Billet de blog 3 juillet 2012

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Aux JO de Londres, une police de la testostérone... chez les femmes

« Une fois encore, les sportives risquent d’être sommées de faire la preuve de leur « sexe » pour pouvoir être inscrites aux Jeux olympiques. (...) A-t-on jamais envisagé qu’un homme qui produirait “trop” de testostérone, ou plus que ses concurrents, devrait être interdit de compétition? » Par Anaïs Bohuon, chercheuse et enseignante à Paris Sud 11, spécialiste du corps et du genre chez les sportifs.

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« Une fois encore, les sportives risquent d’être sommées de faire la preuve de leur « sexe » pour pouvoir être inscrites aux Jeux olympiques. (...) A-t-on jamais envisagé qu’un homme qui produirait “trop” de testostérone, ou plus que ses concurrents, devrait être interdit de compétition? » Par Anaïs Bohuon, chercheuse et enseignante à Paris Sud 11, spécialiste du corps et du genre chez les sportifs.


Destinés à empêcher les hommes de concourir chez les femmes, et à calmer les soupçons quant au sexe de certaines sportives, des tests de féminité, appelés également, depuis quelques années, “ contrôles de genre ”, ont été imposés aux sportives depuis 1966. N’étant plus obligatoire depuis les jeux Olympiques de Sydney en 2000, ce geste est cependant symbolique, car il s’agit d’une décision « à l’essai », annoncée comme non définitive, révisable et imposée en cas de « soupçons visuels ». Ainsi, la volonté de contrôler le sexe des athlètes féminines n’a pas quitté les instances dirigeantes.

En effet, pour les jeux Olympiques de Londres, qui se dérouleront du 27 juillet au 12 août prochain, la commission exécutive du Comité international olympique (CIO) a prévu une nouvelle réglementation. Elle définit les conditions d’admissibilité des athlètes féminines présentant une hyperandrogénie (production excessive d’hormones androgènes, en particulier la testostérone). Ce nouveau règlement a, en  premier lieu, été mis en place par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) en mai 2011 et appliqué lors des championnats du monde d’athlétisme d’Athènes en septembre 2011.

Pour les JO de Londres, le Comité olympique projette donc d'appliquer un nouveau règlement, visant à déterminer quelles femmes sont autorisées à concourir en fonction de leur taux d'androgène. Il y a quelques semaines, la commission exécutive du CIO, à Québec, a approuvé ce projet sur le principe et souhaite qu'il soit adopté par la commission juridique avant le 27 juillet prochain, date de l'ouverture des Jeux auxquels il s'appliquerait. Difficile de ne pas voir dans ce projet une conséquence de la victoire et de l’exclusion de Caster Semenya, coureuse sud-africaine de 800 mètres, qui est à l’origine du début de prise de conscience dont vont être issus les nouveaux règlements. Cette athlète a en effet remporté la finale du 800 mètres féminin en 2009, aux championnats du monde d’athlétisme de Berlin. Elle a défrayé la chronique, non seulement à cause du rythme qu’elle impose – elle pulvérise son record personnel – mais également parce que des doutes visuels sont immédiatement émis au sujet de son appartenance au genre féminin. Suite à sa victoire, la championne a subi des tests qui ont entraîné sa suspension jusqu’à ce qu’une commission d’experts statue sur son cas. Les examens pratiqués ont révélé qu’elle présentait une hyperandrogénie qui l’avantagerait par rapport à ses concurrentes.

Ainsi, selon l’un des premiers principes de cette nouvelle réglementation, une personne reconnue en droit comme étant de sexe féminin devrait être habilitée à concourir dans des compétitions féminines pour autant que ses niveaux d’androgènes soient inférieurs aux valeurs enregistrées chez les hommes ou, s’ils se situent dans la fourchette en question, que sa résistance aux androgènes soit telle qu’elle n’en retire aucun avantage pour la compétition.

Toute athlète qui ne serait pas autorisée à concourir devra être informée des conditions à remplir pour être à nouveau admissible. Celles qui ne parviendraient pas à se conformer à l’un des éléments de la procédure ou refuseraient de s’y soumettre ne seront pas admises à participer.

Ce même texte précise enfin que les nouvelles dispositions visent à respecter l’esprit de la classification hommes/femmes tout en garantissant l’équité et l’intégrité des compétitions féminines. Ce règlement viserait également à empêcher les hommes de participer aux compétitions féminines, bien que cette situation ne se soit jamais réellement présentée dans l’histoire du sport.

Si ce nouveau réglement entre en vigueur, il est à craindre que les femmes présentant une hyperandrogénie auront à corriger leur production d’androgènes, en en réduisant artificiellement les taux pour participer aux Jeux de Londres. Autrement dit, encore au XXIe siècle, l’activité physique et sportive des femmes ne doit toujours pas venir brouiller la stricte séparation des sexes par les performances, les records et les morphologies.

Une fois encore, les sportives risquent d’être sommées de faire la preuve de leur « sexe » pour pouvoir être inscrites aux Jeux olympiques. L’idée selon laquelle le sexe est une propriété corporelle différentielle qui procurerait aux hommes un avantage physique sur les femmes explique qu’il soit érigé en premier facteur de classification, dans la quasi-totalité des disciplines sportives. Donné de nature, le sexe constituerait à la fois un marqueur de catégorie et un attribut ou une qualité innés, immuables. Une des fonctions qui lui est liée, et qui justifie la séparation des athlètes en catégories « Hommes » et « Dames », voire l’exclusion de certaines sportives, est la production d’hormones sexuelles et plus précisément, des hormones androgènes, en raison des avantages qu’elles confèreraient en termes de supériorité physique, de pugnacité, d’agressivité.

Or, la testostérone est l’un des marqueurs les plus insaisissables que les autorités sportives aient choisi jusqu’alors. Les taux moyens de testostérone sont certes nettement différents chez l’homme et la femme. Cependant, d’une part, ces taux varient largement selon les jours, la période de la vie, le statut social et, surtout, selon l’intensité de la pratique sportive de chacun(e). D’autre part, notons que parfois la différence entre les taux de testostérone est plus importante entre deux hommes qu’entre un homme et une femme. Cette hormone n’est d’ailleurs pas la « molécule maîtresse » de l’athlétisme. En atteste le fait que les femmes dont les tissus ne répondent pas à la testostérone sont actuellement sur-représentées chez les athlètes de haut niveau (lire ici).

Enfin, ce nouveau règlement manque sérieusement de transparence. Quels types d’expertises et de preuves sont envisagés ? Quelles problématiques sont prises en compte ? Et surtout à quel niveau les taux hormonaux seront-ils régulés ?

Pourquoi ne pas cesser d’encadrer les performances physiques des athlètes féminines par tout un arsenal de règles et de réglementations, et pourquoi ne pas préférer les célébrer ?

A-t-on jamais envisagé qu’un homme qui produirait « trop » de testostérone, ou plus que ses concurrents, devrait être interdit de compétition tant qu’il n’a pas suivi un traitement visant à ramener ses taux à un niveau moyen, jugé acceptable ? En revanche, pourquoi le taux hormonal naturel de certaines athlètes féminines devrait-il, lui, être artificiellement diminué ?

Pour légitimer ces nouvelles réglementations, les dirigeants sportifs se cachent depuis longtemps derrière l’argument de la protection de la santé des athlètes féminines. Or, ironiquement, les traitements prévus afin de réguler les taux hormonaux des athlètes féminines peuvent engendrer des conséquences nocives et problématiques : comme les effets diurétiques qui provoquent une soif et une miction excessives, des déséquilibres électrolytiques (sodium, potassium…) et des perturbations du métabolisme comme l’intolérance au glucose, des maux de tête, de la fatigue et des nausées (lire ici).

Ainsi, au-delà d’un certain seuil, la sécrétion de testostérone des organismes féminins bouleverse l’ordre sexué, historiquement et médicalement défini.

La prise exogène de testostérone par les athlètes menace certes l’équité que les instances sportives jugent essentielle à la logique de la compétition. Cependant, les athlètes intersexes, mais également non intersexes, peuvent parfois produire plus de testostérone que la moyenne et bénéficier, en conséquence, d’une supériorité physique. Mais cette « inégalité » n’est-elle pas aussi « naturelle », par exemple, que le rythme cardiaque plus lent de bien des athlètes d’exception ? Il existe en effet des avantages/désavantages innés que le classement par sexe, par taille, par âge, etc. ne suffit pas à niveler. La production de testostérone des athlètes intersexes est endogène et, à cet égard, c’est un atout comparable à celui qu’offre un cœur qui bat lentement.

Toutes ces observations qui vont à rebours des idées reçues attestent à l’évidence la plasticité du sexe, toujours déniée par les instances sportives.

Certaines femmes transgresseraient la différence des sexes en en franchissant « naturellement » la limite, fixée par l’écart jugé tolérable avec la sécrétion moyenne d’androgènes des organismes féminins. C’est  finalement la frontière entre « corps naturels » et « corps artificiels » qui est ici interrogée. Officiellement, le but des contrôles est de rétablir la vérité (cachée) des corps, en démasquant ceux qui trichent sur leur nature ou tentent de la dépasser, que ce soit « naturellement » (pour les femmes) ou « artificiellement » (pour les hommes par la prise éventuelle de substances dopantes). Le sport est un champ spécifique de la fabrique des corps. Il procède selon ses propres règles pour assurer la production et la reproduction de la frontière érigée entre naturel et artificiel et maintenir, en définitive, la hiérarchie entre les sexes.

Pour finir, la philosophe et féministe Elsa Dorlin souligne que « l’application d’un contrôle de l’identité sexuelle des sportives s’apparente à une technologie disciplinaire contre productive du point de vue du CIO mais aussi des normes sportives de genre ; une technologie qui, même dans sa version la moins invasive, n’aura réussi qu’une chose : à instaurer une police de la testostérone. Une police effective, réglementant son trafic, une police idéologique qui n’a cessé de vouloir sexuer de façon exclusive cette hormone pourtant présente chez tous les individuEs à des taux variables » (1).

Ainsi, peut-on accepter de laisser le CIO, en toute impunité, réguler les taux hormonaux de jeunes athlètes féminines « trop performantes » lors des jeux Olympiques de Londres ?

Et, s’il est difficile de concevoir aujourd’hui les compétitions sportives sans règles, celles-ci ne gagneraient-elles pas à chercher des fondements plus rationnels et moins idéologiques ?

(1) Extrait de la préface du livre d’Anaïs Bohuon, Le test de féminité dans les compétitions sportives : une histoire classée x ?, aux éditions iXe.

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