Billet de blog 5 février 2016

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Ce que la déchéance de nationalité nous dit de notre démocratie

Isabelle Thomas, députée européenne, vice-présidente du Groupe Socialistes & Démocrates au Parlement européen et membre du Bureau National du PS porte un regard froid sur toutes les promesses que François Hollande n'a pas tenues. Et d'enfoncer le clou : « Le Président de la République veut réviser la Constitution ? Nous le voulons aussi. Mais nous ne voulons pas de celle qui nous est proposée et qui divise les Français ».

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A 16 mois de l’élection présidentielle, le Président de la République a décidé de réformer la constitution. Idée enthousiasmante que celle de dépoussiérer des institutions marquées depuis l’origine par l’exacerbation des pouvoirs de l’exécutif, saugrenues au regard des régimes parlementaires de nos partenaires européens, et inadaptées aux exigences démocratiques du 21ème siècle.

Las. J’ai dû rater quelque chose. Au lieu de la modernisation tant attendue, nous nous apprêtons à constitutionnaliser des mesures de maintien de l’ordre et de restrictions des libertés, couronnées par l’inacceptable et stupéfiante proposition d’une déchéance de nationalité qui ne s’appliquerait qu’aux binationaux.

Sur les implications néfastes de cette proposition je serai brève car elles ont déjà été largement commentées. Discriminatoire, elle introduirait une rupture d’égalité entre citoyens français et créerait un dangereux précédent contre le droit du sol, sans pour autant apporter la moindre efficacité contre le terrorisme.

Que sont devenus les discours qui au lendemain des attentats défiaient les terroristes en nous promettant qu’ils ne remporteraient aucune victoire contre la République ? Aujourd’hui, la réforme constitutionnelle envisagée leur concède un peu de liberté, beaucoup d’égalité et trop de fraternité.

Ce triste épisode confirme l’obsolescence de nos institutions et la nécessité d’une restauration démocratique en France. Nous déplorons une nouvelle occasion ratée de réformer vraiment la constitution.

La Vème République engluée dans ses dérives monarchiques

La présidence Sarkozy nous avait rappelé à quel point le pouvoir peut être confisqué en France. Nous avions attribué cette tendance absolutiste à la personnalité de son détenteur. C’était oublier que les institutions elles-mêmes empoisonnent notre démocratie par la puissance qu’elles confèrent à l’exécutif et la tentation d’arbitraire qui en découle.

L’Histoire bégaie. Le Président et le Premier ministre se sont empêtrés dans ce projet de déchéance de nationalité sans que personne ne puisse les en dissuader. Pour cette décision comme pour les autres, les ministres qui s’émeuvent sont priés de remballer leurs états d’âme ou de démissionner. Les parlementaires qui rechignent à se soumettre sont menacés d’excommunication par M. Le Guen, ministre chargé des sanctions contre le Parlement. Le parti présidentiel n’est pas plus écouté, à peine consulté. Comme les Français, qui n’auront plus l’occasion de s’exprimer avant avril 2017.

Cette propension à l’isolement et à la surdité au sommet de l’Etat se vérifie à chaque présidence. Inhérente à l’archaïsme de notre régime présidentialiste, elle s’est aggravée depuis la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral en 2000. Il ne reste que peu de marges au débat démocratique et à la représentation parlementaire.

La porte ouverte à tous les renoncements

Il serait malhonnête de considérer nos institutions comme les seules coupables. Les renoncements accumulés depuis 2012 par l’exécutif sont des choix politiques assumés. La grande réforme fiscale a été abandonnée ; le code du travail piétiné ; le droit de vote des étrangers aux élections locales sacrifié ; et le combat contre « notre ennemie la Finance » déserté.

Mais ces renoncements ont aussi été facilités par le carcan de nos institutions. L’arsenal disciplinaire dont dispose l’exécutif, comme la menace du 49.3 ou celle de la dissolution, contribue à appauvrir le débat politique. Elle enferme les représentants du peuple dans un dilemme perpétuel entre leur loyauté et leur conscience, réduisant la plupart d’entre eux à une mortelle obéissance.

La Vème République étouffe à petit feu notre démocratie. C’est une des raisons de la défiance généralisée envers le politique, et de l’antiparlementarisme qui enfle un peu plus chaque jour et que nous ne parvenons plus à endiguer.

Sachons nous inspirer du parlementarisme de nos voisins

De ce point de vue, le Parlement européen constitue un poste d’observation privilégié d’où l’on peut se comparer aux autres démocraties européennes. Les crises économiques et les dégâts de l’austérité ont partout donné lieu à des secousses politiques. Dans les régimes parlementaires, on a cependant vu émerger des solutions protéiformes et des leaders d’un nouveau genre. Je pense à Tsipras en Grèce, Podemos en Espagne ou Corbyn au Royaume-Uni.

Et sans valider pour autant le choix de la grande coalition allemande, il faut reconnaître qu’elle s’est construite sur un programme politique négocié et que la Chancelière doit défendre pied à pied ses décisions devant le Bundestag. De même voyons-nous apparaitre de nouvelles alliances de gauche aujourd’hui au Portugal, et peut-être demain en Espagne.

Alors oui, bien sûr, le parlementarisme n’évite pas l’extrême-droite et la France n’est pas seule à voir progresser les nationalismes. Mais parce que ces régimes reposent sur des compromis et des alliances programmatiques âprement débattues, ils apprennent à s’adapter aux exigences d’alternatives exprimées par les électeurs. Ce dont nous manquons cruellement en France où, s’appuyant sur une majorité disciplinée, l’exécutif ne rencontre aucun obstacle dans la conduite de sa politique. Quitte à se détourner chaque jour plus de ses engagements initiaux.

Peut-on brandir la menace terroriste contre la démocratie ?

Depuis les attaques de novembre, un nouveau pallier a été franchi. L’état d’urgence et la révision constitutionnelle sont présentés comme indispensables dans la guerre contre Daesh. Le contexte terroriste est brandi pour légitimer la stratégie d’union nationale chère à Manuel Valls. Promue comme le rempart contre tous les dangers, de l’extrême droite au terrorisme, elle exclut toute alternative. Quel meilleur moyen pour réduire la critique au silence ? Celui qui s’y oppose prend le risque d’être jugé irresponsable, voire dénoncé comme traître à la patrie.

C’est ainsi que l’état d’urgence risque d’être prolongé, avec ses perquisitions, ses assignations à domicile et ses possibles interdictions de manifester. Jusqu’où l’espace de débat devra-t-il encore se réduire ?

Indépendamment de son contenu, l’épisode de la déchéance de nationalité est symptomatique de ce dangereux croisement entre la stratégie d’union nationale et la logique sécuritaire. Le tout rendu possible par la prépondérance accordée par nos institutions à l’exécutif.

Notre vieille 5ème République repose sur une structure pyramidale et rigide. Elle encourage une logique de femme ou d’homme providentiel, inadaptée à une société en mouvement et à nos aspirations à l’égalité. La France a besoin d’une représentation proportionnelle, d’un Parlement aux pouvoirs réhabilités et d’un exécutif réellement responsable devant le législatif.

Le Président de la République veut réviser la Constitution ? Nous le voulons aussi. Mais nous ne voulons pas de celle qui nous est proposée et qui divise les Français. Nous aspirons à une réforme en profondeur du cadre institutionnel. Les Français ont exprimé leur mécontentement à chaque scrutin intermédiaire, sans qu’aucun infléchissement politique ne leur soit concédé. Il est grand temps que des règles démocratiques nouvelles permettent à l’offre politique de s’adapter à leurs exigences.

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