Jean-Pierre Mignard et Jean-François Marchi, avocats, poursuivent la discussion autour de «l'affaire Cassez». Constatant le «blocage actuel», ils proposent de «faire appel à un tiers».
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«Nous n'avons pas assez d'éléments pour pouvoir émettre un jugement, avancent-elles prudemment. Maintenant, il y a un problème diplomatique entre les deux pays. Au Mexique, les gens qui regardent le journal télévisé pensent que ce problème vient de la France. En France, les médias disent qu'il est provoqué par le Mexique». Rapportés par Le Journal de Saône et Loire du 18 février dernier, les propos de Tania Espinoza Barba et Adriana Arvizu Arredondo, deux Mexicaines en séjour à Chalon depuis mardi en compagnie de sept enfants de la ville de Tlaxcala, expriment bien le sentiment qui peut être ressenti face à ce qu'on appelle désormais «l'affaire Cassez».
Ou plutôt face à son traitement. De petites phrases malheureuses en initiatives unilatérales pas toujours adroites, de déclarations prononcées sous le coup d'émotions, parfois légitimes d'ailleurs de part et d'autres, en slalom sur le terrain glissant de la séparation entre le judiciaire et le politique: s'il y a une chose que Mexicains et Français partagent en ce moment, c'est sans doute ce sentiment d'un gâchis, d'un traitement désastreux de l'affaire qui à conduit au blocage actuel. De l'autre côté de l'Atlantique, on s'indigne de l'arrogance française et d'une ingérence dans les affaires intérieures mexicaines, judiciaires de surcroît. Les défenseurs de Florence Cassez stigmatisent, eux, la justice mexicaine, cherchant tantôt à démontrer qu'elle est assujettie au pouvoir politique, tantôt à lui donner les airs des exemples que Foucault recensait dans Surveiller et punir.
Et pourtant, les trois magistrats qui viennent de prendre la décision de refuser l'Amparo déposé par la jeune femme semblent, comme le remarquait un Commissaire principal de Police Honoraire français, «des personnalités respectables du monde judiciaire, et non des béni-oui-oui du régime». Ce serait une ignorance de la procédure d'Amparo que de le nier: cette procédure vise précisément à protéger les droits fondamentaux des citoyens. Elle existe, sous certaines variantes, en Espagne et dans des pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Mexique) et l'on peut l'utiliser en plus des voies ordinaires. Elle offre une garantie importante des droits des individus car elle permet à un citoyen mexicain ou ressortissant étranger, un recours fédéral direct contre les actes de la puissance publique qui pourraient porter atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution. Ce recours est formé devant les juridictions fédérales, composées de magistrats professionnels et aucun cas d'autorités politiques. C'est donc bien une garantie supplémentaire pour le justiciable, et c'est ainsi qu'elle est perçue par l'ensemble des pénalistes et constitutionnalistes de France et de Navarre.
Qu'elle soit mal connue en France, on le conçoit aisément. Qu'on s'étonne et s'émeuve par ailleurs d'une peine 60 ans de prison, celle à laquelle a été condamnée Florence Cassez, on le comprend également. Mais au-delà de l'idée que chacun se fait de la justesse des peines, cela s'explique encore par une différence de type de système juridique: au Mexique, comme aux Etats-Unis d'Amérique, chaque crime ou délit est jugé séparément, et les peines prononcées s'additionnent. Voilà pourquoi à l'âge de 71 ans, le financier Bernard Madoff a pu écoper de 150 ans de prison. En France, on a souvent du mal à appréhender ce type de peine dans la mesure où existe un principe de non-cumul de celles-ci. Pourtant, pour des faits similaires à ceux reprochés au Mexique à Florence Cassez, la condamnation encourue dans l'Hexagone aurait pu aller jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité. Et entre la perpétuité et 60 ans, on perçoit mal la différence.
La différence essentielle réside en effet ailleurs. Elle se loge dans l'exécution de la peine: en France, les condamnés n'en exécutent que rarement l'intégralité car, hors décision assortie d'une période de sûreté, peut opérer le jeu des remises de peines et libérations conditionnelles. Ce qui n'est pas le cas au Mexique. Que cela soit bon, juste ou utile, ce n'est pas la question qui nous occupe ici. Aujourd'hui, plus qu'hier, ce qui importe est d'envisager les possibilités de distinguer la peine elle-même, de ses modalités d'exécution. Car de la réponse donnée à cette question dépendent sans doute les suites de l'affaire, et la possibilité de sortir du blocage actuel.
Ayant à présent épuisé tous les recours internes au Mexique, Florence Cassez pourrait-elle purger sa peine dans une prison française? C'est le souhait de la France, mais les Mexicains y semblent opposés craignant que, pour les raisons que l'on évoquait, Florence Cassez n'y effectue qu'une partie de la peine prononcée au Mexique.
Ce problème du transfèrement est justement l'une des questions réglées par la Convention de Strasbourg du 21 mars 1983 sur le transfèrement vers leur pays des personnes condamnées. La piste avait été étudiée par les deux Etats, sans succès. Mais cette voie mériterait peut être d'être envisagée à nouveau. Elle le pourrait en tout cas, avec un peu d'imagination.
On se souvient que le 9 mars 2009, à Mexico, lors de la conférence de presse commune avec Nicolas Sarkozy, le président mexicain s'était déclaré «préoccupé» par une déclaration interprétative de la France à la Convention de Strasbourg. Paris, avait noté Felipe Calderon, s'y octroyait le droit de «révoquer, modifier, réduire ou même annuler les sentences» qui pourraient avoir été prononcées par des tribunaux étrangers contre des Français ensuite rapatriés. Le président Calderon se référait à la déclaration interprétative formulée par la France et annexée à son instrument d'adhésion à la Convention de Strasbourg: «La France interprète le paragraphe 3 de l'article 9 et le paragraphe 1 de l'article 10 comme signifiant que l'Etat d'exécution est seul compétent pour prendre à l'égard du condamné détenu les décisions de suspension et de réduction de peine, et pour déterminer toutes les autres modalités d'exécution de la peine, sans que soient remises en cause, dans leur principe, la nature juridique et la durée de la sanction prononcée par la juridiction de l'Etat de condamnation».
Une «commission binationale de juristes», comme l'ont appelée les Mexicains, un «groupe de travail juridique franco-mexicain» selon la terminologie française, avait été formé et chargé de rendre un rapport sous trois semaines. Trois mois plus tard, on considérait que la piste était vaine malgré, on n'en doute pas, des efforts importants. Ne pourrait-on donc pas imaginer aujourd'hui, après l'échec des tentatives bilatérales et face à une situation qui empoisonne les relations entre les deux parties, et dont chacune se serait sans doute bien passée, de faire appel à un tiers?
Chargé de réfléchir aux modalités de l'application de la Convention de Strasbourg, et à toute autre question pertinente, une piste par Madrid notamment n'est-elle pas envisageable? L'histoire des relations internationales offre de nombreux exemples qui sont autant de solutions faisant intervenir un tiers impartial, par la voie d'une médiation, d'un arbitrage, ou de toute autre formule dont la flexibilité offrirait des assurances aux Etats et à leur peuple. Arbitre, médiateur, autorité morale ayant la caution des deux Etats? Les formules ne manquent pas pour surmonter le blocage actuel, sans que personne n'y perde la face mais en tire au contraire la satisfaction et le bénéfice d'un règlement pacifique de ce différend qui altère les relations des deux Etats. Une personnalité juridique de haut rang, liée à nos deux cultures hispanique et européennes, n'est elle pas la mieux désignée?
Une diplomatie volontaire des deux côtés peut encore conduire à cette voie de droit. Le droit n'est-il pas, selon la formule célèbre, «une politique qui a réussi»? Et l'affaire Cassez qui aurait du rester un «fait d'ordre juridique», selon l'expression du grand écrivain Carlos Fuentes dans le quotidien Reforma, pourrait quitter la scène diplomatique pour revenir dans la sphère juridique.