Billet de blog 1 mai 2010

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Florence Cassez: «Une seule issue: faire reconnaître mon innocence»

Françoise Escarpit est journaliste. De 1989 à 2002, elle a été correspondante à Cuba et au Mexique. Elle a pu rencontrer récemment Florence Cassez, détenue au Mexique, à la prison de Tepepan, pour une affaire d'enlèvement dans laquelle elle continue de clamer son innocence.

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Françoise Escarpit est journaliste. De 1989 à 2002, elle a été correspondante à Cuba et au Mexique. Elle a pu rencontrer récemment Florence Cassez, détenue au Mexique, à la prison de Tepepan, pour une affaire d'enlèvement dans laquelle elle continue de clamer son innocence.

Le quartier est plutôt cossu. Derrière les murs des propriétés sécurisées, de grandes maisons se cachent dans le rouge des bougainvilliers et le bleu des jacarandas. A trois rues, d'autres murs, gris, surmontés de barbelés, enferment quelque 600 femmes. C'est la prison de Tepepan, au sud de Mexico, dans laquelle se trouve Florence Cassez, condamnée à 60 ans de prison pour participation à des enlèvements.

Le 8 décembre 2005, elle est arrêtée par des policiers déguisés en ouvriers, avec son ancien compagnon, Israel Vallarta, alors qu'elle venait de récupérer chez lui des meubles pour s'installer dans un appartement proche de son travail à Mexico. Ils seront gardés et interrogés séparément puis réunis, le 9 au petit matin, dans une mise en scène destinée à la presse, au cours de laquelle seront "libérés" les otages et "arrêtés" les ravisseurs. Depuis le premier jour, Florence a affirmé qu'elle ne connaissait pas les victimes et ne savait rien de cette affaire. Son compagnon a, sous la violence, reconnu sa participation, puis s'est rétracté mais il a toujours mis Florence hors de cause. Il est enfermé à la prison de haute sécurité de La Palma en attente de son jugement.

C'est dimanche, l'un des quatre jours de visites à Tepepan. Au fond de la grande salle qui sert de parloir, sur une table, des objets réalisés par les détenues, à vendre pour améliorer le quotidien. Arrivent des fils pour leur mère, des grands-mères, avec des petits-enfants à leur charge le temps, parfois long, de la peine de leur fille, quelques maris pour leur femme, des familles entières... Les tables se couvrent de bouteilles de coca-cola, de paniers de tortillas (galettes de maïs), de verres en plastique de toutes les couleurs, de nourriture pour changer l'ordinaire de la prison. Les détenues sont en bleu marine, seule obligation vestimentaire. On a plutôt l'impression d'une grande kermesse que d'un jour de parloir dans une prison où des femmes de tous âges purgent de lourdes peines. "Pourtant, dit Florence Cassez, il faut voir la tristesse de celles qui ne reçoivent jamais personne et sont confinées dans leurs cellules, et l'état de dépression qui nous saisit toutes après ces visites." Quelques détenues circulent de table en table, aidant les uns et les autres. Ce sont les "estafetas" (coursières), qui n'ont jamais de visites mais que leur bonne conduite autorise à sortir de cellule.

Très mince dans sa robe d'été bleu marine, légèrement maquillée, boucles d'oreilles et pendentif, Florence, en détention depuis quatre ans et demi, refuse de se laisser aller. Tous les matins, elle se lève vers 6 heures, se douche avant les autres, s'habille et se maquille comme en résistance au temps.

"L'enfermement, ça rend fou! Il y a des filles très instables ici, sans cesse du bruit. Nous sommes les unes sur les autres, il y a des fouilles la nuit. Nos heures de sommeil sont grappillées. Pourtant, je suis seule dans une petite cellule, dans une sorte de grand couloir où donnent des cellules de quatre, fermées par un rideau, et où se trouvent les toilettes, les douches et deux téléphones. Je consacre une grande partie de mon petit budget à des cartes téléphoniques. Ce lien avec l'extérieur et avec ma famille est essentiel. En juillet 2009, j'ai été punie et envoyée trois jours dans une autre prison pour avoir donné une entretien téléphonique en direct à une radio. Au retour, pour me protéger, j'avais deux gardes en permanence derrière moi, de gros barreaux aux grilles (contrairement aux autres cellules) et des caméras de surveillance. C'était peut-être nécessaire. Il y avait une hostilité au début mais cela a changé. Je suis un peu une bête rare et, depuis la sortie de mon livre en France (A l'ombre de ma vie), dont la presse mexicaine a parlé, j'ai eu droit à des paroles d'encouragement, de sympathie discrète, à l'intérieur de la prison comme des gens qui viennent en visite."

C'est aussi un appel téléphonique qui lui a, probablement, valu de se faire enfermer dans le piège juridique. Elle voit, en février 2005, Genaro Garcia Luna, alors directeur de la police et auteur de la mise en scène médiatique, et aujourd'hui ministre de la Sécurité publique, affirmer à la télévision que l'arrestation a eu lieu le 9 décembre. Elle appelle et lui dit en direct qu'il ment. Dès ce jour, deux des trois victimes qui ne l'avaient pas reconnue le jour de leur libération la chargent au maximum et font basculer l'opinion publique contre elle. Aucune autre piste n'a été explorée alors qu'il en existe au moins deux: vengeance familiale contre les personnes enlevées ou vengeance professionnelle contre son frère, installé de longues années à Mexico.

Florence a, au début, essayé d'occuper les journées. "J'ai donné des cours de français à l'école de la prison mais, des 27 inscrites, il n'en est rapidement resté que deux. Les filles ne se tiennent pas aux activités. Des profs venus de l'extérieur nous faisaient faire du sport, du volley, du tennis, du basket. J'allais à la messe. Je me sentais abandonnée. On m'avait offert une bible et j'essayais de me raccrocher à quelque chose. Je n'y vais plus parce que je voyais des filles qui, en sortant, recommençaient à voler, à dealer, à se droguer. Après la visite de Sarkozy, j'ai tout arrêté. Je fais de colliers dans ma cellule. Je n'essaie pas de les vendre ici. Je reste tranquille, je ne veux pas créer de jalousie."

Malgré une apparente sérénité, Florence a sans cesse les larmes tout au bord des yeux. L'émotion la déborde. La récente confirmation publique de la mise en scène de son arrestation ne la réjouit pas outre mesure car, pour elle, "le dossier est clair depuis le début et j'ai été condamnée par des gens qui ne l'ont jamais vraiment ouvert." Elle se souvient de la première condamnation, en 2008, quand ses avocats étaient persuadés qu'elle serait relaxée. "J'ai demandé par écrit à voir la juge. Elle est venue avant de donner son verdict. Elle m'a posé plein de questions. Elle n'avait assisté qu'à deux des dizaines d'audiences qu'il y a eues. Elle était toujours représentée. A la fin, elle m'a dit: 'Il est temps que tu rentres en France aider ta mère à la cuisine.' Et elle m'a donné 96 ans (dont 20 ans effectifs pour confusion de peines, NDLR). Je ne peux pas penser qu'on puisse être aussi cynique. Elle a subi des pressions."

L'autre grande désillusion de Florence, celle dont elle ne se remet visiblement pas, c'est l'annonce, en 2009, par son père, de sa sortie à l'occasion de la venue du président français en visite au Mexique. Avant sa visite officielle, en mars 2009, il avait reçu une lettre du président Calderon qui l'avait conduit a affirmé aux parents de Florence qu'elle serait avec eux pour l'été. Mais, juste avant son arrivée, en appel, Florence en prenait pour 60 ans. "J'ai fait une dépression pendant six mois. J'ai refusé de prendre des médicaments mais je me suis fait aider psychologiquement. J'étais à bout de nerfs. Depuis, je me protège. Quand quelqu'un me dit 'ya te vas' (ça y est, tu sors...), je ne peux pas me permettre de devenir euphorique. J'ai pris de la distance. Je ne pense pas à des dates."

La jeune femme espère beaucoup de la sortie de son livre traduit en espagnol car, après la publication récente de celui de deux journalistes, Anne Vigna et Alain Devalpo, Peines mexicaines, on sent dans l'opinion publique, dans la presse, chez certains intellectuels, un frémissement d'intérêt pour le cas Cassez et la progressive disparition de ce sentiment nationaliste qui a fait les titres et l'opinion en 2005. Mais Florence Cassez a changé elle aussi. "Je ne suis plus cette petite Française individualiste, qui ne regardait pas les autres. Je m'intéresse à ce qui se passe autour de moi. Je lis les journaux. Je préfère la personne que je suis devenue. Je ne veux plus entendre parler de transfert dans une prison française. J'étais contre mais on m'a convaincue que c'était le mieux. C'est fini. C'est clair dans ma tête. Je veux que l'on reconnaisse mon innocence. Je dois garder des forces car c'est comme un marathon dont je ne vois pas l'arrivée."