Billet de blog 5 février 2016

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Marseille, capitale de la rupture

Sébastien Barles (ex élu écologiste de la ville de Marseille, animateur du collectif citoyen Les Gabians, enseignant à l’Université Paris 8) et Mohamed Ben Saada (animateur du Collectif Quartiers Nord Quartiers forts et membre du collectif des Quartiers Populaires de Marseille) dénoncent une dérive populiste et xénophobe des dirigeants et une insurrection citoyenne face à un système à l’agonie.

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30 ans après la mort de Defferre, 3 ans après le label de capitale européenne de la culture et l’ouverture de son fleuron le Mucem, Marseille a retrouvé son statut de ville maudite, de ville « sans nom » qui lui fut un temps attribué. Le bruit des Kalachnikov et le cirque des dinosaures  (Guérini, Gaudin, Estrosi…) couvrent toutefois un foisonnement d’initiatives citoyennes irriguant toute la ville manifestant la fin d’une époque.

La faillite du système clientéliste hérité de Defferre se traduit par le fait que Marseille est la ville la plus inégalitaire et fracturée de France : les écarts de revenus vont de 1 à 15 entre les quartiers Kallisté et La Cadenelle ; certains quartiers sont en situation de quasi-apartheid ; elle possède le plus grand nombre de chômeurs, de familles monoparentales, de jeunes descolarisés, de mal-logés (60 000 et 40 000 logements vacants) ; l’école publique est aux abois ; les forces d’inertie du système sont en place à chacun des échelons territoriaux et des secteurs d’activité (des Conseils d’Intérêts de Quartier au syndicat FO qui gangrène la fonction publique territoriale)… Le FN, se nourrit sur ce terreau nauséabond, en dirigeant même le plus gros secteur municipal au cœur de notre Cité mosaïque.

Marseille est à un point de bascule, hésitant entre le meilleur et le pire. Un autre système peut remplacer l’ancien aujourd’hui obsolète car n’ayant plus les moyens d’acheter la paix sociale. La ville est sur un fil pouvant basculer dans un autre système rance de repli et de rejet ; ou peut voir éclore un réveil citoyen, une métamorphose de la ville semblable à celle de sa sœur latine Barcelone il y a deux décennies.

L’autre système qui apparaît en pointillé ici et là et notamment dans le nord de la ville, naissant sur les décombres d’un clientélisme paternaliste, est un retour au Marseille des années 30, celui de Simon Sabiani passé de l’extrême gauche à l’extrême droite dans une dérive populiste s’appuyant sur le milieu fascisant (Carbone et Spirito) et la violence. Certains politiques dans la ville (gauche et droite confondues) sont déjà ancrés dans cette dérive xénophobe et populiste, jouant la guerre des tranchées entre les quartiers nord et les quartiers sud, Paris et Marseille, se livrant à la chasse aux Roms, jouant sur la peur de l’autre, la surenchère sécuritaire, stigmatisant des boucs émissaires, rejetant les élites, flattant les bas instincts de l’opinion.

Pourtant, Marseille possède des atouts et des énergies considérables. Des initiatives citoyennes foisonnent pour transformer la ville : des Sentinelles aux animateurs de Marseille 3013, d’Un centre ville pour tous aux Yes we Camp et de Laisse Béton au collectif des quartiers populaires. Marseille possède une identité populaire très forte et a été pendant des décennies un formidable creuset culturel fédérateur nourri dans le mythe fondateur de Gyptis et Protis.

Réconcilier la ville, ses habitants et ses territoires en remettant l'intérêt général au coeur des politiques publiques, voilà de défi d’une éco-métropole de projets évitant l’écueil de la mise en concurrence des territoires.

La reconversion écologique des activités industrielles traditionnelles (à l’instar des Fralib et de leur coopérative), l’économie du lien et du partage et la création de nouvelles filières portuaires pour réoxygéner notre poumon économique, voilà la voie prise par des milliers de marseillais en train d’écrire une autre histoire que celle de la chronique funèbre des règlements de compte et de l’enfermement dans une nostalgie passéiste. Marseille est une ville laboratoire et singulière qu’il faut préserver de toute tentative de normalisation.

Marseille, ville-monde, métissée et rebelle peut redevenir la ville fraternelle qu’elle a été, un phare entre Europe et Méditerranée. La ville plongée dans le noir depuis trop longtemps scintille déjà de milliers de petites lucioles faisant le pari de l’intelligence collective pour libérer l’énergie, la formidable vitalité et les diversités de la cité phocéenne laissant augurer un nouveau printemps démocratique.

Au delà du folklore et de la caricature souvent imposée par les médias, peut-être que Marseille préfigure cette mutation entre deux mondes dont le clair-obscur produit souvent des monstres comme l’affirmait Gramsci.

Puisse la splendeur des lucioles triompher des ténèbres et remettre enfin Marseille à l’heure.

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