« Sans une modification de la loi française, tout plan de soutien aux PME, fût-t-il doté de milliards d’euros, ne servira qu’à doper des PME pour le seul profit des grands groupes qui les absorberont, au détriment du tissu industriel national, de l’exportation et de l’emploi. » Par Jean-Michel Germa, fondateur de La Compagnie du Vent.
Il n’est pas un responsable politique qui ne fasse l’éloge des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), et ne regrette la faiblesse de notre tissu industriel, dominé par les grandes entreprises. A juste titre.
Le problème n’est pas nouveau. Déjà, en 2010, un rapport au premier ministre intitulé Les entreprises de taille intermédiaire au cœur d’une nouvelle dynamique de croissance dressait un constat alarmant : les ETI françaises sont deux fois moins nombreuses qu’en Allemagne et, pire, leur nombre diminue ici alors qu’il augmente là-bas. Les conséquences pour l’économie française sont d’autant plus préoccupantes que ces ETI représentent, d’après le rapport sénatorial, de vrais atouts. Elles sont performantes, elles incarnent un capitalisme « vertueux » et savent articuler harmonieusement le local et le global. Des vertus tellement évidentes qu’on est en droit de se demander pourquoi la France ne laisse pas ses PME devenir des ETI florissantes.
L’une des raisons avancées par le rapport pour expliquer le déficit d’ETI françaises mérite toute notre attention : « Les grandes entreprises veillent à ne pas laisser prospérer des entreprises suffisamment fortes pour leur faire concurrence. Ainsi le processus d’absorption des PME par des groupes est intense » !
Bien que surprenante, cette dernière raison illustre les risques encourus par les PME françaises lorsqu’elles se rapprochent des grandes entreprises. Elle permet aussi de comprendre comment reconstruire un puissant tissu industriel régional, constitué de PME appelées à devenir des ETI créatrices d’emplois locaux.
Loin de les opposer les unes aux autres, il convient de rappeler que les relations entre PME et grandes entreprises sont “ naturelles ”, notamment lorsqu'une PME a acquis un savoir-faire ou une technologie dans un domaine en forte croissance et à forte intensité capitalistique, justifiant un besoin en capitaux dont elle ne dispose pas. Lorsque l'actionnaire fondateur de la PME, qui souvent en est aussi le président, ne souhaite pas vendre l'intégralité de sa participation et ne peut faire appel au marché, une cohabitation s'engage, la PME disposant des projets à développer, et la grande entreprise apportant des capitaux pour les financer. Dans cette union, où les deux actionnaires sont amenés à partager les risques et les bénéfices éventuels, il n'est pas rare de voir la grande entreprise prendre le contrôle en acquérant juste un peu plus de 50% du capital de la PME.
Dès lors, l'avenir de la PME ne sera pas le même selon qu’elle est française ou allemande…
Pourquoi ? Le capitalisme rhénan serait-il plus “ vertueux ” que le capitalisme anglo-saxon dont a hérité la France dans les années 70 ? Non, il n’y a pas de capitalisme vertueux, pas plus en Allemagne qu’en France, et la raison est à chercher ailleurs.
Le capitalisme allemand est tout simplement régulé par la loi.
De telle sorte qu’en Allemagne, les PME sont protégées de toute absorption intempestive par les grands groupes industriels avec lesquels elles sont amenées à engager des relations capitalistiques. Le Code allemand des sociétés prévoit en effet que si un groupe prend, dans son seul intérêt, des décisions préjudiciables aux intérêts d’une société qu’il contrôle, il doit alors compenser directement les actionnaires minoritaires lésés par cette décision. Ainsi, et de manière quasi-automatique, ce dispositif protège les PME, les grands groupes préférant, plutôt que d’avoir à acquitter des sommes bien souvent conséquentes, développer les actifs des filiales qu’ils contrôlent ainsi que le savoir-faire de ceux qui les ont bâties et qui sont généralement les mieux à même de les valoriser.
C’est ainsi que les PME allemandes ne sont pas absorbées par leur actionnaire majoritaire, mais croissent et se développent pour devenir des ETI florissantes, exportatrices et ancrées dans le tissu économique des Landers.
Pendant ce temps, en France, nos grandes entreprises, libres de privilégier une stratégie optimisant le rendement financier de leurs capitaux à court terme, sans tenir compte des contraintes sociales et régionales, appliquent ce qu'elles appellent une “ politique de groupe ” conduisant à transférer le savoir-faire de la PME qu’elles contrôlent, voire certains de ses actifs (à commencer par ses compétences humaines), vers des filiales qu'elles détiennent à 100% et/ou à en freiner le développement au profit de ces mêmes filiales. Ne disposant plus de tout son savoir-faire, n'ayant plus de projets à venir, la PME devient déficitaire et est alors “ restructurée ” par l’actionnaire majoritaire. Licenciements et mobilité intra-groupe finissent par vider définitivement la PME qui sera absorbée ou végétera quelques années avant de disparaître.
Les conséquences de cette “ politique de groupe ” sont catastrophiques pour le tissu des PME industrielles françaises et les chiffres parlent malheureusement d’eux-mêmes : trois fois plus d’entreprises exportatrices en Allemagne, qui représentent 90% de l’excédent commercial (170 milliards d'euros par an), contre un déficit annuel de 60 milliards en France, et un taux de chômage près de deux fois inférieur au nôtre.
Sans une modification de la loi française, tout plan de soutien aux PME, fût-t-il doté de milliards d’euros, ne servira qu’à doper des PME pour le seul profit des grands groupes qui les absorberont, au détriment du tissu industriel national, de l’exportation et de l’emploi.
Pour cette modification, le législateur pourra avantageusement s’inspirer d’un dispositif légal analogue protégeant la Compagnie nationale du Rhône (CNR): la loi française dispose en effet que la CNR, actuellement contrôlée majoritairement par des collectivités publiques, ne peut passer sous contrôle d’un actionnaire privé.
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