Billet de blog 4 décembre 2011

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Le viol est le frère du meurtre

Après le meurtre du Chambon-sur-Lignon, Barbara Loyer, directrice de l'Institut français de géopolitique, dénonce la «banalisation» du viol. Selon elle, «l'inconscience de la gravité de ce crime» par la société a peut-être fourni à l'agresseur la liberté de récidiver.

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Après le meurtre du Chambon-sur-Lignon, Barbara Loyer, directrice de l'Institut français de géopolitique, dénonce la «banalisation» du viol. Selon elle, «l'inconscience de la gravité de ce crime» par la société a peut-être fourni à l'agresseur la liberté de récidiver.
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Agnès est morte suppliciée par un jeune homme que la justice essayait de réinsérer après qu'il ait violé une autre adolescente, il y a plus d'un an. En France, le viol est un crime, passible d'une peine de réclusion de 15 ans minimum prononcée par une cour d'assise. Mais le mécanisme par lequel ce garçon a été mis en condition de récidiver révèle que c'est, encore une fois, l'inconscience de la gravité de cet outrage qui fait descendre aujourd'hui l'enfer sur terre. Le viol a été reconnu comme un crime en 1980 grâce à la mobilisation d'hommes et de femmes féministes. Pourtant nombreux s'opposaient à cette reconnaissance, en disant que c'était une réalité ancestrale, un atavisme psychique masculin contre lequel on ne pouvait rien. Ils disaient aussi que les violeurs étaient des victimes de leurs pulsions incontrôlées. Des personnalités avaient alors accusé les partisans de ce châtiment plus sévère d'être réactionnaires.
Vingt-cinq ans après, la banalisation de ce crime se poursuit. En 2005, Samira Bellil, une jeune femme de Garges, en banlieue parisienne, publia un livre pour décrire «l'enfer des tournantes», les viols collectifs qu'elle avait subis, mais surtout l'enfer de la négation de la gravité de l'acte, de ses conséquences sur son équilibre psychique et sa santé. Elle écrit: «je ne suis pas en colère par rapport à ces garçons, je suis en colère par rapport aux adultes, à la justice, au pouvoir. Je suis en colère par rapport aux éducateurs, aux assistantes sociales. Il n'y a pas eu de main tendue pendant quinze ans; quinze ans c'est long». À l'époque, des contre-feux se sont à nouveau allumés pour désamorcer la dénonciation: on accusa Samira Bellil de stigmatiser les jeunes des banlieues. La réflexion sur la violence contre les femmes passa encore au second plan.
Aujourd'hui, le débat se centre dans la presse sur la récidive et la psychologie des adolescents. On met l'accent sur le problème du juge et du psychiatre, qui n'ont pas pu empêcher le meurtre. C'est un élément crucial de ce drame. Mais il y a un autre versant au débat: le problème n'est-il pas aussi que le juge et les experts n'ont pas ressenti que ce premier viol était un crime? N'est ce pas la sous-estimation de la gravité de la première agression qui a permis cet enchaînement fatal aboutissant à la tragédie?
Depuis 40 ans, la lutte pour éveiller les consciences sur la cruauté du viol et de ses conséquences est neutralisée par les questions contradictoires sur la façon dont il faut le punir. Mais, il n'est pas suffisant de le qualifier de crime au plan juridique s'il n'est pas ressenti comme tel du point de vue de l'éthique.
La banalisation de la violence envers les femmes pervertit profondément notre société. Ton corps martyrisé, Agnès nous fera-t-il ouvrir les yeux? Les hommes de mon pays, les hommes du monde entier, pourraient-ils écrire à tes parents qu'ils veulent lutter avec les femmes contre ce crime qui dénature l'humain?

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