S'opposant aux maires d'arrondissements du nord-est de Paris et des communes limitrophes, des élus locaux du Parti de gauche dénoncent les «logiques répressives» dont font l'objet les «biffins», ces revendeurs à la sauvette, et appellent à des «politiques alternatives».
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Mardi 1er février, le préfet de région, le président du Conseil régional, les maires des communes de Bagnolet, des Lilas, de Montreuil, les maires des 10e, 11e, 19e et 20e arrondissements et des adjoint-e-s au maire de Paris se réunissaient au sujet des «marchés de la misère». Elu-e-s du Parti de gauche des collectivités concernées, nous avions adressé à l'ensemble des participants une lettre afin de leur faire part de notre attachement à la liberté des biffins d'exercer leur métier. Les échos parus dans la presse de cette première réunion ne nous satisfont pas. Les participants auraient d'emblée rejeté la piste d'instaurer des «carrés des biffins» comme dans le 18e, ne retenant que la création de déchetteries-ressourceries, dont une à la Porte de Montreuil, d'ores et déjà actée et votée dans nos assemblées. Soyons honnêtes. Nous avons soutenus le projet de déchetterie, mais il ne concernera qu'un faible nombre d'embauches et sa création va nécessiter du temps. Ce ne peut être une réponse adaptée à la hauteur et à l'urgence du problème. Il est également envisagé de concéder à quelques biffins une extension du nombre de concessions de voie publique. Des mesures aussi modestes ne pourront résorber les «marchés clandestins» comme ils les nomment.
Si la «biffe», chiffonniers, revendeurs d'objets récupérés, a toujours existé, elle se développe aujourd'hui dans les agglomérations comme Paris et ses villes limitrophes, dans un contexte fortement marqué par la crise. Pourquoi revendent-ils ? Pour «sur» vivre, mais aussi parce qu'un nombre croissant d'acheteurs dispose de revenus trop faibles, ce qui les exclut des offres de consommation classiques. Face aux catastrophes écologiques liées à la course folle du productivisme, ce recyclage qui donne une seconde vie aux objets doit être considéré comme une autre façon de consommer, liant enjeux sociaux, économiques et écologiques.
La révolution citoyenne tunisienne, que chacun salue aujourd'hui, a trouvé son point de commencement après l'immolation d'un jeune, victime de la précarité, qui revendait à la sauvette des objets trouvés et se voyait sans cesse arrêté et ses biens confisqués. Pendant ce temps, en France, le gouvernement de Sarkozy fait voter la Loi Loppsi 2, qui porte les peines à l'encontre des revendeurs à la sauvette à 3 750 euros d'amende et à 6 mois fermes d'emprisonnement. Evidemment la situation ici et là-bas est en nombre de points différente, mais la crise du système capitaliste et des politiques libérales qui l'aggravent frappe ici également durement les populations les plus précaires.
Alors qu'à Paris, le nombre de personnes ayant recours à ces marchés tant du côté revendeurs et acheteurs progresse, la Préfecture de Police a mis en place à Belleville la semaine dernière une nouvelle brigade spécialisée dans le démantèlement des vendeurs à la sauvette. Les maires socialistes des 10e, 11e, 19e, 20e ont félicité la mesure. Pas nous. Nous savons pertinemment que la répression permet «au mieux» dans sa logique de déplacer les lieux de revente et donc de déplacer également les nuisances pour les habitant-e-s sur d'autres. Par ailleurs, nous savons avec certitude que ces mesures aboutissent régulièrement à des contrôles au faciès et à la chasse aux sans papiers que nous condamnons.
Ce n'est pas en criminalisant la misère qu'on l'éradique ! Il est temps de sortir des logiques répressives, et de construire des politiques alternatives.
Si le statu quo n'est pas envisageable, ni pour les revendeurs, ni pour les riverains, des solutions alternatives existent. Cette première réunion entre les différentes municipalités concernées, la Région et l'Etat annonce l'organisation de groupes de travail. Nous souhaitons y participer, avec les associations comme les citoyennes et les citoyens. Tous devront être associé-e-s. Nous espérons pouvoir convaincre de la nécessité d'envisager l'installation d'autres «carrés des biffins» comme dans le 18e arrondissement de Paris. Madame la maire du 20e considère que «ce dispositif n'est pas adapté à nos quartiers où les vendeurs clandestins s'installent littéralement au pied des immeubles». Raison de plus. Si l'on veut réduire les nuisances et gênes mutuelles, définissons des espaces et des horaires qui leur soient réservés et compatibles avec la libre circulation sur la voie publique. Sortons les de cette «clandestinité» qui les contraint à se mettre où ils peuvent, à s'en voire chassés, pour se réinstaller plus loin. Des lieux existent : une partie de l'espace des puces, hors journées des puces, ou des marchés certains jours et à horaires définis hors journée de marché, des terrains temporairement non utilisés avant réalisation de projets d'urbanisme... Soyons inventifs et cessons cette hypocrisie démagogique et trompeuse car elle nous condamne au statut quo dans «nos quartiers». Qui sont ceux des biffins autant que des riverains.
L'organisation légale de ces marchés en «carré des Biffins» permet au contraire de faire respecter des règles essentielles : l'interdiction de vente de produits alimentaires et produits neufs, l'implication de tous dans le respect du cadre de vie. Elle permet, de plus, un travail d'accompagnement social des plus démunis.
Nous demandons aux maires de gauche, de ne pas céder aux logiques sécuritaires répressives à l'encontre des plus précaires. De ne pas tomber dans la logique visant à cacher «cette misère que je ne saurais voir». De ne pas contribuer à opposer les revendeurs aux riverains. Mais de faire le choix de la solidarité et de la nécessité du lien social.
Commençons par la bataille culturelle à mener. Cessons de les nommer «les clandestins», alimentant ainsi peurs et fantasmes aux relents réactionnaires dans l'opinion. Quand on méprise une partie du peuple, c'est tout le peuple qu'on insulte. Restaurons au contraire la dignité aux travailleuses et travailleurs du recyclage.
L'urgence n'est pas de chasser les revendeurs mais de s'attaquer aux causes de la misère. Et de manière transitoire, l'urgence est de permettre à toutes et tous de pouvoir vivre dignement, en exerçant la vente des objets recyclés dans des conditions les plus acceptables possibles, et pour les biffins et pour les riverains, de façon organisée et encadrée. La région a voté des financements pour étudier des solutions alternatives. Aux municipalités de permettre leur mise en œuvre.
Daniel BERNARD, Adjoint au Maire de Bagnolet, Ariane CALVO, Adjointe à la Maire du 20e, Alexis CORBIERE, Conseiller de Paris, 1er Adjoint à la Maire du 12ème, Eric COQUEREL, Conseiller régional Ile De France, Catherine GUILLAUME, Conseillère du 19ème arrondissement, Pascale LE NEOUANNIC, Conseillère régionale Ile-de-France, Présidente du Groupe Front de gauche et Alternatifs, Juliette PRADOS, Conseillère Municipale de Montreuil, Christophe ROBILLARD, Conseiller d'arrondissement du 20ème, Danielle SIMONNET, Conseillère de Paris et élue du 20e.