Pour l'économiste Cristina Semblano (Sorbonne), « la gauche de gauche parlementaire, celle qui a tenu tête au gouvernement pendant quatre ans » pourrait créer la surprise lors des élections législatives du dimanche 4 octobre, le champ lui étant laissé libre par un « Parti socialiste qui, passé à l’opposition après avoir signé le Mémorandum, a peu de fois voté contre les projets présentés par le gouvernement » de centre droit.
Appelé en six ans à sauver six banques, le peuple portugais est saigné à blanc. La fin, en mai 2014, du programme d’ajustement censé rééquilibrer les finances publiques du pays mises à mal par les sauvetages étatiques des banques et la spéculation des marchés financiers dans le sillage de la crise financière internationale, n’a pas sonné la fin de l’austérité imposée à l’une des populations les plus pauvres de la zone euro et de l’UE.
En quatre ans, le PIB a reculé quinze ans en arrière, tandis que le flux migratoire est comparable à celui survenu à l’ère de la dictature et de la guerre coloniale. Malgré la véritable saignée que connaît le pays, et qui pose un problème démographique majeur, le taux de chômage réel est de 25% et frappe de façon inquiétante les jeunes.
C’est cette population qui a vu, en quatre ans, chuter les revenus moyens réels dans la fonction publique de 22% et ceux du secteur privé de 11%, ses retraités perdre 25% de leurs revenus et la pauvreté et l’exclusion frapper plus de 1/5 de ses membres, qui s’apprête à voter le 4 octobre prochain pour élire un nouveau Parlement.
Les sondages donnent gagnants les deux partis de la coalition de droite actuellement au pouvoir qui concourent ensemble à ces élections, ceux-là même qui ont été les maîtres d’ouvrage du Mémorandum imposé au Portugal par les institutions européennes et le FMI en mai 2011, et accepté par l’ensemble des partis qui, depuis 40 ans, se partagent le pouvoir au Portugal.
Le gouvernement fait valoir qu’il y a quatre ans, il a accédé au pouvoir dans un pays que le Parti socialiste avait mené au bord de la faillite, et qu’il pu ramener, grâce aux sacrifices de la population, sur la voie du redressement avec une croissance projetée du PIB à 1,7% cette année, une amélioration des soldes extérieurs et une baisse du chômage.
Ce faisant, le gouvernement fait l’impasse sur les effets dévastateurs de la crise financière sur ce pays périphérique qu’une insertion dysfonctionnelle dans la zone euro avait déjà condamné à une décennie de quasi-stagnation économique ; il se garde également de comparer la croissance actuelle à la décroissance des années de la troïka (-6%), l’amélioration toute relative des soldes extérieurs à la forte contraction du marché interne et, enfin, la baisse du chômage à l’émigration d’un demi million de personnes et la création d’emplois précaires.
Cependant, si tous les sacrifices imposés au peuple portugais ont eu comme prétexte l’assainissement des finances publiques du pays, le gouvernement actuel ne peut pas se targuer d’y être parvenu. Malgré des privatisations massives, allant bien au-delà du Mémorandum et ayant soustrait aux leviers de la politique économique des secteurs stratégiques de l’économie, le déficit public de 2014 s’affiche à 7,2% du PIB, soit son niveau de 2011, et la dette publique dépasse les 130% du PIB, soit 30 points au-dessus du niveau qui était le sien lors de l’arrivée de la Troïka.
Par ailleurs, les mensonges du gouvernement ne cessent de faire surface : depuis la dissimulation de pertes pour ne pas aggraver le déficit de 2012, jusqu’aux tentatives pour retarder la publication des statistiques de l’émigration de 2014, en passant par le report de la vente du Novo Banco – créé à la suite de l’effondrement en août dernier de la deuxième banque privée du pays – afin de cacher l’inévitabilité de la contribution des citoyens aux pertes qui en découleront, la liste ne cesse de s’allonger.
Dans ces circonstances, pourquoi les sondages donnent-ils une avance significative à la coalition de droite, même si elle atteint des minimums historiques, face au parti socialiste ?
La réponse est peut-être dans les sondages eux-mêmes que beaucoup croient truqués, mais elle l’est certainement pour une part non négligeable dans le peu de conviction d’un parti socialiste qui, passé à l’opposition après avoir signé le Mémorandum, a peu de fois voté contre les projets présentés par le gouvernement et dont la teneur néo-libérale économique du programme ne fait aucun doute. La preuve : un banquier portugais vient de déclarer que quel que soit le gagnant de ces élections, cela ne changera rien pour les entreprises. Et il est permis de croire que face à la croyance de l’absence d’alternative, beaucoup d’électeurs préféreront l’original à la copie.
Cependant, la surprise peut venir de la gauche de gauche. Diabolisée par les uns et les autres comme irréaliste et susceptible de mener le pays au chaos, ou alors incapable de tenir ses idéaux face à une réalité présentée comme incontournable (voir Syriza en Grèce), la gauche de gauche parlementaire, celle qui a tenu tête au gouvernement pendant quatre ans, soit l’alliance du Parti communiste et des Verts, et le Bloco de Esquerda, pourrait rebondir et atteindre un score proche de 20%.
Ce dimanche en tout cas, face à l’absence d’une majorité absolue, le score de la gauche de gauche pourrait faire la différence.