Après les grands combats consacrés aux femmes en âge de travailler et de procréer, le temps est venu d'inclure les plus âgées –plus nombreuses chez les demandeurs d'emplois, plus souvent célibataires– dans les luttes féministes. A chaque âge ses fragilités. Par Rose-Marie Lagrave et Juliette Rennes, universitaires.
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Croiser deux générations féministes et deux voix –l'une qui a pris la parole dans les années 1970 quand l'autre s'est exprimée dans la décennie 2000– n'est pas de trop pour penser l'articulation entre inégalités de genre et inégalités liées à l'âge. Question féministe s'il en est, mais impensé du féminisme aussi. Si des solidarités entre femmes ont pu se forger au sein des luttes malgré des clivages de classe, de couleur de peau, d'orientation sexuelle, subsiste cependant une variable discrète et ô combien discriminante : l'âge. Cet âge exhibé ou maquillé est l'une de ces inégalités multiples dont on parle rarement entre femmes, comme on dit. Comment ne pas voir pourtant que les effets croisés de l'âge et du genre sont sources de clivages entre générations de femmes, y compris entre féministes ?
Dans le monde du travail, la concurrence intergénérationnelle suscitée par la rareté de l'offre concerne les deux sexes, mais une fois à la retraite, les femmes, en raison de carrières plus courtes, plus discontinues et moins rémunératrices, ont un niveau de retraite de 40% inférieur à celui des hommes. Dans la quête de partenaires amoureux et sexuels, les femmes, quand elles vieillissent, sont également exclues sous une forme plus brutale que les hommes, ce qui conduit à une compétition objective et une rivalité subjective entre vieilles et jeunes. Comme le montrent les enquêtes les plus récentes sur la vie sexuelle en France (Nathalie Bajos et Michel Bozon, 2008), les hommes, en vieillissant, ont statistiquement plus de chances que les femmes d'accéder pour un jour ou pour la vie à des partenaires plus jeunes. Ainsi, 37% des femmes entre 60 et 69 ans n'ont pas de partenaire, pour seulement 16% des hommes de cette tranche d'âge.
Corrélativement, dans les représentations dominantes, les femmes d'âge avancé sont au mieux «bien conservées» par rapport aux canons de la beauté féminine fondés sur la jeunesse. Celles qui ne cachent ni leur vieillesse ni leur désir tendent à susciter répulsion et déconsidération, tandis que les «vieux beaux» restent mieux admis dans la course à la séduction. Et si la détention d'une position de pouvoir peut contribuer à érotiser le corps des hommes mûrs, ce processus fonctionne plus rarement pour les femmes. Cette perception différenciée des corps vieillissants a pu faire l'objet de questionnements et de subversions artistiques, mais elle n'a été que
Rose-Marie Lagrave, directrice d'études à l'EHESS
Juliette Rennes, maître de conférence à l'université Lyon 2.