L'emploi à domicile est en baisse mais les discours catastrophistes « ressemblent bien plus à la communication bien orchestrée d’un lobby patronal qu’à une réalité sociale indiscutable », analysent les économistes François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, à l'heure où le gouvernement envisage un allègement de charges supplémentaires pour les particuliers employeurs.
L’emploi à domicile est-il sinistré ? Une avalanche d'articles et de reportages s’est à nouveau abattue sur les médias français ces derniers temps : « baisse historique et dramatique de l’emploi à domicile » (Le Figaro), « les services à domicile accusent le coup » (La Croix), ils « souffrent de la hausse de la fiscalité » (TF1), etc. Le constat semble sans appel (perte de plusieurs millions d’heures de travail) et la cause bien identifiée (le matraquage fiscal). Si ces deux éléments s’appuient sur des faits avérés, ils relèvent également d’une mise en scène bien orchestrée. Essayons de démêler le vrai du faux.
Y a-t-il baisse de l’emploi direct ?
La contraction des heures déclarées par les particuliers employeurs est indéniable : entre 2012 et 2013, ce sont 32 millions d’heures qui ont disparu. Ce chiffre est loin d’être négligeable et il correspond à environ 20 000 emplois en équivalents temps plein. Environ 2 000 concernent la garde d’enfants, 9 000 les emplois à domicile auprès de ménages ne bénéficiant pas d’exonérations « publics fragiles » et 9 000 concernent les personnes âgées ou en perte d’autonomie. Cette conversion en équivalent temps plein doit cependant être faite avec prudence : dans ce secteur, la notion d’emploi n’existe malheureusement pas vraiment, le multi-emploi est la norme et la perte d’heures de travail ne signifie pas l’arrêt de toute activité.
Cette baisse implique-t-elle une baisse des services à la personne ?
Un point mérite parallèlement d’être rappelé : les particuliers employeurs ne sont qu’une des modalités d’emploi dans les services à la personne. Une part essentielle de l’activité est réalisée par des organisations prestataires associatives, publiques ou privées à but lucratif. Ces dernières notamment sont positionnées sur des segments identiques à ceux des particuliers employeurs. Or elles connaissent depuis 2005 un dynamisme très marqué : en 2011 (derniers chiffres publiés), leurs effectifs ont crû de 16% passant de 61 à 71 millions d’heures. Une hausse équivalente (qui correspondrait pourtant à un ralentissement de leur croissance) en 2013 annulerait près de la moitié des pertes enregistrées par les particuliers employeurs. Moins que le secteur des services à la personne, c’est le système du particulier employeur qui est ici mis en cause. Ses « parts de marché » régressent ainsi rapidement, passant de 82% des heures déclarées en 2002 à 64% de celles comptabilisées en 2011.
Cette crise de l’emploi directe est-elle imputable aux modifications fiscales et sociales ?
Ce raccourci est tout sauf évident pour au moins trois raisons complémentaires. La première est que les modifications fiscales demeurent marginales. La principale aide accordée, le crédit d’impôt sur le revenu, est inchangée et une exonération supplémentaire de 0,75€ a compensé en très grande partie les abattements supprimés. Si une hausse aussi minime implique des modifications de comportements, cela en dirait au final long sur l’importance de l’élasticité prix de ces services et donc sur leur faible lien avec des besoins réels. La deuxième raison est que l’analyse des données montre que les ménages fragiles (bénéficiant d’un cadre fiscal inchangé) ont réduit leur demande de services dans des proportions équivalentes à celles des ménages concernés par les réductions des exonérations. La troisième raison est que nous vivons clairement une période de crise et de stagnation du pouvoir d’achat : que certains biens de luxe (ce qui est le cas pour les services domestiques achetés par les ménages actifs qui ne concernent de manière fréquente que les 20% de ménages les plus riches) voient leur consommation ralentie en période de crise n’est pas véritablement lié à des réformes fiscales ou sociales… Le fait que les pertes de volume horaire soient plus marquées dans les régions les plus touchées par la crise confirme cette hypothèse.
Cette baisse de l’emploi auprès des particuliers employeurs est-elle dramatique ?
Perdre des heures de travail est une mauvaise nouvelle. Mais deux éléments doivent être ici pris en compte : quels sont les emplois perdus et de quels services se privent les ménages en cessant d’y recourir ?
La première question renvoie à la qualité des emplois. Or celle qui résulte du système du particulier employeur est souvent très mauvaise (faible rémunération, forte précarité, absence de formation et de perspectives de carrières, non-paiement des temps de déplacements, etc.). Certes, de nombreux particuliers ont un réel souci de leur salarié mais ce ne sont probablement pas ceux-ci qui réagissent à une très légère hausse des coûts en licenciant leur personnel… Les emplois proposés par les structures prestataires ne sont pas paradisiaques mais de nombreuses études montrent que l’intermédiation est un préalable (pas toujours suffisant) à la professionnalisation.
La seconde question suppose de distinguer deux types de services : les services de confort et les services de maintien à domicile des personnes vulnérables. Dans le premier cas (qui, effectivement, peut être à la marge lié aux baisses des exonérations), les services concernés sont des biens de luxe qui font l’objet d’un arbitrage par les ménages : si une faible hausse du coût les incite à cesser de recourir à ces services, faisons confiance à leur rationalité de consommateur… et acceptons l’idée que la satisfaction apportée est inférieure au coût d’une heure de travail. Dans le second cas, le problème est plus crucial : c’est de l’autonomie des personnes âgées dont il s’agit. Or de nombreux indicateurs montrent que l’accès à ces services essentiels est de moins en moins garanti. Mais loin d’être liée aux modifications fiscales, la cause doit en être recherchée du côté de la faiblesse de la revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)… qui pourrait justement bénéficier d’un transfert de ressource en cas de baisse des aides accordées aux services de confort !
Au final, les discours catastrophistes récurrents sur la crise de l’emploi à domicile ressemblent bien plus à la communication bien orchestrée d’un lobby patronal disposant de solides relais médiatiques qu’à une réalité sociale indiscutable.
François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, maîtres de conférences en sciences économiques, université de Lille.