Alors que s'ouvre leForum culture 2011, organisé par le ministère de la culture et de la communication, Sylvie Robert, secrétaire nationale à la culture du Parti socialiste, critique la politique libérale du gouvernement dans ce domaine. La «culture pour chacun»? Une «politique de repli».
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La culture pour chacun, bonsoir ! Depuis la note rédigée par deux conseillers de Frédéric Mitterrand et sa traduction en directive nationale d'orientation pour 2011, la «Culture pour chacun» était censée être un «axe structurant» de la stratégie du ministère de la Culture et de la Communication. Mais très vite, sous le flot des critiques, le ministre a noyé son slogan dans un gloubi-boulga marketing, et le forum national qui va avoir lieu vendredi 4 février 2011 à la Villette est devenu «Culture pour chacun, culture pour tous et culture partagée». La confusion est désormais totale. Et pour cause !
La citation empruntée à André Malraux, incontournable référence culturelle de la droite française, est particulièrement mal choisie. D'abord, parce que quand il s'adresse à l'Assemblée nationale, le 27 octobre 1966, Malraux a une grande ambition : traduire budgétairement ses orientations politiques. Or, la «culture pour chacun» sert surtout à justifier la baisse de financements de l'Etat. Ensuite, parce que pour Malraux, la définition de la démocratisation consistait à mettre à disposition des œuvres, c'est-à-dire à développer une politique de l'offre basée entre autres sur des équipements culturels - notamment par les maisons de la culture, les fameuses «cathédrales». Toute sa politique était sous-tendue par l'idée que la transmission culturelle fonctionnait par le seul pouvoir de révélation de chaque œuvre. Un pouvoir de «révélation» qui a du même coup écarté (à tort) de son champ l'Éducation nationale, l'éducation populaire... et a montré ses limites, comme l'attestent les faits, les enquêtes et les études actuelles sur la diversification de la composition des publics.
Il ne reste donc de la «culture pour chacun» qu'un slogan, dévoyé et décontextualisé, labellisé «Malraux». Le procédé est récurrent. Le président de la République y a déjà eu recours en citant «la politique de civilisation» d'Edgar Morin et «l'identité n'est pas une pathologie» de Claude Lévi Strauss, auteurs résumés, récupérés et réduits à un simple argument d'autorité ou à ce que les Anglo-Saxons appellent le name dropping.
Exit donc la «CPC», même si la logique de fond perdure. Celle de l'idéologie Fillon-Sarkozy, mélange de libéralisme économique et de néoconservatisme, fondée sur le mépris des fonctionnaires d'un ministère dont il n'a jamais su quoi faire. Encore une fois, ce discours lénifiant cache la triste réalité d'une politique qui touche la culture de plein fouet : entre la RGPP, la mise en difficulté budgétaire des collectivités territoriales, principales sources de financement du secteur, la braderie de notre patrimoine national, l'abandon d'une grande politique de rayonnement culturel international, la fragilisation des compagnies, la baisse des marges artistiques des lieux culturels, l'écart entre le discours et les actes devient inquiétant et démontre que le ministère navigue à vue.
Quand le talent d'un politique est de savoir rassembler pour créer ce vivre-ensemble fondé sur des valeurs d'exigence démocratique, la «CPC» oppose, divise, simplifie l'histoire de nos 50 dernières années de politiques culturelles pour en tirer des conclusions hâtives et avancer des solutions simplistes : la culture pour tous contre la culture pour chacun, les élites contre le peuple, la culture savante contre la culture populaire. Comme si le peuple français était incapable de se saisir de la complexité d'une pensée, comme si ce peuple ne pouvait pas être traité autrement que comme une masse inculte.
Comment ne pas y voir non plus une politique de repli qui consiste à cantonner chacun à ce qu'il connait ou qu'il a déjà, renvoyant à la culture du chacun chez soi ? Une vision libérale qui délégitime l'action publique, laisse certains en prise avec les seules forces du marché des produits culturels et réserve à d'autres ce qu'elle ne cesse de qualifier d' «excellence». Quelle crédibilité accorder à un ministre qui demande à une politique culturelle de tisser le lien social que la politique économique et sociale du même gouvernement détricote chaque jour ? Comment ne pas voir le tour de passe-passe d'une politique culturelle qui après avoir oublié les publics, oublie les artistes ! Alors même qu'en cette période de nivellement et de marchandisation, une politique culturelle doit au contraire garantir le soutien et la liberté des créateurs pour leur permettre de livrer un regard critique et prospectif sur le monde à venir. Comment accepter le satisfecit des auteurs sur «le développement significatif de l'éducation artistique» alors que les moyens consacrés à la transmission des savoirs ont été sérieusement amputés, et qu'il ne reste plus que la dérisoire institution d'un enseignement obligatoire des arts, sans heures ni professeurs dédiés.
Tout au contraire, l'enjeu est de refonder une action publique capable de se positionner comme rempart contre l'uniformisation et pour la diversité culturelle, mettant au centre de son projet la transmission et l'éducation comme moyens d'égal accès de tous au sensible ainsi qu'à la reconnaissance de l'autre, et réaffirmant le rôle essentiel des artistes comme expression de notre complexité humaine. Tout ceci ne peut se réaliser qu'en préservant le rôle essentiel que jouent depuis des années les collectivités territoriales en matière culturelle, dans le cadre d'un partenariat renouvelé avec l'Etat. Il s'agit désormais de construire une politique du partage de l'acte poétique et de l'intelligence, d'édifier une société où tous les acteurs des arts et de la culture (créateurs, publics, institutions...) - des plus professionnels aux moins spécialistes - propageraient, par le partage et la reconnaissance, le sens de la vie en commun.
La culture comme création d'un sens commun serait une politique culturelle qui expérimenterait une nouvelle alliance, un nouveau contrat entre les artistes, les acteurs de la culture et les citoyens : telle est l'ambition que nous portons aujourd'hui.