Ancien ministre socialiste et aujourd'hui conseiller national du PS, Paul Quilès reprend son bâton de pélerin anti-primaires, qu'il avait été l'un des seuls à brandir lors de la convention de la rénovation du printemps dernier, alertant sur la nécessité préalable de construire une «plateforme commune à l'ensemble de la gauche».
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Jamais depuis longtemps, l'espoir d'une politique alternative ne s'est fait sentir aussi fortement dans notre pays. Le rejet de la politique et des pratiques de N. Sarkozy apparaît chaque jour plus évident et l'on voit bien que la victoire de la gauche en 2012 est la seule façon de tourner définitivement la page.
Et pourtant, il faut être aveugle ou inconscient pour ne pas réaliser que le scénario qui se déroule sous nos yeux, s'il n'est pas corrigé, conduira inévitablement la gauche à un nouvel échec. Je veux parler des conséquences des primaires socialistes, dispositif prétendument «moderne» et dont les promoteurs vantent les mérites en se référant aux expériences américaine et italienne. Ils nous affirment aussi que ce serait une façon de mettre fin au rôle «historiquement dépassé des vieux partis».
Méfions-nous d'abord du retour de ces approximations et de ces facilités de langage, en nous rappelant que c'est «l'archaïque Mitterrand» qui l'a emporté en 1981 et le «vieux Chirac» qui a gagné en 2002 !
Quant à l'affaiblissement du rôle du parti socialiste, les inventeurs de ce système baroque n'ont pas tort: le phénomène s'est enclenché, au plus grand bonheur de la droite et il pourrait devenir catastrophique. A quoi bon en effet élaborer des projets et des programmes à l'intérieur de ce parti, puisque déjà cinq candidats au moins sont en lice sur la place publique, s'efforçant chaque jour de présenter leurs propositions avec force détails et de montrer leurs différences à la télévision, à la radio, dans la presse, sur internet ou dans des réunions?
Je n'insisterai pas sur les conséquences de la pression médiatique, qui entretient la compétition et qui conduit parfois certains prétendants à des excès ridicules. Je souhaite plutôt attirer l'attention sur la dévitalisation du PS à laquelle va inéluctablement conduire ce système, puisqu'il doit permettre à de nombreux électeurs non militants de choisir, en même temps que le candidat, un projet, un programme et même des alliances. Dans l'éventail des choix offerts aux électeurs, l'accent sera mis sur les différences et le partage entre les candidats se fera à partir de la médiatisation, elle-même influencée par les sondages. On sera loin de l'élaboration collective et des synthèses nécessaires pour élaborer un programme cohérent et mobilisateur.
Au-delà de cette inquiétante évolution, la démarche des primaires socialistes, telle qu'elle semble se confirmer, présente trois autres inconvénients:
- en se montrant en quelque sorte prisonniers de la présidentialisation de la Vème République, les socialistes affaiblissent leur discours sur la volonté de transformer en profondeur des institutions, dont on observe chaque jour un peu plus la dérive monarchique ;
- en accréditant l'idée répandue (et intériorisée par de nombreux responsables de gauche) selon laquelle il suffit d'avoir le «meilleur candidat», préalablement adoubé par les sondages, pour gagner en 2012, ils font fausse route, oubliant que c'est en général la victoire qui fait la popularité et non l'inverse ;
- l'énergie consacrée à cette démarche et les affrontements publics auxquels elle conduira inévitablement éloigneront les socialistes de leur tâche principale, qui consiste à créer les meilleures conditions pour la victoire de 2012.
Seule l'élaboration d'une plateforme commune à l'ensemble de la gauche permettra de crédibiliser celle-ci et, pourquoi pas, de désigner le candidat qui portera ces engagements. Les thèmes de débat ne manquent pas: emploi, pouvoir d'achat, retraites, école, services publics, institutions… Il ne s'agit pas à ce stade de rédiger un programme, mais de chercher les convergences les plus ambitieuses, sans pour autant nier les différences d'approche, voire les désaccords. Ceux-ci pourront ensuite, en cas de candidatures multiples, se manifester au premier tour de l'élection présidentielle, mais on évitera ainsi les procès d'intention et les caricatures, si dommageables pour le report des voix au second tour.
Nous n'étions pas nombreux, il y a quelque temps, à refuser le système dangereux des primaires socialistes. Je constate aujourd'hui avec satisfaction que nombreux sont ceux qui me font part -en privé- de leurs doutes et de leurs inquiétudes devant les risques qui se précisent. Qu'ils n'hésitent pas à le dire publiquement! Quant à Martine Aubry, elle n'a aucun intérêt à voir minoré le rôle du parti qu'elle dirige. Je souhaite qu'elle prouve par des actes son engagement à favoriser l'élaboration d'une plateforme commune, préalable au choix de celui ou celle qui portera les espoirs de la gauche.