Le sinologue Lucien Fanchelieu confie sa déception après le voyage de François Hollande à Pékin durant lequel ce dernier a fait l'impasse sur les droits de l'homme. Témoin fort bien informé, il montre comment le président français aurait pu parler politique aux dirigeants chinois et, à travers eux, au peuple de Chine.
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Le Prix Nobel de la paix, Liu Xiaobo, purge une peine de onze ans de prison à Jinzhou, à 500 km de Pékin. Son épouse, Liu Xia maintenue en résidence surveillée et privée de téléphone et d’internet depuis deux ans et demi. Le 23 avril, le procès pour fraude de son jeune frère, Liu Hui, s’est ouvert dans la banlieue de Pékin. Il risque 14 ans de prison. Dans leur grande magnanimité, les dirigeants chinois ont autorisé sa sœur à s’y rendre et elle a pu ainsi déclarer aux journalistes présents: « Je ne suis pas libre ».
On veut croire que notre président est au courant de ces informations. Pourtant, il n’a pas jugé bon de les rappeler à ses interlocuteurs au cours de son voyage à Pékin. S’il avait fait part aux dirigeants chinois de l’indignation que provoque cette situation en France, aurait-il pris le risque de faire échouer son voyage en Chine ? Les promesses de vente d’Airbus, d’achat de centrales nucléaires annoncées à l’issue de chaque voyage présidentiel en Chine auraient-elles été annulées parce que le nom du Prix Nobel aurait été mentionné ? D’abord, il ne s’agit que de promesses. D’autre part, si le contrat était vraiment signé, une grande partie des avions seraient fabriqués à Tianjin, ce qui ne créé pas beaucoup d’emplois en France.
Surtout, on ne comprend pas pourquoi les présidents successifs commettent la même erreur d’analyse en pensant que s’ils abordent leurs divergences avec leurs interlocuteurs, ceux-ci prendront des mesures de rétorsion dans le domaine économique. Les dirigeants chinois sont réalistes : tant qu’ils ne sont pas en mesure de fabriquer des avions de ligne, ils doivent équilibrer leurs achats de Boeing par des achats d’Airbus. Ils ne peuvent pas, en effet, dépendre uniquement de fournisseurs américains dans un domaine aussi stratégique que l’aviation. Si les centrales d’Aréva sont les plus performantes et les moins coûteuses, ils les achèteront, que le président (qui avait affirmé ne pas être un VRP) mentionne ou non le prix Nobel de la paix.
Pourquoi François Hollande partage-t-il l’illusion de Jacques Chirac selon laquelle « la relation franco-chinoise est spéciale », les positions stratégiques des deux pays sont comparables ? Cette relation spéciale ne s’est jamais traduite en termes de relations commerciales. Le premier ministre Zhou Enlai avait d’ailleurs coutume de déclarer aux présidents en visite : « A qualité et prix égal, nous achèterons français ». Et d’ailleurs, même quand elle n’avait pas de relations diplomatiques avec la Chine, l’Allemagne détenait une partie plus importante du marché chinois que la France.
L’histoire montre que le poids économique de la France en Chine n’est pas proportionnel à la chaleur des relations politiques entre les deux pays. Ainsi, en 1989, il n’a pas diminué, alors que le mentor de François Hollande, François Mitterrand, avait eu des mots très durs pour le pouvoir chinois. Et après que Nicolas Sarkozy a été le seul dirigeant occidental à se rendre à l’inauguration de l’Expo universelle de Shanghai en 2010 pour se faire pardonner d’avoir reçu le Dalai Lama, il n’a pas augmenté.
Plutôt que de regarder vers ses prédécesseurs de droite, François Hollande aurait pu s’inspirer de l’attitude d’un autre socialiste, l’ancien premier ministre australien, le travailliste Kevin Rudd qui, au cours d’une visite officielle à Pékin, avait affirmé aux dirigeants chinois qu’il se comporterait en zhenyou, à savoir en ami qui démontre son amitié en disant vraiment ce qu’il pense à son interlocuteur. En 2008, il avait exhorté le Premier ministre Wen Jiabao à entamer des négociations avec le Dalaï Lama. Tout cela n’a pas empêché l’Australie d’avoir des relations économiques extrêmement fructueuse avec l’Empire du Milieu.
Au cours de son voyage, François Hollande a demandé à la Chine de venir au secours de notre monnaie en investissant dans la zone euro. Il a fait appel aux investissements chinois pour créer des entreprises dans notre pays. Est-ce vraiment nécessaire ? La crise de l’euro, la déflation qui s’installe en Europe, la montée du chômage viennent-elles de l’absence de capitaux ? Ou d’une politique monétariste qui ne peut que conduire qu’à la récession ? Pourquoi au lieu d’aligner sa politique économique sur celle d’Angela Merkel, le président socialiste ne s’inspire-t-il pas de la manière dont la chancelière d’origine est-allemande tient la dragée haute aux dirigeants chinois sur la question des Droits de l’homme ? Lorsqu’elle se rend à Pékin, Angela Merkel prend toujours soin de recevoir des intellectuels critiques, tels le sociologue Yu Jianrong qui donne la parole aux paysans spoliés, l’avocat Mo Shaoping, qui défend le frère de Liu Xia, le blogueur Michael Anti, qui n’hésite pas à dénoncer les abus du pouvoir. Malgré cela, elle est traitée en amie par les dirigeants chinois, et la part du marché chinois détenue par l’Allemagne atteint 5% (contre 1,27% à la France, plus vieille amie de la Chine).
En limitant sa visite en Chine à 37 heures, François Hollande s’est interdit de telles rencontres. Il n’a pu s’entretenir qu’avec les dirigeants du Parti et de l’Etat. Ce faisant, il a envoyé un signal très négatif à la population de ce pays. Il n’a pas reconnu l’extrême importance des changements qui affectent une société de plus en plus consciente de ses droits, qui s’exprime de plus en plus librement et qui regarde vers le monde extérieur (en particulier vers la France) pour imposer à ses dirigeants le respect des « valeurs universelles ». Il est loin le temps où le seul Parti parlait pour un milliard d’habitants. Le PCC est aujourd’hui forcé de composer avec une opinion publique naissante. En se limitant à une très courte visite, François Hollande a omis de prendre en compte le pluralisme naissant. Dommage.
Espérons qu’il s’est entretenu de problèmes sociaux avec ses interlocuteurs. De corruption et de conflits d’intérêts, par exemple, un problème sensible en France comme en Chine. Quelques jours avant l’arrivée du Président à Pékin, des citoyens chinois ont été arrêtés pour avoir réclamé ce qu’il vient précisément d’imposer aux hommes politiques français : la publication du patrimoine des cadres dirigeants.
Admettons qu’il n’ait pas voulu choquer ses interlocuteurs : il avait une autre occasion exceptionnelle de leur parler de politique. A l’issue du 18ème congrès du Parti communiste chinois en effet, Wang Qishan, nouvellement promu au comité permanent du Bureau politique, a recommandé à ses collègues de la lecture de L’Ancien régime et la Révolution, d’Alexis de Tocqueville (ce qui prouve, soit dit en passant, que la France dispose encore de « soft power » en Chine). Le diplômé de la promotion Voltaire de l’ENA aurait pu exposer les conclusions qu’il tire de l’analyse de son grand compatriote, en engageant par exemple les dirigeants communistes à institutionnaliser des canaux de communication avec la société afin d’éviter une révolution.
Au lieu de cela, il a discuté contrats, et, dans le domaine politique, a réaffirmé l’idée gaulliste de la convergence des diplomaties française et chinoise en faveur d’un monde multipolaire. Décidément, au cours de son séjour en Chine, notre président aura été désespérément normal…