissy Charles de Gaulle le 8 juillet à 20h, expédié à 18h15 :
Charlette m’appelle en pleurs. Les CRS ont chargé. Il y a des blessés. Quelqu’un à côté d’elle est blessé au dos. Elle ne sait pas trop comment s’y prendre pour la soigner ou du moins lui venir en aide. De plus, des gaz lacrymogènes ont été lancés. Des charriots ont été renversés sur des personnes. C’est un peu la panique, j’ai eu du mal à la quitter au téléphone. Juste un peu avant elle me signalait par SMS que 50 personnes ont réussi à atterrir à Tel-Aviv mais ont été tout de suite privées de leur passeport et placées en rétention. Les Arabes auraient été séparés du groupe et tabassés. H.C. son correspondant.
On veut bien, nous, mais allez savoir, derrière !... Au festival, ils parlent de ça ?...
Palestine Check Point au théâtre des Corps Saints, 76, place des Corps saints à 18h.