Billet de blog 3 mai 2010

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Eoliennes, les enjeux de la loi Grenelle 2

A la veille de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi Grenelle 2, Kléber Rossillon, président de la Fédération Patrimoine Environnement, défend le durcissement prévu des conditions d'installation des éoliennes.

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A la veille de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi Grenelle 2, Kléber Rossillon, président de la Fédération Patrimoine Environnement, défend le durcissement prévu des conditions d'installation des éoliennes.

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Les développeurs, constructeurs et bureaux d'études éoliens appellent à manifester devant l'Assemblée nationale, mardi 4 mai, à l'occasion de l'examen de la loi « Grenelle 2 ».

Assurée de vendre pendant quinze ans son produit unique, de qualité médiocre (de l'électricité quand on n'en a pas forcément besoin, à un prix fixé par l'Etat égal à deux fois et demi le prix du marché), la filière éolienne prend pourtant le risque d'attirer l'attention sur ce privilège. C'est qu'elle a de quoi être inquiète.

Jean-Louis Borloo, ministre de l'Ecologie, vient de déclarer dans une conférence de presse: «Sur l'éolien, je ne sais pas à la vérité quelle est la bonne solution, je ne sais pas». Quand on connaît les pressions exercées jusqu'à maintenant par le ministère sur les préfets pour qu'ils autorisent le plus d'éoliennes possibles dans leurs départements, on peut se demander si Jean-Louis Borloo ne prépare pas ainsi un revirement dont il est spécialiste...

En effet, malgré un sondage national commandé par l'Ademe (Agence de la maîtrise de l'énergie chargée de développer l'éolien) donnant 77% des Français favorables à cette filière, l'opposition est croissante dans les zones rurales confrontées à l'érection des éoliennes. La Fédération environnement durable, qui regroupe des centaines d'associations anti-éoliennes, est devenue le mouvement écologiste le plus militant dans un grand nombre de départements comme sur Internet.

Cette opposition a des raisons multiples, souvent locales: les nuisances et la perte de valeur des maisons en vue des éoliennes. Elle exprime aussi la crainte d'une dévalorisation plus diffuse des territoires: il est remarquable les 3.000 éoliennes déjà érigées ne dessinent pas la carte des zones les plus ventées mais celle d'une France qui rencontre des difficultés: Pas-de-Calais, Picardie, Lorraine, Centre Bretagne, certaines régions du Massif central. Tournant le jour et clignotant la nuit, les éoliennes signalent les zones déshéritées. Elles sont bien plus visibles que ces cheminées d'usines abandonnées qu'on abattait par honte il y a trente ans.

Les élus locaux s'en rendent compte: le président du Conseil général du Pas-de-Calais appelle à l'arrêt des implantations dans son département ; Ségolène Royal préconise le développement d'éoliennes de quinze mètres de haut au détriment des grandes machines de 150 mètres et plus; Denis Baupin, l'écologiste parisien, n'exprime pas autre chose en inaugurant des éoliennes de 1,60 mètre de haut: « Paris est la première destination touristique au monde, nous ne souhaitons pas détériorer son paysage».

Le rapport de la commission parlementaire d'études sur les éoliennes, présidée par Patrick Ollier, a inspiré les amendements discutés à partir du 4 mai. Cette commission, réunissant des députés de tous les partis, a été dénoncée comme « anti-éolienne » par un des ses membres qui l'a quittée avec fracas, le député socialiste de la Gironde Philippe Plisson.

Le débat de mardi sur la loi Grenelle 2 ne porte pas sur l'intérêt du développement des éoliennes en France mais sur les conditions locales de leur implantation. Selon Jean-Louis Borloo, « le dispositif actuel est un système libéral dans lequel les promoteurs de projets éoliens peuvent choisir de s'implanter où ils le désirent ». La commission Ollier partage ce constat de l'échec de la régulation par les « Zones de développement éolien » (ZDE) instaurée en 2007. Non seulement ces zones se sont multipliées par dizaines dans chaque département, mais les promoteurs contournent la loi en créant des zones éclatées en petites parcelles éloignées de plusieurs kilomètres : le mitage des paysages français est maximal.

Un premier amendement accepté par la commission des affaires économiques de l'assemblée (elle aussi présidée par Patrick Ollier) est spécifiquement anti-mitage : il oblige chaque installation éolienne, après publication du Grenelle 2, a avoir une puissance minimale de 15 MW et compter au moins 5 mâts. Il s'agit ni plus ni moins de revenir à l'esprit des ZDE. Les promoteurs dénoncent une réduction de 60% des possibilités d'implantation des éoliennes; c'est certainement exagéré car les parcs de plus de 15MW assurent déjà la plus forte croissance du nombre de machines en France.

Un deuxième amendement de la commission maintient les éoliennes à une distance supérieure à 500 mètres des habitations. Les promoteurs n'y sont pas opposés car c'est déjà dans les faits. Mais un nouvel amendement présenté par un groupe de députés conduit par Laure de la Raudière, bien renseignée puisqu'elle est députée (UMP) de l'Eure-et-Loir, tend à remplacer les 500 m par dix fois la hauteur de l'installation, en précisant que cette distance a été retenue quand les éoliennes faisaient 50 m de haut, qu'elles en font maintenant couramment 150, et que les éoliennes de 200 m se profilent à l'horizon. Des habitants vivant à 800 mètres de grandes éoliennes comme à Estinnes en Wallonie ressentent des nuisances dramatiques. Cet amendement est donc de bon sens, beaucoup d'associations y mettent leur espoir.

Un troisième amendement présenté par le président de la commission des affaires économiques et plusieurs de ses confrères, précise que chaque région devra définir les parties de son territoire favorables au développement de l'énergie éolienne dans un schéma qui sera obligatoire à partir de 2012. Ainsi, selon Jean-Louis Borloo, la France se dirigerait vers un « système de parcs protégés » qui a permis un développement rapide dans d'autres pays. Les promoteurs ne devraient pas se faire de souci : les schémas éoliens ont déjà été annoncés comme imminents il y a un an et demi par Nicolas Sarkozy, les premiers débats ont montré que l'Ademe et les cabinets d'études favorables aux promoteurs maîtrisent ces schémas; les majorités régionales intègrent pour la plupart des conseillers Europe-écologie qui soutiennent le plan éolien national. Mais les promoteurs craignent surtout le débat qui met en lumière toutes les anomalies d'implantation actuelles. Et certaines régions pourraient être tentées de raisonner comme Mme Royal ou M. Baupin pour sauvegarder leurs paysages et la concorde entre les habitants...

L'amendement qui a suscité le plus d'opposition est celui qui soumet les éoliennes à la réglementation des installations classées. C'est celui qui psychologiquement fait le plus mal aux acteurs du Grenelle de l'environnement, soigneusement choisis par Jean-Louis Borloo parmi les écologistes traditionnels qu'ils s'agissaient de séduire. Rappelons que les vénérables associations du patrimoine et des paysages, de même que la Fédération environnement durable, susceptibles de mettre en doute le « tout éolien », en ont été exclues.

L'amendement sur les installations classées fait apparaître que le développement des éoliennes se fait en bafouant et en écrasant toute la politique de protection de l'environnement acquise par un demi-siècle de combats pour l'écologie et le patrimoine. Car la loi sur les installations classées, datant de 1986, aurait dû être appliquée dès la première éolienne, puisqu'elle concerne les installations ayant un impact sur le paysage. Depuis 24 ans, le Ministère de l'environnement retient le décret d'application dans ses tiroirs. La loi montagne et la loi littoral qui interdisent toute construction dans les zones naturelles ne sont pas appliquées aux éoliennes. Ces lois se retournent en loi d'industrialisation de la montagne et du littoral : elles ont éliminé de potentiels habitants, faisant la place aux machines géantes.

Les parcs naturels régionaux peuvent accueillir des éoliennes. Celui du Haut-Languedoc accueille déjà plus de 200 éoliennes sans que son label ne lui ait été retiré. Les lois protégeant les abords des monuments historiques, qui n'interdisent rien mais soumettent les constructions à l'autorisation de l'architecte des bâtiments de France n'ont pas été adaptées à la dimension des éoliennes.

Ce reniement est en arrière-plan du débat du Grenelle 2. Le projet de loi fait fi de toute politique de protection environnementale de proximité et de toute ambition de politique globale de l'environnement et des paysages, et a pour seule ambition un développement chiffré en mégawatts qui conduit mathématiquement à multiplier par cinq les zones actuellement impactées par les éoliennes.

Dès lors, les amendements de la commission Ollier et ceux qui en sont inspirés ne peuvent que tenter de freiner une machine dont le moteur, alimenté par le prix de vente garanti, tourne toujours au même régime. Peut-être faudra-t-il attendre la loi de finances de l'automne pour que l'on se pose une question plus fondamentale. Est-il raisonnable pour les Français de consacrer 40 milliards d'euros - plus que le grand emprunt - à l'investissement dans un programme de production d'électricité non rentable, à partir de machines importées, à l'effet destructeur sur les paysages et désagréables aux populations?

Kléber Rossillon, président de la Fédération Patrimoine Environnement

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