Billet de blog 2 août 2016

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JO à Rio: lettre ouverte (restée sans réponse) à Jean-Christophe Cambadélis

Hamilton Dos Santos, ancien réfugié brésilien vivant toujours en France, a écrit au premier secrétaire du PS pour comprendre le silence de son parti à propos de la situation politique brésilienne et la destitution de Dilma Rousseff, qu'il qualifie de «coup d'Etat institutionnel». A la veille de l'ouverture des JO à Rio, où François Hollande a prévu de se rendre, il a choisi de rendre publique sa missive, ne comprenant pas comment la France peut cautionner ainsi le président par intérim Michel Temer.

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La situation du Brésil est aujourd'hui grave. La continuité démocratique y est menacée par une tentative de coup d'Etat constitutionnel visant à destituer la présidente élue Dilma Rouseff. Le 25 mai dernier, j’ai adressé par email un courrier à Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS. Je souhaite aujourd'hui rendre public ce courrier qui a été remis en mains propres à l’intéressé, d'abord parce qu'il est resté sans réponse, ensuite à cause de la décision du président socialiste François Hollande de se déplacer à Rio de Janeiro à l’occasion des jeux olympiques à Rio de Janeiro.

Par cette décision, M. Hollande va conforter le pouvoir illégitime et usurpateur de l'auteur du putsch, le président par intérim Michel Temer. A l’ouverture des jeux, M. Hollande aura à ses côtés seulement trois chefs d’Etat sud-américains (Argentine, Paraguay et la Colombie), les autres boycottant la cérémonie tout comme les anciens présidents Lula, Fernando Collor, Fernando Henrique de Cardoso et la présidente élue Dilma Rousseff, selon les dernières informations en ma possession.

Des liens d’amitiés communs  m’ont permis de connaître M.Cambadélis  dans les années 90. Militant de gauche, exilé au Chili après le coup d'Etat militaire au Brésil dans les années 1969 puis en France en 1973 après le coup d’Etat militaire du Général Pinochet, je vais vivre mon troisième coup d’Etat si Mme Dilma Rousseff est destituée définitivement. Je crois dans les principes de la démocratie, aujourd’hui abîmée un peu partout dans le monde actuel. Je crois que la voie électorale est le seul moyen d’arriver au pouvoir, mais aussi de sanctionner un dirigeant dans un Etat de droit. Des contorsions juridiques et parlementaires pour écarter une présidente élue, qui n'a commis aucun crime, constituent pour moi un coup d’Etat similaire à ce qui s'est passé au Honduras puis au Paraguay.

Dans ce contexte j'ai fait appel à M. Cambadélis, en tant que démocrate, mais c'est resté lettre morte. Voici le contenu de cette lettre:

« Cher Jean-Christophe Cambadélis,

Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années chez des amis, quand ils habitaient encore dans le 19ème à Paris. Je m'adresse à toi en tant que premier secrétaire du PS pour m’insurger du silence du parti que tu diriges face au processus avancé de putsch au Brésil contre une présidente élue avec plus de 54 millions de voix. Je n'ai vu, sauf erreur, aucune réaction de ton parti, alors même qu'une démocratie est menacée d’être détruite avec l’appui de parlementaires brésiliens majoritairement ultra-conservateurs et de vrais bandits.

Un nombre impressionnant d'entre eux, à l'image du président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, sont inculpés pour faits de corruption, certains pour homicides, etc. L'un de ces virulents opposants au gouvernement de gauche de Dilma Rousseff, le député Jair Bolsonaro a dédié son vote en faveur de la destitution de Dilma à la mémoire du tortionnaire, aujourd’hui décédé, le colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra (tortionnaire au DOI-COD) qui, en 1970, a torturé Dilma.

Tu peux comprendre la nature de ce coup d'Etat institutionnel à travers les orientations fascistes de ce monsieur, dont le seul objectif est de faire replonger dans la misère les 50 millions de personnes qui en étaient sortis grâce à l'action de Lula et Dilma. Le Parti Socialiste ne réagit pas, contrairement par exemple au SPD allemand. Pourquoi ce silence complice quand une démocratie risque de partir en morceaux ? La réussite du putsch, c’est la fin des programmes sociaux et, pour Lula aujourd’hui favori dans les sondages, la prison pour l’empêcher de disputer les élections présidentielles de 2018.

La" revanche" n’aura pas la même forme qu’en 1964, quand les militaires ont pris le pouvoir.  Mais les résultats seront les mêmes : répression, fin des politiques de santé, d’éducation et, au plan économique, accaparement des richesses du pays. Les acteurs dans les médias et dans la société qui ont contribué au coup d’Etat en 1964 sont les mêmes qui aujourd'hui articulent le putsch parlementaire. Seul le récit est différent.

En 1964 il s’agissait de nous sauver du « communisme » que voulaient nous imposer ceux qui souhaitaient une réforme agraire. Aujourd’hui, il s'agit de faire "justice" contre un supposé détournement budgétaire. Sache que les comptes du gouvernement de 2015 visés par les accusations n'ont même pas encore été examinés par la Cour des comptes et le Congrès. La procédure d'impeachment a été lancée en décembre 2015, alors que l'exercice budgétaire n'était pas clos !

Comme le disent de nombreux juristes brésiliens, c’est une opposition parlementaire de droite, malheureusement majoritaire, qui soulève un problème d’ordre juridique pour incriminer la Présidente, mais qui doit admettre face à la faiblesse de ses accusations qu'il s'agit d'une action politique. Or la procédure d'impeachment prévue dans la Constitution brésilienne est encadrée très strictement et doit être motivée par un crime de responsabilité pour être légale.

Je suis en France depuis 43 ans, arrivé comme réfugié en novembre 1973 fuyant en le coup d’Etat au Chili de Pinochet. Je m'étais réfugié dans le Chili d'Allende pour fuir la dictature brésilienne contre laquelle je luttais. J'ai été très bien accueilli à ce moment-là en France, comme mes camarades aussi.

Tous ceux qui aujourd'hui font silence pour des intérêts obscurs seront condamnés par l’Histoire, au même titre que les putschistes. Les militaires brésiliens ont dû rendre le pouvoir 25 ans après s'en être emparé par la force, car ils n'ont jamais pu légitimer cette prise de pouvoir aux yeux de la société. Si le putsch actuel réussit, je pense ne pas attendre autant de temps pour voir la démocratie rétablie. En effet aujourd’hui, contrairement à ce que disent les médias officiels brésiliens, inféodés à la droite et l'extrême-droite, la société démocratique manifeste avec rigueur contre ces manœuvres putschistes, et elle ne leur accordera jamais de légitimité.

Amitiés et dans l'attente de ta réponse ».

Hamilton dos Santos

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