Dans le nord du Kosovo, les tensions persistent avec la Serbie, qui refuse toute exportation des produits kosovars. Lulzim Hiseni, chargé d'affaires de l'Ambassade de la république du Kosovo en France, appelle l'UE et la France à soutenir le nouveau gouvernement.
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Depuis l'indépendance du Kosovo, en 2008, le Nord refuse de reconnaître la réalité du nouvel Etat et s'oppose à toute action visant à instaurer sa souveraineté sur tout le territoire. Dès l'indépendance, le poste frontière numéro 1 fut incendié par des extrémistes serbes, en signe de protestation. Depuis, la Serbie refuse l'exportation des produits kosovars en Serbie, y compris le transit, en arguant du fait que les tampons kosovars symbolisent la souveraineté du nouvel Etat, violant ainsi les accords de libre commerce des marchandises (CEFTA) dont le Kosovo et la Serbie font partie. Pourtant, les tampons kosovars, élaborés à la suite d'un compromis entre le gouvernement du Kosovo et la communauté internationale, ont été déclarés conformes à la résolution onusienne 1244.
Le blocus se traduit par une perte très importante pour le budget du Kosovo, alors que la Serbie continue librement d'exporter ses marchandises au Kosovo. Cela faisait trois ans que les autorités kosovares se montraient constructives et ceci malgré les pressions des entrepreneurs kosovars sur le gouvernement, soulignant les préjudices qu'ils subissaient de par cette situation. Elles espéreraient en effet que la Serbie allait changer d'attitude vis-à-vis du blocage et elles se sont régulièrement adressées à l'UE afin de trouver un remède à cette situation anormale et d'autant plus problématique que les principales ressources du Kosovo proviennent des douanes et que le chômage se situe à 40% de la population active. De plus, faute de présence étatique, le nord du Kosovo était devenu une zone de crime organisé et de trafics de tous genres qui profitaient aux réseaux criminels.
Suite au retrait de la Serbie des pourparlers et en réponse à une pression grandissante de l'opposition et de la société civile kosovare en faveur de l'application du principe de réciprocité, le gouvernement décida de prendre ses responsabilités et de faire prévaloir la souveraineté du Kosovo, en envoyant une unité de police spéciale afin de prendre le contrôle de ses postes frontières au nord du Kosovo afin de pouvoir appliquer le principe de réciprocité. Lors de cette action, la police kosovare a atteint son objectif sans qu'aucun citoyen du Nord ne soit blessé, malgré la riposte des nationalistes serbes qui a coûté la vie à l'un de ses membres (tué par un sniper serbe d'une balle en pleine tête). Elle se retirera ensuite lorsque la KFOR prendra contrôle de ces deux positions ; cette dernière sera alors violement attaquée par des nationalistes serbes qui incendieront et détruiront complètement le poste frontière 1 (le même qu'en 2008).
Faut-il rappeler l'opinion positive de la Cour internationale de justice en juillet 2010 sur la conformité de l'indépendance du Kosovo avec le droit international ? Cet avis de la Cour fut soutenu politiquement par l'assemblée générale de l'ONU qui appela le Kosovo et la Serbie à entamer un dialogue, facilité par l'UE, sur les questions techniques visant à améliorer les conditions de vie des citoyens. A la faveur de ce dialogue, quelques résultats ont été obtenus, mais, alors que la question de la libre-circulation des marchandises devait être réglée au cours du mois de juillet, le dialogue fut reporté en raison du refus de la Serbie de le poursuivre. Celle-ci, qui s'attend à obtenir le statut d'Etat candidat par la Commission européenne, considérait peut-être qu'avec l'arrestation de deux criminels de guerre, seize ans après les faits, et un début de dialogue avec le Kosovo, elle avait fait des gestes importants méritant un avis favorable.
Les autorités serbes de Belgrade ont critiqué l'«acte unilatéral» du gouvernement du Kosovo sans pour autant condamner les violences des nationalistes serbes qui avaient coûté la vie d'un membre de la police kosovare et sans lancer un appel au calme aux serbes du Nord. C'est uniquement le lendemain, à la suite de l'attaque de la KFOR et de l'incendie du poste frontière, que les autorités serbes de Belgrade ont condamné les violences. Le gouvernement du Kosovo est pourtant convaincu que ces dernières furent organisées par les autorités serbes afin d'empêcher que la loi kosovare puisse être appliquée au nord du Kosovo. Ceci s'inscrit dans la volonté de la Serbie de séparer le nord du Kosovo pour le rattacher à son territoire, et ce avant d'entrer dans l'UE (ensuite, il sera trop tard pour opérer cette partition!). Ceci peut être illustré par certaines déclarations récentes des autorités serbes, comme celle du Président Tadic selon laquelle «il n'y a pas de nation kosovare mais seulement une nation serbe et albanaise», défendant ainsi une conception ethnique de la nation au détriment d'une conception moderne de la nation comme construction sociale et soutenant qu'il faudrait discuter avec les autorités albanaises de Tirana, afin de trouver un compromis historique sur le Kosovo. On peut donc légitimement se poser la question d'un double langage: se montrer constructif sur certaines questions lorsqu'il s'agit de gagner des points auprès de l'UE, mais conserver une attitude ultra-nationaliste vis-à-vis du Kosovo.
Le gouvernement du Kosovo a exprimé son désir de régler la question de la libre-circulation des marchandises par la voie du dialogue, mais il affirme par ailleurs sa volonté, comme tout Etat souverain, que s'applique la loi et l'ordre public sur l'ensemble de son territoire. Peut-on lui en vouloir de vouloir faire prévaloir sa souveraineté ? A un moment où la communauté internationale mène justement des actions importantes pour éviter l'écroulement d'Etats faillis ? Certes le Nord a des spécificités, qui sont prises en compte dans le plan Ahtisaari, intégré dans la constitution kosovare. Mais cette spécificité ne doit pas signifier une partition qui aurait des conséquences néfastes pour toute la région et mettrait en cause les longs et courageux efforts de la communauté internationale en faveur de la pacification et la réconciliation de toute la région. Ce serait rouvrir la boîte de Pandore...
Il revient à l'UE, présente via la mission civile la plus importante au monde, de faire régner la loi de façon uniforme dans tout le territoire du Kosovo ; on ne peut pas avoir une mission d'Etat de droit et faire appliquer plusieurs régimes de droit (kosovare et serbe) sur un seul territoire. Alors que le Kosovo est reconnu par une majorité écrasante des Etats membres de l'UE et par les démocraties les plus importantes de la planète, il est tout à fait légitime et indispensable qu'il puisse prendre ses responsabilités en agissant en faveur de l'application de la règle de droit sur tout son territoire. C'est pourquoi l'UE, et notamment sa mission «EULEX», doit soutenir le Kosovo lorsqu'il s'efforce d'établir sa souveraineté sur tout son territoire, ce qui contribuera aussi à la cohérence de sa politique extérieure qui, selon certains, «se joue dans les Balkans».