Billet de blog 1 octobre 2010

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Crimes de guerres, crimes contre l'humanité: la France invente le bouclier pénal

Par Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris, membre du Groupe d'action judiciaire de la FIDH, et Sahand Saber, élève avocat.

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Le Statut de Rome confie aux Etats la mission d'élaborer dans leur cadre national une législation renforçant la coopération internationale et assurant la répression des crimes de guerre, contre l'Humanité et de génocide.


La France a introduit dans sa législation pénale, après bien des tergiversations, les dispositions prévues dans le Statut de Rome portant création de la Cour Pénale internationale. Si cette transposition est désormais effective, elle n'en demeure pas moins décevante en raison de sa portée extrêmement limitée. Cette transposition ne respecte, en effet, ni la lettre ni l'esprit du Statut de Rome.

En effet, le législateur français a, en définitive, permis aux auteurs présumés des crimes les plus graves d'échapper facilement à toute sanction en cas de présence sur le territoire français. Ainsi, la loi prévoit que les suspects ne seront passibles de poursuites que s'ils résident habituellement sur le territoire français. L'auteur d'un crime défini dans le Statut de Rome pourra dès lors circuler librement en France s'il entend ne pas y résider de façon permanente... à lui d'y veiller ! Cette condition présidant à l'application du Statut de Rome constitue une entorse significative, vidant entièrement le texte fondateur de sa substance.

Le texte voté par l'Assemblée Nationale le 13 juillet dernier a posé quatre conditions cumulatives pour que des poursuites puissent être engagées en France. Outre la condition de résidence habituelle, les conditions sont: le monopole des poursuites confié au Parquet, la double incrimination et l'inversion du principe de complémentarité. Ces trois autres conditions suscitent tout autant l'interrogation.

Le monopole des poursuites confié au Parquet cache, en réalité, la possibilité pour le gouvernement de contrôler le déclenchement de l'action publique ; par exemple, dans les affaires où les intérêts économiques de la France seraient en jeu, dès lors que des responsables politiques ou militaires de pays partenaires seraient mis en cause. Les victimes n'ont aucun pouvoir d'initiative puisqu'elles ne peuvent déposer plainte avec constitution de partie civile comme c'est pourtant le cas en matière criminelle. Étrange paradoxe: plus le crime est grave, moins la victime a de droits ?

La double incrimination est la condition qui permet la répression d'un acte s'il est également réprimé dans le pays où il a été commis. Cela implique alors que le pays dans lequel ce type de crime a été commis soit désormais un Etat de droit, ou tout au moins un Etat déterminé à coopérer avec les instances judiciaires internationales. On ne peut pas dire qu'il s'agit là d'un signal fort adressé aux régimes autoritaires ou aux Etats violant les lois internationales dans le cadre de conflit armés.

Enfin, l'inversion du principe de complémentarité implique que la CPI décline expressément sa compétence dans le cadre d'une affaire alors même que le Statut de Rome accorde aux juridictions nationales la priorité des poursuites. L'effet direct d'une telle règle sera de retarder la saisine des juridictions nationales.
Le Sénat avait adopté le 10 juin 2008 l'amendement relatif à la résidence habituelle et vidant la notion de « compétence universelle » de toute effectivité. En votant le texte dans les mêmes termes, les députés ont « neutralisé » la mise en œuvre de la compétence universelle des juridictions françaises. Le 5 août 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale. Il ne s'agit pas d'une surprise dès lors que le Conseil a réaffirmé sa jurisprudence constante selon laquelle il n'est pas juge de la conformité des lois aux textes européens et internationaux.
Alors que la France pouvait agir à la lumière des valeurs dont elle s'est toujours attribuée la paternité, ce bouclier pénal qu'elle assure désormais aux pires criminels ne manquera pas de l'éloigner un peu plus encore des idéaux modernes d'une justice mondiale au détriment de son prestige et, pour tout dire de sa crédibilité. Les défenseurs des droits de l'Homme ne peuvent donc que condamner une évolution législative qui rend davantage méconnaissable le visage de la patrie des droits de l'Homme !

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