Billet de blog 4 octobre 2010

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Les choix mal assumés du budget 2011

Par Thomas Chalumeau, directeur des questions économiques de Terra Nova.

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Par Thomas Chalumeau, directeur des questions économiques de Terra Nova.

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Comment revenir à une politique de responsabilité budgétaire en France, permettant le retour à un équilibre crédible des comptes publics, sans détruire la croissance ? Voilà bien un enjeu décisif pour les prochaines années, dont le budget 2011 s'annonçait comme un test.

Le retour à une trajectoire soutenable des finances publiques est aujourd'hui indispensable. Car la dette publique dériverait, sans correction, à plus de 130% du PIB en 2020 ! Le paiement de ses seuls intérêts détourne chaque année 45 milliards d'euros du financement des services publics comme des dépenses d'avenir, et réduit d'autant l'efficacité de la dépense budgétaire. Enfin, la dette publique se traduit par une redistribution à l'envers massive, non seulement entre catégories sociales mais aussi entre les générations. Elle est à cet égard autant l'ennemie de la gauche que de la droite.

Pour revenir autour de 3% de déficits d'ici fin 2015, l'effort de rigueur à accomplir est considérable: de l'ordre de 1 point de PIB par an pendant 5 ans – soit près de 100 milliards d'euros au total. Et le contexte extrêmement délicat, avec la perspective de plusieurs années de croissance molle en France et en Europe au cours des cinq prochaines années.

La crédibilité de l'ajustement budgétaire, tel que proposé dans le projet de loi de finance, fait donc à juste titre débat.

Si la trajectoire affichée sur le papier –6% de déficits publics en point de passage fin 2011– apparaît raisonnable après un déficit d'environ 8% cette année (retour progressif à l'équilibre), la réalisation du plan d'ajustement repose sur trois hypothèses extrêmement fortes : un retour de l'économie française à une croissance de 2% l'an prochain, une réduction sans précédent des dépenses publiques, très sensiblement supérieure à celle réussie en France depuis 20 ans, et un impact modéré de la rigueur sur la reprise de l'investissement en 2010. Ces trois postulats apparaissent malheureusement très fragiles.

1. Un retour de l'économie française à une croissance de 2% l'an prochain ?

Malgré la décision du gouvernement, cet été, de revenir à une hypothèse de croissance de 2 % en 2011 (contre 2,5 % annoncés par Bercy en mai), cette projection est encore jugée éminemment volontariste par les observateurs. Notamment en raison de l'effet négatif des plans d'austérité menés en Europe.

La France a connu une croissance annuelle moyenne de 1,5 % de 2000 à 2009

Le consensus des économistes pour 2011 s'établit aujourd'hui autour de 1,5%: cette hypothèse vient d'être confirmée par la dernière prévision (20 septembre) des dix-sept instituts de conjoncture, membres du groupe technique de la Commission économique de la nation.
Les économistes pointent en outre les très fortes incertitudes liées au ralentissement de l'économie américaine depuis quelques mois. Pire : l'Europe est privée de moteur propre, du fait de la généralisation des plans de rigueur et du choix de l'Allemagne de ne pas jouer le rôle de locomotive de l'économie européenne l'an prochain.

La consommation des ménages en France est depuis quelques mois au point mort (+0 % après +0,9 % au dernier trimestre 2009) et plusieurs facteurs continuent à peser sur le pouvoir d'achat des ménages : le retour de l'inflation, la hausse continue du chômage et la fin des mesures de soutien au pouvoir d'achat. Quant à l'investissement des entreprises, il continue à chuter depuis le début de l'année;
Surtout, la croissance, dès 2011, pourrait subir de plein fouet le triple impact de la consolidation budgétaire, de la fin des mesures de soutien et de la hausse du chômage. La dépense publique et les stabilisateurs automatiques ont été les principaux « amortisseurs » de la crise et ont soutenu la consommation des ménages, traditionnel moteur de la croissance française, en 2009 et au premier semestre 2010. Le plan d'austérité risque d'éteindre dès 2011 le dernier moteur de la croissance française.

En retenant une hypothèse de croissance éloignée de celle du consensus, le projet de loi de finances 2011 commet les mêmes erreurs que les budgets précédents et tend à sous-estimer la réalité de l'effort d'ajustement à accomplir.

En retenant le consensus actuel des économistes sur la croissance l'an prochain (1.5%), le déficit pourrait être plus proche 7 points de PIB, correspondant à environ 4,8 points de déficit conjoncturel et 3 points de charges d'intérêt. Il aurait été, de ce point de vue, plus raisonnable d'assoir le budget sur une hypothèse de croissance plus réaliste, rejoignant le consensus des économistes, et s'engager à ce que tout demi-point de croissance supplémentaire soit utilisé pour réduire plus avant les déficits.


2. Un rythme de réduction des dépenses publiques, très sensiblement supérieur à tous les précédents programmes d'ajustement menés en France depuis 20 ans

A l'instar de l'ensemble des pays européens, le projet de budget pour 2011 a confirmé l'entrée de la France dans la rigueur:
- réduction de 60 milliards d'euros des déficits afin de ramener les déficits à 6%, contre 7,8% cette année,
- gel en valeur sur les trois prochaines années des dépenses de l'Etat, au moyen d'une réduction de 10 % d'ici 2013 des dépenses de fonctionnement (43 milliards d'euros en 2010) et d'intervention (67,6 milliards d'euros),
- gel des dotations aux collectivités territoriales entre 2011 et 2013 pour une économie de l'ordre de 2,5 milliards d'euros,
- blocage de la valeur du point d'indice qui définit le montant du salaire des fonctionnaires,
- suppression de 31.400 emplois dans la fonction publique, une mesure qui touchera principalement l'Education nationale, avec 16.000 emplois perdus, la Défense (-8.300), les Finances (-3.100), l'Intérieur (- 1.600) et l'Ecologie (-1.300),
- ajustement à la baisse des budgets de l'écologie, de la solidarité, et du logement, lesquels figureront parmi les missions les plus durement touchées,
- quant aux crédits de l'emploi, si les crédits de la mission "travail-emploi" affichent une hausse apparente de 1% en 2011, la suppression du plan de relance conduira en réalité à une diminution de 1,8 milliards d'euros de l'ensemble des moyens d'intervention de l'Etat et 130.000 emplois aidés seront supprimés.

Pour autant, plusieurs impasses persistent.

Depuis 2002, les gouvernements successifs ont réussi à baisser le déficit public au mieux de 0,5 % par an. Jamais une réduction du déficit de l'ampleur affichée pour 2011 –près de 2 points de PIB– n'a été réalisée en une seule année ni été atteinte dans notre pays par un poids si considérable exercé sur la dépense. Pour une raison simple : l'impact récessif sur la croissance.

La réforme générale des politiques publiques (RGPP) montre des signes très inquiétants. Au delà de la critique structurelle sur la méthode employée (application de normes forfaitaires telle que le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, désorganisation des administrations et des services publics...), les «gains» budgétaires annuels sont aujourd'hui proches de 5 à 7 milliards d'euros, une «goutte d'eau » par rapport aux 45 milliards de réduction des dépenses annoncés à Bruxelles d'ici 2013.

La dette publique, proche de 1.500 milliards d'euros, continuera à progresser pour dépasser 84 % du PIB en 2011 et tendre vers un niveau proche de 100 % du PIB d'ici 2013. Toute remontée substantielle des taux en 2011 se traduirait par un alourdissement conséquent des charges de la dette.

La dette sociale atteindra en 2011 un nouveau record avec plus de 160 milliards d'euros.

Les déficits sociaux ne devraient pas reculer de manière significative par rapport au niveau sans précédent de 2010 (25 milliards d'euros) en dépit des mesures d'urgence mises en place depuis 2007 à la charge des assurés (déremboursements, hausse du forfait hospitalier, transfert croissant de dépenses maladie à la charge des assurances complémentaires,...).

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2011 a fait le choix de repousser son terme théorique de remboursement de 4 ans et de liquider d'ici 2018 les actifs du Fonds de réserve pour les retraites en les affectant au remboursement des intérêts de la dette... alors qu'une autre orientation était possible : s'attaquer par exemple aux 67 milliards d'euros de niches sociales de manière plus décisive.

Enfin, l'impact financier de la réforme des retraites, au-delà du débat sur le fond de la réforme, serait au mieux très graduel, le gouvernement ne visant l'équilibre qu'à l'horizon 2018. D'ici là, les déficits des régimes de retraite continueront de se creuser.

Au total, l'ampleur de la baisse des dépenses publiques annoncée pour 2011 et, au-delà, d'ici 2013, pourrait se heurter au mur de la réalité : la poursuite d'une très forte dégradation des déficits sociaux et l'épuisement des gains de la réforme de l'Etat.

Le choix du gouvernement d'afficher des hypothèses de croissance très ambitieuses (2% l'an prochain, 2,5% par an à partir de 2012) ne serait-il pas en lui-même un premier aveu de la difficulté à assurer le bouclage promis sur les dépenses, d'ici la fin de la mandature, sans une croissance nettement plus forte que celle attendue ?

3. Quel impact sur la reprise de l'investissement en 2011 ?

Le budget 2011 confirme la fin l'an prochain du plan de relance de 34 milliards d'euros initié en 2009 : avances de trésorerie aux entreprises, aides au secteur automobile...
Son bilan intermédiaire vient d'être dressé par la Cour des Comptes. Il aura coûté à ce stade environ 1,4% du PIB pour un impact limité à ce jour à 0,5% de PIB en termes de croissance, tout en contribuant à limiter la baisse de l'investissement et les faillites d'entreprise (création de «18.000 à 72.000 emplois» selon la Cour des comptes).

Dans son rapport, la Cour pointe toutefois quelques «entorses faites aux principes initiaux». Ainsi, les entreprises publiques, qui devaient réaliser un effort d'investissement de 4 milliards, n'ont finalement investi qu'environ 1 milliard en 2009. Et la somme versée par l'Etat dans le cadre du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) aux collectivités locales leur a surtout servi à améliorer leur situation financière et non à relancer l'investissement, remarque la Cour.

L'achèvement du plan de relance permettra de réduire mécaniquement les dépenses de 16 milliards d'euros selon le gouvernement. Il soulève toutefois une question cruciale : quel en sera l'effet sur l'investissement en 2011 ?

D'autant que plusieurs autres mesures impacteront la reprise de l'investissement, clé du retour de la croissance, l'an prochain.

Le gel des dotations aux collectivités territoriales entre 2011 et 2013 pour une économie de l'ordre de 2,5 milliards d'euros, aura un impact très important sur leurs programmes d'investissement. L'investissement public, assuré aux deux tiers par les collectivités locales, stagne déjà à un niveau inférieur à celui de 2008 et sera profondément impacté en 2011 par la volonté du gouvernement de brider leurs dépenses. Ainsi les présidents de région viennent-il d'estimer publiquement que la nouvelle donne financière, née entre autres de la suppression de la taxe professionnelle, les empêchera en 2011 d'honorer leurs engagements sur le financement des trains régionaux.

Les coupes importantes prévues dans le budget du logement aggraveront les difficultés du secteur, alors même que la crise du logement reste aiguë.

La remontée des impôts risque d'affecter la consommation des ménages et les marges des entreprises. Dès l'an prochain, les impôts augmenteront de 10 milliards d'euros, et de 12,5 milliards en 2012. Le taux des prélèvements obligatoires remontant à 43 % du PIB fin 2012, rejoindra son niveau du début du quinquennat (43,2%en 2007). L'augmentation des impôts n'en est d'ailleurs qu'à ses débuts, si l'on en croit le plan de redressement des comptes publics transmis mi-juin par le gouvernement à Bruxelles, qui table sur une progression des recettes publiques (impôts) de près de... 55 milliards d'ici fin 2013.

Même si ce chiffre intègre l'effet d'un retour à une croissance de 2,5% par an à partir de 2012, le gouvernement prévoit bel et bien une hausse très significative des impôts et taxes en France au cours des trois prochaines années.

La forte remontée de l'euro, observable depuis quelques mois dans le sillage du ralentissement de l'économie américaine, pourrait se confirmer en 2011 et réduire les carnets de commandes des entreprises françaises à l'export. L'aggravation tendancielle de nos déficits commerciaux témoigne de la fragilité de la demande extérieure adressée à l'économie française ;

Enfin, sur le plan macro-économique, la réforme des retraites risque de se traduire par une remontée du taux d'épargne des ménages l'an prochain, au détriment de la consommation et de l'investissement des ménages, principale soutien de l'activité en France au cours de la crise.


Une triple conclusion s'impose.
1. Les objectifs annoncés pour 2011 sur la baisse des dépenses publiques seront très difficiles à atteindre, dans l'état actuel de la croissance, du dialogue social au sein de la fonction publique et du dérapage des comptes sociaux.
Les éléments annoncés à ce stade sont loin d'assurer le redressement des recettes publiques de 2 points de PIB prévu dans le Pacte de stabilité et de croissance à l'horizon 2013. De fait, un tel rebond n'est envisageable qu'à l'issue d'une longue période de forte croissance de l'activité et de la masse salariale.
De fait, l'accélération des suppressions de postes dans la fonction publique et les probablement trop faibles économies annoncées sur les niches fiscales ne pallient pas l'absence d'une politique budgétaire et fiscale responsable.
La situation financière de la France pourrait donc malheureusement continuer à dériver d'ici 2012. Au risque de mettre notre pays en danger, soumis à la poursuite d'un endettement insoutenable à terme.

2. L'augmentation des prélèvements obligataires en France est aujourd'hui clairement engagée et, avec elle, le débat sur un rééquilibrage du plan d'ajustement des comptes publics de la France
Selon les prévisions du gouvernement, près de 10 milliards de hausses d'impôts sont programmés en 2011, 23 milliards d'ici 2012 (10 en 2011 +12,5 en 2012), et 55 milliards prévus d'ici fin 2013. Cette hausse fiscale sera en théorie partagée, à parts à peu près égales, entre les entreprises et les ménages. En réalité, au moins deux tiers de la charge supportée par les entreprises pourraient in fine être répercutés dans les prix à la consommation. Les ménages supporteront donc une très grande partie de l'augmentation des impôts.
Avec un vrai risque sur la croissance, car, à ce stade du cycle économique, les marges pour augmenter encore la pression fiscale sur les ménages et les classes moyennes sont faibles : une ponction fiscale excessive placerait tôt ou tard l'économie française dans une spirale déflationniste.

3. Dans ce contexte, les mesures fiscales du budget, et tout particulièrement la réduction d'une dizaine de milliards du montant des niches fiscales, apparaissent très peu ambitieuses. Le montant global des niches ne dépasse-t-il pas 200 milliards d'euros aujourd'hui, et les seules niches sociales près de 67 milliards d'euros ?
Sur ce sujet des niches, l'heure n'est plus aux demi-mesures mais à une réforme d'ampleur, radicale, globale, aujourd'hui indispensable non seulement pour des raisons économiques et budgétaires mais également au nom de la justice sociale et de l'efficacité de l'action publique.
Pris dans son ensemble, le plan d'ajustement des finances publiques français mériterait d'être sans doute rééquilibré par un volet recettes plus ample et surtout assumé vis-à-vis de l'opinion publique.

Réforme de l'impôt sur le revenu, évolution de la CSG et/ou de la CRDS pour combler les déficits sociaux, révision circonstanciée de certains éléments de la fiscalité du capital, du patrimoine et des très grandes entreprises, tout en prenant dûment en compte les problèmes de marges de nombreuses PME, le tout conjointement à une vraie réforme d'ensemble des niches fiscales ou sociales pour rétablir des impositions à assiette large et à taux progressif? Il n'est plus possible de différer longtemps encore les réflexions sur une grande réforme des prélèvements obligatoires.

A défaut de choix clairs, la France risque malheureusement de continuer à cumuler un niveau d'endettement insoutenable, une politique des dépenses peu crédible et des choix fiscaux déséquilibrés ne répondant plus aux exigences de la situation de ses finances publiques.
Encore un peu de courage. Un discours de vérité et de transparence sur l'état financier du pays est à ce prix. Afin d'asseoir le programme de transformation de l'économie française sur un socle commun de réformes négociées et discutées dans un esprit de justice et de responsabilité.

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