Comment une crise, celle des subprimes, née des disfonctionnements du marché et de ses acteurs privés, aboutit à la mise en cause de la dépense publique et des Etats, accusés de creuser les déficits? Un retournement que dénonce Michel Dévoluy, professeur d'économie à l'université de Strasbourg.
------------

La brutalité des mesures qui étaient menées par trois institutions localisées dans la capitale américaine (le FMI, la Banque mondiale et le Trésor américain) en vue de redresser les économies en difficultés est connue. On a d'ailleurs parlé, depuis 1989, du « Consensus de Washington » pour désigner ces politiques très libérales qui ont font peser le poids du redressement sur les plus faibles, notamment dans les pays d'Amérique du sud. A force de critiques, cette approche radicale faisait moins recette. Mais la crise permet d'en réintroduire l'esprit à travers son avatar : le Consensus de Bruxelles.
Ainsi, tout est bien qui finit bien pour les défenseurs du néolibéralisme. La crise déclenchée par les subprimes aboutit à se focaliser sur les périls des dépenses publiques. Mieux, cette crise permet d'accélérer le lent mais systématique recul des services publics et des mécanismes de solidarité entrepris, en Europe, depuis la mise en place du marché unique.
Précisément, le retour à l'orthodoxie libérale s'effectue sous nos yeux en deux temps : le discours sur la sortie de crise et la remise en cause de la crédibilité financière des Etats.
La crise a naturellement entraîné un creusement majeur des déficits. Des sommes gigantesques ont été mobilisées dans le sauvetage des banques puis dans les plans de relance. Parallèlement, la chute de l'activité économique a mécaniquement réduit les recettes fiscales tout en entraînant un accroissement des dépenses de solidarités.
La hausse des déficits était donc inéluctable. Et il faudra du temps pour les résorber. Se précipiter en instaurant des politiques de nature déflationniste freinerait la reprise tout en faisant peser les coûts d'ajustement sur les revenus des plus faibles et sur les dépenses de solidarité. Pourtant, c'est bien ce type de politique économique que les responsables européens semblent privilégier.
Ces stratégies de redressement rapide des comptes publics reposent sur l'idée que les déficits publics résulteraient, avant tout, de l'incapacité structurelle des Etats à maîtriser leurs dépenses. Il faut donc vite redresser la barre ! Mais ces analyses occultent le fait que le gros des déficits vient de la crise et que celle-ci provient des disfonctionnements des marchés et de la cupidité des acteurs privés. Le renversement est ici magistral. Les problèmes ne résultent pas des errements du système d'économie libérale mais du poids de l'Etat et des dépenses sociales.
Cette pensée est non seulement obstinée, ce que l'on peut admettre, mais elle est aussi revancharde, ce qui est moins glorieux. En effet, les attaques contre les finances de certains Etats afin de mettre en cause leur crédibilité sont méprisables. Déjà, et pour commencer, l'acronyme anglais utilisé pour les désigner (PIGS ou PIIGS pour Portugal, Ireland et/ou Italy, Greece et Spain) est très douteux. Mais, plus fondamentalement, tout se passe comme si le monde de la finance n'avait pas digéré d'être mis en cause. Pire, les Etats entendaient les réguler. Quelle offense aux vertus du libéralisme ! La réponse ne s'est pas fait attendre. Haro sur les Etats qui montrent des signes de faiblesses financières. Leurs déficits ne sont-ils pas la preuve de leurs incapacités à gérer ?
Avec cette vision des choses, l'Etat redevient le problème. Il n'est pas la solution. Et pourtant, quelle ingratitude ! Les Etats ont sauvé les banques et voilà que celles-ci les défient. Certes, des problèmes comme la présence d'une forte économie souterraine en Grèce existent. Mais les découvrir lorsque les déficits augmentent du fait de la crise revient à tirer sur une ambulance. Le but est clair. Il s'agit de décrédibiliser les Etats afin de légitimer la stratégie libérale.
Les premières réactions face à la crise ont pu donner l'impression que la vision dominante du fonctionnement de l'économie évoluerait. L'Etat et les solidarités seraient enfin reconnus comme les moteurs d'une croissance durable et équitable. Mais le résultat est inverse. Les lourds engagements financiers des puissances publiques servent de prétexte à la promotion des réformes de tonalité libérale.
Au final, les citoyens économiquement les plus fragiles sont doublement pénalisés : ils payent la crise et le traitement de la crise. C'est l'injuste retour des choses.
---------
Prolonger: L'Observatoire des politiques économiques en Europe